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Au nom des droits de la personnalité de l’enfant : facettes choisies

D. Incidence de la jurisprudence de la CourEDH

Selon une jurisprudence bien établie, le droit à l’identité, auquel appartient le droit de connaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de «vie privée», ce qui impose un examen d’autant plus approfondi des intérêts en présence ; les personnes en quête d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention et qui ne diminue pas avec l’âge, à obtenir les informations qui sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle, tout en tenant compte de la nécessité de protéger les tiers, qui peut exclure la possibilité de contraindre ceux-ci à se soumettre à toute analyse médicale que ce soit, notamment à des tests ADN181. 1. Consécration d’un droit relatif à la connaissance des origines

La CourEDH, pour déterminer si un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents in casu, consacre un droit fondamental à la recherche de ses origines, non pas absolu, mais relatif, et ce même lorsque l’Etat est détenteur des données. Dans l’affaire GODELLI contre l’Italie du 25 septembre 2012, cette approche est confirmée en matière d’accouchement sous X182. Si la violation de l’art. 8 CEDH est admise, c’est en raison de l‘impossibilité dans laquelle se trouve l’enfant adopté et non reconnu à la naissance de demander, soit l’accès à des informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du secret, ce que permet le droit français et explique la solution contraire dans l’affaire ODIEVRE183 ; l’Italie n’a ainsi pas cherché à établir un équilibre et une proportionnalité entre les intérêts des parties concernées et a partant excédé la marge d’appréciation qui doit lui être reconnue184. En matière d’accouchement anonyme, il suffit de la réalisation

181 CourEDH affaire topique JÄGGI c. Suisse, 13.07.2006, Recueil 2006-X,§ 38 s., cf. AEBI-MÜLLER, Jäggi, in Jusletter du 2 octobre 2006. Voir également : CourEDH affaire GODELLI c. Italie, 25.09.2012, § 46 et 63 ss; CourEDH affaire A.M.M c. Roumanie, 14.02.2012, § 42 ss; CourEDH affaire PASCAUD c.

France, 16.06.2011, § 62; CourEDH affaire EBRU et TAYFUN ENGIN ÇOLAK c. Turquie, 30.05.2006 § 83 et 94 s., le système, qui ne prévoit pas de moyen de contraindre une partie à un test ADN, doit indiquer les conséquences à tirer d’un refus de s’y soumettre; CourEDH, arrêt de Grande Chambre, affaire ODIEVRE c. France, 13.02.2003, Recueil 2003-III, § 29 et 44 ss; CourEDH, affaire MIKULIC c. Croatie, 7.02.2002, Recueil 2002-I, § 64. Voir : BÜCHLER/RYSER, p. 6 ss et 17 s.; MEIER, Enfant, p. 281 s. et note 135 pour des réf. doctrinales sur la jurisprudence européenne ; RIGAUX,p. 105 note que le droit de connaître ses origines a connu les bouleversements les plus radicaux.

182 CourEDH affaire GODELLI c. Italie, 25.09.2012. Sur l’accouchement anonyme ou sous X : MEIER/STETTLER, n. 416 s.;SCHMIDT, p. 153, 155 ss pour un aperçu historique et de droit comparé.

183 CourEDH affaire ODIEVRE c. France, 13.02.2003, Recueil 2003-III, § 48 s., accès accordé à la requérante à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique cumulé à la mise en place d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), la réversibilité du secret restant soumis à l'accord de la mère : conclusion de non-violation de l’art. 8 CEDH par 10 voix contre 7, cf. leur opinion dissidente commune. Sur cet arrêt : RIGAUX,p. 108s notant que le crédit de cet arrêt est mince vu le nombre élevé d’opinions dissidentes ; SCHMIDT,p. 147 ss; STAUFFER,p. 178 ss. Pour une critique de cette « singularité juridique française » : STEINER, p. 568 ss.

184 CourEDH affaire GODELLI c. Italie, 25.09.2012, § 70 ss, violation de l’art. 8 CEDH admise par 6 voix contre 1.

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d’une pesée des intérêts concurrents, même très limitée, qui octroie l’accès à des informations non identifiantes et la réversibilité du secret, sous réserve néanmoins de l’accord de la mère, pour respecter le droit fondamental à la connaissance de ses origines. L’approche frileuse de la CourEDH contraste avec les conclusions courageuses de l’affaire JÄGGI, dans laquelle le requérant avait obtenu l’exhumation de la dépouille de son père présumé de facto pour faire réaliser un test ADN185.

Le droit suisse, qui ne connaît pas l’accouchement sous X186, va en conséquence plus loin en consacrant un droit absolu en faveur de l’enfant majeur adopté et issu de PMA. L’art. 46 al. 1 let. a OEC qui consacre l’accouchement dans la discrétion, en permettant à l’autorité cantonale de surveillance de faire bloquer la divulgation de données personnelles, d’office ou sur demande, pour autant que la protection de la personne concernée l’exige ou que cela soit prévu par la loi, réserve d’ailleurs à son alinéa 3 le droit de l’enfant adopté d’obtenir les données relatives à l’identité des parents biologiques (art. 268c CC), droit qui s’étend en outre également à l’enfant qui n’aurait pas été adopté187.

Les boîtes à bébé, qui ont la fâcheuse tendance à proliférer en Suisse188, mettent au demeurant également en péril le droit de l’enfant à connaître son ascendance, ce qui a également été souligné par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU189 ; l’enfant est en particulier atteint de manière grave dans ses droits de la personnalité190. Sans que cet article soit le lieu d’une analyse approfondie de la légalité des Babyfenster, nous rendons attentives les autorités étatiques

185 CourEDH affaire JÄGGI c. Suisse, 13.07.2006, Recueil 2006-X,violation de l’art. 8 CEDH admise par 5 voix contre 2. Sur cet arrêt : AEBI-MÜLLER, Jäggi, in Jusletter du 2 octobre 2006.

186 Ce en dépit de nombreuses interventions parlementaires, la plus récente étant l’Interpellation 13.3418 MEIER-SCHATZ et la réponse négative du Conseil fédéral, disponible sous http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20133418. Voir : MEIER/STETTLER, réf. note 1002 à plusieurs interventions parlementaires.

187 MEIER/STETTLER, n. 417.

188 Le Temps, 5.08.2014, p. 4 : 10e enfant déposé dans la fenêtre à bébé de l’hôpital à Olten, la 6e en Suisse, alors que Le Temps, 6.06.2014, p. 9 signalait le 9e nouveau-né déposé dans la 1ère boîte à bébé installée en Suisse à l’hôpital d’Einsiedeln en 2001; Le Temps, 19.7.2014, p. 9, annonçait une inauguration à Bellinzone. Et d’autres vont suivre, cf. MEIER/STETTLER, n. 414 in fine.

189 Par ex. Observations finales du Comité du 4 août 2011 suite à l’examen du rapport de la Tchéquie demandant de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour mettre un terme au programme des

«boîtes à bébé» dans les plus brefs délais et de renforcer et promouvoir sans tarder des programmes de substitution, en tenant pleinement compte du devoir de se conformer strictement à toutes les dispositions de la CDE, n. 49 et 50, disponible sous : http://www.netzwerk-kinderrechte.ch/fileadmin/nks/aktuelles/Verschiedenes/CRC.C.CZE.CO.3-4_F_.pdf. Voir également 2e et 3e rapport des ONG au Comité des droits de l’enfant concernant la Suisse, p. 24, disponible sous :

http://www.netzwerk-kinderrechte.ch/fileadmin/nks/aktuelles/ngo-bericht-UN-ausschuss/NGO_Report_CRC_CRNetworkSwitzerland_French.pdf.

190 AEBI-MÜLLER,Babyfenster, p. 553 ss; GUILLOD/BURGAT, p. 9; MEIER/STETTLER, n. 414 ss, WIESNER-BERG, p. 535 ss. Voir également:BORD, p. 52 pour laquelle il s’agit d’un moindre mal; PEREIRA.

MARIE-LAURE PAPAUX

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qu’il leur appartient de prendre les mesures nécessaires au respect des droits fondamentaux191.

A la connaissance de la descendance, la CourEDH sait également opposer l’intérêt de l’enfant au maintien du lien juridique de filiation. Ainsi, l’intérêt de l’enfant, âgée de 45 ans, laquelle bénéficie depuis longtemps d’un état civil stable alors que l’admission d’une action tardive en désaveu entraînerait des conséquences sur le plan patrimonial, cumulée à l’absence de souhait de l’enfant de voir le lien de filiation paternelle vérifié, fait obstacle à l’admission d’un désaveu tardif192. Cette solution tempère la prévalence de la réalité biologique sur les fictions légales que la jurisprudence a consacrée depuis longtemps, en particulier en matière d’établissement des liens de filiation193. La CourEDH a de même jugé à l’unanimité légitime le refus d’autoriser deux pères biologiques à contester la paternité du père juridique, position récemment confirmée194. L’intérêt supérieur de l’enfant doit pouvoir tendre au maintien du lien juridique de filiation, même si celui-ci ne valide pas la réalité biologique195. Ces arrêts ne se prononcent toutefois pas sur la question de la recherche des origines sans suite d’état civil, laquelle devrait à notre sens demeurer possible et résoudre l’apparente contradiction avec le renforcement du droit fondamental à connaître ses origines.

2. Intérêt de l’enfant versus contraintes procédurales

Si les juges de Strasbourg retiennent un droit relatif, ils le garantissent de manière très pragmatique. La Cour refuse en effet de laisser des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique, alors que les résultats de l’expertise ADN confirmant la paternité constituent une preuve déterminante, qui n’a pas été retenue pour des raisons procédurales196. Le consentement

191 MEIER/STETTLER, note 990 et réf., le Conseil fédéral renvoyant la balle aux cantons, de manière ambiguë. Voir également supra note 189.

192 CourEDH affaire IYILIK c. Turquie, 6.12.2011, § 35, non-violation de l’art. 8 CEDH par 5 voix contre 2.

Cette nécessité d’une pesée d’intérêts pourrait entrer en contradiction avec le système du droit suisse, qui n’examine la restitution du délai qu’à l’aune des intérêts du père, même si le TF semble s’ouvrir vers une pesée globale des intérêts, maladroite selon MEIER, Enfant, p. 270, bienvenue selon nous cf. PAPAUX VAN DELDEN, Familles, p. 18 s.

193 Cf. infra chap. III, let. D, ch. 2. Le « respect » de la « vie familiale » exige en effet que la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux des personnes concernées, par ex. : CourEDH affaire CHAVDAROV c. Bulgarie, 21.12.2010,

§ 38; CourEDH affaire KROON et autres, 27.10.1994, série A 297-C, § 40. Voir également : CourEDH EMONET et autres c. Suisse, 13.12.2007, § 86 s.

194 CourEDH affaires AHRENS et KAUTZOR c. Allemagne, 22.03.2012, confirmées in CourEDH affaire MARINIS c. Grèce, 9.10.2014, par 5 voix contre 2. PAPAUX VAN DELDEN, Familles, p. 15 s.

195 PAPAUX VAN DELDEN, Familles, p. 15 s. suite à l’analyse de l’établissement et de la contestation de la filiation sous la loupe de la CEDH.

196 CourEDH affaire PASCAUD c. France, 16.06.2011, § 68, violation de l’art. 8 CEDH admise à l’unanimité.

Voir également : CourEDH affaire LAAKSO c. Finlande, 15.01.2013; CourEDH affaire RÖMAN c.Finlande, 29.01.2013; CourEDH affaires BACKLUND c. Finlande et GRÖNMARK c. Finlande, 6.07.2010;

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donné à l’expertise, jugé non valable faute de capacité juridique du père, décédé depuis sans laisser de famille et sans avoir pu reconnaître l’enfant valablement, a privé le requérant de la possibilité de faire établir en justice sa filiation envers son père biologique décédé. Le droit de connaître ses origines, et ici même de voir établir un lien juridique correspondant, priment sur tout intérêt concurrent.

Un poids déterminant est en conclusion accordé à l’intérêt de l’enfant, quel que soit son âge, à établir sa véritable paternité, au besoin en passant outre aux contraintes de nature procédurale.

En droit suisse, l’art. 152 al. 2 CPC consacre une solution pragmatique conforme à la jurisprudence strasbourgeoise, étant donné que le tribunal peut prendre en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite, si l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant. Cet intérêt sera en principe reconnu en matière de filiation au regard du caractère fondamental du droit de l’enfant, ce d’autant que la maxime inquisitoire est applicable. Un test effectué à l’insu de la personne intéressée, soit contrairement aux prescriptions légales (art. 34 LGAH), ne sera ainsi pas nécessairement écarté de la procédure197.

En conclusion, la jurisprudence de la CourEDH confirme que l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours être le guide dans toutes décisions le concernant (cf. art. 3 § 1 CDE). Cet intérêt peut exiger le maintien d’un lien juridique non conforme à la réalité biologique ou, au contraire, dicter qu’une application mécanique et aveugle de la loi ne saurait l’emporter sur la réalité biologique. Des décisions parfois incompatibles a priori garde une cohérence intrinsèque à la lumière de ce critère.