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Protection de la personnalité des sujets de recherche

A. Art. 118b Cst

Le besoin d'une règlementation fédérale systématique et exhaustive de la recherche sur l'être humain s'étant fait sentir, il a fallu d'abord établir une base constitutionnelle appropriée permettant à la Confédération de légiférer en la matière. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des Etats a adopté le 18 février 2003, dans le contexte des débats parlementaires relatifs à la LRCS, une motion parlementaire demandant la création d’une base constitutionnelle relative à la recherche sur l’être humain. Un avant-projet et une consultation initiée le 1er février 2006 ont donné lieu à un projet d'article constitutionnel et au Message correspondant du Conseil fédéral le 12 septembre 200710. L'art. 118b Cst. a été adopté le 7 mars 2010 par le peuple et les cantons suisses.

9 Cf. à titre d’exemple l’art. 61 al. 4 de la loi genevoise sur la santé (LS) (RS/GE K 1 03).

10 Message du 12 septembre 2007 relatif à l’article constitutionnel concernant la recherche sur l’être humain, FF 2007 6345 (Message Cst.).

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L'art. 118b al. 1 Cst. intitulé « Recherche sur l'être humain » a la teneur suivante :

« 1 La Confédération légifère sur la recherche sur l'être humain, dans la mesure où la protection de la dignité humaine et de la personnalité l'exige. Ce faisant, elle veille à la liberté de la recherche et tient compte de l'importance de la recherche pour la santé et la société. »

L'art. 118b al. 1 Cst. adopte comme critère déterminant le risque posé par la recherche pour la dignité humaine et la personnalité des participants. Le libellé de la première phrase de cette disposition indique clairement que le législateur fédéral n’a aucun mandat constitutionnel lorsque le risque est négligeable11. On remarquera en outre que le mandat constitutionnel de l'art. 118b Cst. n'est pas limité à un domaine de recherche déterminé, en particulier la santé. Le législateur fédéral reste ainsi libre de réglementer les domaines de recherche sur l'être humain qu’il considère présenter un risque suffisamment significatif pour la dignité et la personnalité de l'être humain. En revanche, on verra plus loin que le législateur a limité le champ d’application de la LRH à la recherche « sur les maladies humaines et sur la structure et le fonctionnement du corps humain »12.

Les biens juridiques mentionnés à l'art. 118b al. 1 Cst. – dignité humaine et personnalité – relèvent d'autres dispositions constitutionnelles. Il s'agit d’une part de la garantie de la dignité humaine (art. 7 Cst.), et d’autre part de la protection constitutionnelle de la personnalité. Cette protection constitutionnelle est concrétisée par le droit à la vie (art. 10 al. 1 Cst.), par le droit à la liberté personnelle (notamment intégrité physique et psychique, liberté de mouvement – art. 10 al. 2 et 3 Cst.), par la protection des enfants et des jeunes (art. 11 Cst.) ainsi que par la protection de la sphère privée (art. 13 Cst.). L'art. 118b al. 1 Cst. impose en outre au législateur fédéral de tenir compte de la liberté de la recherche, qui constitue un composant de la liberté de la science consacrée par l'art. 20 Cst. Dans la mesure où la dignité humaine jouit d’une protection absolue et ne peut faire l’objet d’aucune restriction, le législateur fédéral est invité à trouver un équilibre entre la protection de la personnalité des sujets de recherche d’une part, et la liberté de la recherche d’autre part13.

Telle que comprise par l’art. 118b al. 1 Cst., la notion de recherche « sur l’être humain » est large et ne se limite pas à la recherche sur des personnes au sens de l’art. 11 CC. En effet, la recherche pratiquée sur des personnes décédées, sur des embryons ou des fœtus humains, sur du matériel biologique ou sur des

11 Message du 21 octobre 2009 sur la loi fédérale relative à la recherche sur l’être humain, FF 2009 7259 (Message LRH), 1.1.1, p. 7268.

12 Art. 2 al. 1 LRH.

13 Message Cst. (note 10), 2.1, p. 6352; idem, 5.1, p. 6372.

PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ DES SUJETS DE RECHERCHE

données personnelles liées à la santé, est également susceptible de poser un risque pour la dignité humaine ou la personnalité des personnes qui en sont la source. Bien que le risque pour ces personnes sources soit à l’évidence moins marqué que le risque pour les personnes participant directement à un projet de recherche, il a été considéré comme suffisamment significatif pour justifier d’inclure ces types de recherche dans le mandat constitutionnel. L’art. 2 al. 1 LRH concrétise cette conception large de la recherche sur l’être humain.

L'art. 118b Cst. concerne uniquement la « recherche » sur l’être humain, notion parfois difficile à différencier d'autres activités, en particulier de l’utilisation des résultats de la recherche. Le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la notion de recherche dans une décision rendue dans le contexte de la LPTh14. Une femme atteinte d'un cancer terminal avait été traitée par une dose supra-maximale d'un médicament oncologique, supérieure à la dose supra-maximale figurant dans l’information professionnelle autorisée par Swissmedic (off-label use). La patiente était décédée quelques jours après des suites du traitement.

Dans le choix de la dose, le médecin s'était basé sur les résultats de deux essais cliniques effectués en Allemagne, publiés dans des revues scientifiques crédibles. Le Tribunal fédéral a estimé qu’il convient de distinguer entre, d’une part, une activité de recherche visant à établir de manière systématique l’efficacité et la sécurité d’un médicament et, d’autre part, un essai thérapeutique individuel, même expérimental15. Selon le Message relatif à l’art. 118b Cst., la notion de recherche implique une perspective de généralisation et une entreprise menée de façon systématique, méthodique et vérifiable. La recherche vise à l'acquisition de connaissances basées sur des critères scientifiques, et non au traitement d'un patient en particulier16. Cette notion est confirmée par l'art. 3 let. a LRH qui définit la recherche comme la

« recherche méthodologique visant à obtenir des connaissances généralisables ».

L'art. 118b al. 2 Cst. est plus spécifique que l’art. 118b al. 1 Cst. Il pose plusieurs principes essentiels applicables à la « recherche en biologie et en médecine impliquant des personnes », lesquels sont repris en détail dans la LRH et ses ordonnances d’application. En premier lieu, l'exigence du consentement éclairé de tout participant à un projet de recherche sur l’être humain, sous réserve d’exceptions légales pour lesquelles le refus est contraignant dans tous les cas (art. 118b al. 2 let. a Cst.). Ensuite, le respect de la proportionnalité entre, d’une part, les risques et contraintes que le projet de recherche impose au participant et, d'autre part, le bénéfice de la recherche pour le participant ou pour la société (art. 118b al. 2 let. b Cst.). Le caractère subsidiaire de la recherche sur les incapables de discernement, qui d’une part ne peut être entreprise que si des résultats équivalents ne peuvent être obtenus

14 ATF 134 IV 175.

15 Ibid. c. 3.4.

16 Message Cst. (note 10), 2.2.1, p. 6352.

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chez des personnes capables de discernement, et qui d’autre part ne peut faire courir que des risques et des contraintes minimaux à l’incapable de discernement lorsqu’aucun bénéfice direct du projet de recherche ne peut être escompté pour lui (art. 118b al. 2 let. c Cst.)17. Enfin, une expertise du projet de recherche par une instance indépendante (commission d'éthique) doit avoir établi que la protection des sujets de recherche est assurée (art. 118b al. 2 let. d Cst.). Ces principes essentiels de protection de la personne sont repris et approfondis dans la LRH et ses ordonnances d’application.