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Le respect de la présomption d’innocence imposé aux médias exige que ces derniers s’abstiennent de faire passer pour coupable celui qui, aux yeux de la justice, ne l’est pas encore, faute de jugement ; qu’ils n’indiquent pas les noms de suspects ou prévenus83, ni ne donnent d’autres éléments permettant leur identification ; qu’ils s’imposent de la retenue dans leur vocabulaire84. Cette exigence a été expressément consacrée aux art. 32 al. 1 Cst. et 10 al. 1 CPP.

Concrètement, avant le jugement, on dira d’une personne retenue dans les mailles de la justice qu’elle est "soupçonnée de", "prévenue de" ou "accusée de".

Une certaine prudence dans les appréciations et commentaires est en outre attendue du journaliste85. Si, en principe, le nom de l’auteur présumé de l’infraction n’est pas donné, il existe néanmoins des exceptions, par exemple si, pour les besoins de l’enquête, les autorités de police ou de justice font appel aux médias pour diffuser le nom et la photo d’un suspect en fuite. Il en va de même si : l’infraction a inquiété le public, de sorte que la publication du patronyme est

81 ATF 125 IV 211 s.

82 Sur cette condition et les critiques doctrinales, voir WERLY, CR CP I, n. 18 ss ad art. 28. CP ss.

83 Pour plus de détails, cf. BARRELET, p. 204 ss.

84 BARRELET/WERLY, n. 1459.

85 BARRELET/WERLY, n. 1461.

STÉPHANE WERLY

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à même de calmer la population ; la publication du nom est indispensable pour éviter une confusion préjudiciable à un tiers ; le prévenu a lui-même attiré l’attention sur lui, en organisant des conférences de presse, en donnant des interviews, en acceptant le parrainage d’un comité de soutien, en prenant la fuite86 ; grâce à sa position dans la vie publique ou à sa fonction publique, il a joui d’une confiance particulière et son infraction est en rapport avec cette position87.

Quant à l’interdiction de l’indication de l’identité de la victime, elle ressort de l’art. 74 al. 4 CPP. Le principe souffre trois exceptions. Le nom pourra être donné si cela est dans l’intérêt de la poursuite pénale, par exemple en sollicitant la collaboration de la population ; si la victime y consent ; si elle est morte et que ses proches l’autorisent.

III. Le droit civil

Selon l’art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (al. 2). Il résulte de cette norme que l’atteinte est en principe illicite, ce qui découle du caractère absolu des droits de la personnalité. Elle devient cependant licite si son auteur peut invoquer un motif justificatif. L’illicéité est une notion objective, de sorte qu’il n’est pas décisif que l’auteur soit de bonne foi ou ignore qu’il participe à une atteinte à la personnalité88.

La mission d’information qui échoit aux médias ne saurait constituer un motif absolu de justification. De la sorte, il convient de systématiquement mettre en balance l’intérêt de l’individu concerné à la protection de sa personnalité et celui des médias à informer le public89. Seul un intérêt public à l’information pourra justifier une atteinte à la personnalité90.

86 ZR 1971, p. 117.

87 BARRELET/WERLY, n. 1465.

88 ATF 134 III 193.

89 ATF 132 III 641.

90 TF 5A_641/2011, 23.02.2012.

LA PAROLE DE TROP DANS LES MÉDIAS

A. L’honneur

1. L’honneur selon le code civil

Alors que l’honneur protégé pénalement par l’art. 173 CP recouvre uniquement la bonne réputation d’une personne ou son sentiment d’honorabilité, l’art. 28 CC comprend aussi sa considération sociale et professionnelle91.

Pour savoir si la considération d’un individu est lésée par la presse, il faut se placer du point de vue d’un lecteur moyen et tenir compte des circonstances concrètes qui entourent la publication, à savoir le contexte ou le cadre dans lequel l’article a paru92.

2. La publication de faits vrais/faux

Les médias peuvent atteindre une personne dans sa personnalité d’une part en relatant des faits, d’autre part en les appréciant93. La publication de faits vrais n’est inadmissible que si l’individu concerné est rabaissé de manière intolérable parce que la forme de la description est inutilement blessante94.

Quant à la diffusion de faits faux, elle est illicite en elle-même. Un intérêt suffisant ne pourra justifier des faits inexacts que de manière tout à fait exceptionnelle. Les simplifications, inexactitudes, imprécisions, raccourcis ou généralisations, usuels dans le monde des médias, peuvent rester sans effet sur l’honneur. Les droits de la personnalité ne seront violés par un article de presse que si ce dernier ne correspond pas à la réalité sur des points essentiels et montre l’individu en cause sous un angle si erroné ou en présente une image si faussée qu’il s’en trouve rabaissé de manière sensible dans la considération de ses semblables95.

3. Les comptes rendus judiciaires

Lorsque les médias relatent des comptes rendus judiciaires, ils doivent adopter une formulation qui fasse comprendre avec suffisamment de clarté, pour un lecteur moyen, qu’il s’agit en l’état d’un simple soupçon ou d’une simple supposition. Il en va du respect de la présomption d’innocence.

91 TF 5A_60/2008, 26.06.2008; BIANCHI DELLA PORTA, p. 514; CRAMER, p. 124; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, n. 535; HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, n. 12.87 ss; JEANDIN, CR CC I, n. 36 ad art. 28 CC; MEILI, BaK StGB I, n. 28 ad art. 28 CC; PEDRAZZINI/OBERHOLZER, p. 136 ss; RIEBEN, p. 202; TERCIER, n. 479 ss.

92 TF 5A_170/2013, 03.10.2013.

93 ATF 129 III 49.

94 TF 5A_170/2013, 03.10.2013.

95 ATF 138 III 641.

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En la matière, il n’y a pas d’intérêt prépondérant justifiant que des affaires pénales révèlent l’identité du prévenu ou du condamné. Une personnalité publique peut voir son nom mentionné dans la presse si la situation concrète le justifie, étant entendu qu’il convient de signaler, le cas échéant, qu’il s’agit d’un soupçon. Le principe de proportionnalité doit en tous les cas être respecté : même une personnalité de l’histoire contemporaine n’est pas obligée d’accepter que les médias ne rapportent plus à son sujet que ce qui est justifié par un besoin légitime d’informer, son besoin de protection devant aussi être pris en compte, dans la mesure du possible96.

4. Les opinions personnelles

Les opinions, commentaires et jugements de valeur sont admis pour autant qu’ils apparaissent soutenables en fonction de l’état de fait auquel ils se réfèrent. Même lorsqu’ils reposent sur des faits vrais, ils peuvent attenter à l’honneur lorsqu’ils constituent, en raison de leur forme, un rabaissement inutile. Si le public était en mesure de reconnaître les faits sur lesquels le jugement se fondait, il faut faire preuve d’une certaine retenue. Les journalistes peuvent tout à fait exprimer une opinion caustique. Un jugement de valeur ne porte atteinte à l’honneur que lorsqu’il rompt le cadre de ce qui est admis et laisse entendre un état de fait qui ne correspond pas à la réalité ou conteste à l’individu concerné tout honneur d’être humain ou personnel97.

5. Quelques exemples

Dans le domaine, un arrêt rendu par notre Haute Cour a récemment secoué le monde des médias. En résumé, les faits sont les suivants. Le 27 mai 2010 a eu lieu à Oslo la seconde demi-finale du Concours Eurovision de la chanson. Le représentant suisse, Michaël VON DER HEIDE, a terminé à la dernière place.

Quatre jours plus tard, le Blick a publié en première page un photomontage de l’Allemande Lena MEYER-LANDRUT, gagnante de la finale, surmonté de la tête de l’artiste, avec notamment le commentaire suivant : "On ne «la» veut plus, on veut aussi une Lena". La présentation du chanteur comme une "tantouse"

constitue, selon les juges lausannois, une atteinte illicite à sa personnalité et n’est en rien excusable par un éventuel élément satirique. La maison d’édition Ringier a été condamnée à verser 5’000 francs à Michaël VON DER HEIDE en guise d’indemnité pour tort moral98.

96 ATF 126 III 305.

97 ATF 138 III 641.

98 TF 5A_376/2013, 29.10.2013.

LA PAROLE DE TROP DANS LES MÉDIAS

Il convient également d’éviter de : qualifier des propos de "racisme verbal"99 ; prétendre que la conduite d’un individu est "identique à celle qu’aurait adopté un imbécile"100 ; diffamer publiquement une présentatrice de télévision en la traitant de "prostituée"101 ; taxer l’état d’une citerne à mazout d’"incroyable" et de "lamentable"102 ; insinuer d’un officier de police qu’il a "la gâchette facile"103 ; reprocher à quelqu’un de "pratiquer la spéculation foncière"104 ; dire d’un banquier qu’il est "lourdement endetté"105 ; suggérer qu’un homme d’affaires "doit s’attendre à des plaintes civiles et pénales"106 ; faire grief à un individu d’avoir exercé son rôle de père comme un "taliban" et d’être un "financier marron aux pratiques douteuses"107.