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Certification et contrôle de la validité du cahier des charges La certification est une condition préalable à la commercialisation d’un produit

Affaire « L’Etivaz » : droit de la concurrence et appellations d’origine protégées (AOP)

B. Certification et contrôle de la validité du cahier des charges La certification est une condition préalable à la commercialisation d’un produit

sous une dénomination protégée (art. 16 al. 1 et 3 OAOP). Celui qui utilise une AOP ou une IGP doit confier à un organisme de certification le contrôle de la production, de la transformation ou de l’élaboration du produit (art. 18 al. 1 OAOP95).

Le cahier des charges désigne l’organisme de certification, qui doit être accrédité conformément à l’ordonnance sur l’accréditation et la désignation96 (art. 19 OAOP). Dans le cas présent, l’organe de certification est l’Organisme Intercantonal de Certification (ci-après : OIC)97. Or, le Tribunal fédéral a décidé que l’OIC doit être considéré comme délégataire d’une tâche publique98.

Ainsi, l’OIC est une autorité qui rend une décision (art. 1 al. 2 et art. 5 PA)99. Celle-ci est susceptible d’un recours devant une commission indépendante dans un délai de 20 jours100. La décision de la Commission de recours peut ensuite

93 Mais voir DPC 2007/3 495, p. 500 et 504 (taille de la cave invoquée comme étant nécessaire à l’obtention des qualités du produit). Sur les doutes exprimés par le Tribunal fédéral : ATF 139 II 316, c. 6.1; voir aussi : DPC 2011/2 302, point 36.

94 Dans ce sens, BOISSEAUX/BARJOLLE, p. 51. Voir aussi DPC 2007/3 495, p. 504 : « La gestion de la cave par la coopérative lui permettrait également de gérer les stocks et de limiter son accès en cas de surproduction. » (cette affirmation est en contradiction avec les arguments relevés dans la précédente note de bas de page). Sur la répartition de la capacité de la cave de la coopérative entre ses membres et la fixation d’un quota de fromage pour chacun de ses membres, voir aussi ATF 139 II 316, c. 8.

95 Voir aussi l’art. 18 al. 2 OAOP et l’ordonnance du DEFR sur les exigences minimales relatives au contrôle des appellations d’origine et des indications géographiques protégées (RS 910.124).

96 RS 946.512.

97 Voir l’art. 19 du cahier des charges de « L’Etivaz ».

98 ATF 138 II 134, c. 5.2. Sur ce point, le Tribunal fédéral s’est départi de l’analyse de la juridiction inférieure (TAF B-171/2009, 11.11.2009, c. 6 ss).

99 RS 172.021; ATF 138 II 134, c. 5.2.

100 Art. 8 de la Convention OIC du 1er mai 1998.

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être portée devant l’OFAG (art. 166 al. 1 en lien avec l’art. 180 LAgr), puis devant le Tribunal administratif fédéral et, enfin, devant le Tribunal fédéral101.

Dans ce cadre, les autorités appelées à statuer peuvent vérifier à titre préjudiciel la validité du cahier des charges102. Il s’agit d’un contrôle de la légalité de cette norme, à l’occasion d’un acte d’application individuel et concret, en l’occurrence la décision de certification103. Un tel contrôle peut intervenir, même si le cahier des charges est qualifié de décision générale104. A tout le moins, un tel contrôle peut être exigé par tout intéressé qui n’a pas pu participer à la procédure d’enregistrement ayant abouti à l’adoption du cahier des charges (art. 5 ss OAOP ; voir supra III B)105.

Apparemment, le fromager à Témeley-Aï n’a pas pu prendre part à la procédure d’enregistrement de l’AOP « L’Etivaz », car il ne produisait pas du fromage dans cette région à l’époque de l’enregistrement (voir supra II). Par conséquent, il pourrait contester une décision lui refusant la certification, quand bien même son fromage serait affiné dans une cave ne pouvant contenir 3'000 meules, en remettant en question la validité de cette exigence106.

VI. Conclusion

L’affaire « L’Etivaz » soulève des questions à la croisée du droit de la concurrence et de la réglementation en matière agricole.

Sous l’angle de la loi sur les cartels, le refus de la coopérative de donner accès à sa cave n’aurait pas dû être considéré comme une restriction illicite de concurrence. Le demandeur pouvait poursuivre son activité de fromager et commercialiser son produit autrement que sous l’AOP « L’Etivaz » : il avait accès au marché. Autrement dit, son existence économique n’était pas mise en péril par le refus de la coopérative, de sorte qu’il n’y avait pas atteinte illicite à sa personnalité. Par conséquent, la liberté contractuelle aurait dû prévaloir : le Tribunal fédéral aurait dû annuler la décision condamnant la coopérative à admettre le fromager en qualité de sociétaire.

101 ATF 138 II 134, c. 5.3.

102 ATF 134 II 272, c. 3.2 et 3.4, RDAF 2009 I 571. Voir aussi TAF B-4337/2012, 20.8.2013, c. 5.4.3, sic! 2014 88; TAF B-6101/2011, 1.6.2012, c. 2.6 non publié dans sic! 2012 727. Sur les limites du contrôle des normes par une autorité administrative, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, n. 1969.

103 Ce contrôle préjudiciel s’apparente à celui d’une ordonnance fédérale (ATF 134 III 272, c. 3.2, RDAF 2009 I 571); à ce sujet, voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, n. 1966 ss. Voir aussi ATF 122 II 411, c. 3b.

104 ATF 134 II 272, c. 3.3, RDAF 2009 I 571. Voir aussi TANQUEREL, n. 813.

105 ATF 134 II 272, c. 3.4, RDAF 2009 I 571. Dans ce sens aussi : TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER,n. 60 ad § 30.

106 Egalement de cet avis : VON BÜREN,p. 229 ss.

AFFAIRE « L’ETIVAZ » : DROIT DE LA CONCURRENCE ET AOP

Sous l’angle de la réglementation en matière agricole, le cahier des charges de l’AOP « L’Etivaz » suscite des interrogations. L’exigence d’affiner le fromage dans une cave pouvant contenir au moins 3'000 meules n’apparaît pas comme justifiée au regard des objectifs poursuivis par la législation sur les AOP/IGP, à savoir garantir l’origine des produits et leurs caractéristiques liées à leur provenance. Elle restreint donc indûment la liberté économique des fromagers de la région ne disposant pas d’une telle infrastructure. Plutôt que d’exiger à entrer en relation avec la coopérative, le fromager exclu aurait pu contester un refus de certification de son fromage affiné dans une plus petite cave. Il aurait ainsi pu soulever, à titre préjudiciel, la non-conformité du cahier des charges avec le droit supérieur.

En définitive, le processus de certification aurait été la voie appropriée pour assurer au demandeur l’accès à l’AOP. La loi sur les cartels n’aurait pas dû être appliquée en vue d’atteindre un objectif qui n’est pas le sien.

Reste à espérer que le droit du fromager à Témeley-Aï à commercialiser ses produits sous l’AOP sera reconnu. Mais l’affaire n’est pas terminée, le Conseil fédéral devant encore se prononcer sur la demande d’autorisation exceptionnelle de la coopérative. Nous aurons donc le loisir de déguster encore quelques bons fromages avant de connaître l’issue du litige !

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Au nom des droits de la personnalité de l’enfant :