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Affaire « L’Etivaz » : droit de la concurrence et appellations d’origine protégées (AOP)

II. Résumé de l’affaire « L’Etivaz »

La coopérative des Producteurs de Fromages d’Alpage L’Etivaz (ci-après : la coopérative ou la défenderesse) a pour membres des producteurs de fromages des Alpes vaudoises. Elle est copropriétaire d’une cave d’affinage sise à L’Etivaz, dans la commune de Château-d’Oex, dont l’utilisation est réservée à ses membres. Celle-ci peut contenir au moins 3'000 meules. La coopérative engage le personnel nécessaire à l’affinage et fixe l’indemnité due par ses membres pour l’entreposage, les soins et le salage des fromages. Par ailleurs, elle achète les fromages de ses membres aux prix proposés par son comité et admis par son assemblée générale, puis en assure la commercialisation aux meilleures conditions8.

7 ATF 139 II 316. L’affaire n’est pas encore close : une demande d’autorisation exceptionnelle a été déposée auprès du Conseil fédéral (DPC 2013/4 843).

8 Jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois du 31 août 2011, décision n°119/2011/SNR, partie « En fait », paragraphes 2 et 3.

AFFAIRE « L’ETIVAZ » : DROIT DE LA CONCURRENCE ET AOP

En 1999, la coopérative a obtenu l’enregistrement de « L’Etivaz » en tant que AOP, conformément à la législation fédérale en matière d’appellations d’origine et d’indications géographiques protégées9. Le cahier des charges, publié dans le registre des AOP, définit les aires géographiques de production et d’affinage et décrit les caractéristiques du produit, la méthode de production ainsi que les conditions d’étiquetage et de certification10. En particulier, l’affinage du fromage doit se faire exclusivement dans des caves d’une capacité de 3'000 pièces ou plus (art. 13 du cahier des charges). Depuis l’enregistrement de l’AOP, seuls les fromages affinés dans la cave de la coopérative ont été commercialisés sous cette appellation.

Le demandeur produit du fromage à Témeley-Aï (commune de Leysin), soit dans la zone de production définie dans le cahier des charges de « L’Etivaz ».

Basé dans une localité éloignée des Préalpes vaudoises, il a repris l’exploitation de l’alpage du Témeley-Aï en avril 2005, suite au décès du précédent fermier qui était membre de la coopérative.

Ce fromager utilise une cave d’affinage dans l’aire géographique prévue par le cahier des charges, mais dont la capacité est inférieure à 3'000 pièces. Ne pouvant commercialiser sa production sous l’appellation « L’Etivaz », il a demandé à plusieurs reprises à être admis comme membre de la coopérative de sorte à pouvoir affiner son fromage dans la cave de celle-ci. La coopérative a refusé son admission, faisant état de sa volonté de conserver une capacité d’affinage résiduelle pour un jeune agriculteur installé dans la région. Une seule autre cave dans la zone d’affinage répond à l’exigence de capacité du cahier des charges de « L’Etivaz », mais son propriétaire n’utilise pas l’appellation et a refusé d’admettre le demandeur au motif qu’il ne veut pas concurrencer la coopérative.

Face à ce refus, le fromager a saisi la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud le 21 mai 2007, lui demandant de constater que la coopérative entrave son accès à l’AOP de manière illicite, de dire qu’elle est astreinte à lui donner accès à sa cave contre rémunération usuelle, de dire qu’elle est astreinte à l’admettre comme l’un de ses membres et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts correspondant aux pertes subies pour les années 2005 et 2006. La coopérative défenderesse a conclu au rejet de la demande.

L’affaire a d’abord donné lieu à une ordonnance de mesures provisionnelles de la Cour civile du 12 juin 200711. Puis, la Commission de la concurrence (ci-après : Comco) a été consultée, conformément à l’art. 15 LCart ; dans son avis

9 Sur la procédure d’enregistrement, voir infra III B. A l’époque de l’enregistrement, on parlait d’appellations d’origine contrôlées (AOC) et non encore d’AOP. Sur l’histoire du fromage « L’Etivaz » et l’obtention de l’AOP, voir BOISSEAUX/BARJOLLE, p. 50 s., et CHAPPUIS, Accords interprofessionnels, p. 241 ss.

10 http://www.blw.admin.ch/themen/00013/00085/00094/index.html?lang=fr.

11 DPC 2007/3 495. Cette décision concluait à l’absence d’une restriction illicite de concurrence.

JULIA XOUDIS

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du 12 avril 2011, la Comco a conclu que l’affaire ne posait pas problème au regard de la loi sur les cartels12. Elle a retenu qu’il n’y avait pas de restriction illicite de concurrence. En tout état, le demandeur avait d’autres possibilités ; il pouvait notamment produire du « Gruyère ».

Le 31 août 2011, la Cour civile a rendu son jugement. Elle a considéré que le refus de la coopérative d’admettre le demandeur comme membre et de lui donner accès à sa cave était constitutif d’un abus de position dominante (art. 7 LCart)13. Pour l’essentiel, elle a fait droit à la conclusion du demandeur à être admis comme membre de la défenderesse, en relevant que sa conclusion tendant à avoir accès aux installations de la coopérative n’avait plus d’objet dès lors que le demandeur obtenait la qualité de sociétaire. Elle a par ailleurs alloué au demandeur une somme d’environ CHF 27’000.- au titre de la réparation du dommage découlant de l’entrave illicite, à savoir son gain manqué pour les années 2005 et 2006.

Le 23 mai 2013, sur recours de la défenderesse, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation de la coopérative à admettre le demandeur en qualité de sociétaire, retenant également un abus de position dominante14. En revanche, il a écarté la prétention en réparation de la perte de gain du demandeur, considérant qu’un rapport de causalité entre l’entrave à la concurrence et le dommage subi n’avait pas été suffisamment établi. Sur ce point, il a partiellement admis le recours15.

Le 1er juillet 2013, la coopérative a déposé une demande d’autorisation exceptionnelle fondée sur l’art. 8 LCart16. Le 12 septembre 2013, le Département de l’économie, de la formation et de la recherche (ci-après : DEFR) a rendu une décision incidente refusant l’effet suspensif requis par la coopérative17. La décision sur le fond est encore attendue.

12 DPC 2011/2 302.

13 Jugement de la Cour civile cantonale, note 8.

14 ATF 139 II 316.

15 TF 4A_449/2012, 23.5.2013, c. 10 (considérant non publié à l’ATF 139 II 316).

16 Cette disposition permet au Conseil fédéral d’autoriser à titre exceptionnel une pratique déclarée illicite au regard du droit de la concurrence, lorsqu’une telle pratique est nécessaire à la sauvegarde d’intérêts publics prépondérants.

17 DPC 2013/4 843.

AFFAIRE « L’ETIVAZ » : DROIT DE LA CONCURRENCE ET AOP

III. Politique agricole, organisations de producteurs et