Chapitre 2 : Hiérarchie des facteurs déterminant les émissions
2.3. Répétabilité du dispositif expérimental et du procédé de compostage
2.3.3 Résultats et discussions
2.3.3.1Cinétiques de température
La Figure 16 montre l'évolution des températures à cœur pour les 3 tas. Les écarts sont
importants dans la phase initiale de montée en température puis deviennent inférieurs à 5 K
dans la phase de décroissance. Au cours de la phase initiale une forte variabilité des
températures à l'intérieur de chaque tas est également observée.
Les températures à cœur sont répétables avec un coefficient de variation maximal sur les
profils de 3% pendant la phase thermophile (Figure 16). Cette répétabilité montre que les
processus de création et de pertes de chaleur sont identiques entre les andains, ce qui atteste
de la répétabilité du processus de croissance microbienne et des processus thermodynamiques
d’échange de chaleur (production de chaleur, pertes par conduction et convection). Le CV
maximum (7,5%) a été observé pour le bas du tas durant la phase thermophile. Cette zone est
la moins aérée, la production de chaleur créant un courant d’air ascendant. L’air est donc
aspiré par le côté du tas puis est évacué par la zone haute du tas. La zone basse est donc aérée
de manière plus hétérogène selon les andains.
Figure 16. Evolution des températures à cœur (gauche) pour les tas 1, 2 et 3 (respectivement montrés par un trait noir, des tirets et un trait gris). Coefficient de variations (droite) des températures mesurées en bas (trait noir), sur le côté (tirets noirs), à cœur (trait gris) et en haut (tirets gris) des trois
tas répétés (Oudart et al., 2012)
De même, cette plus forte différence de température, et donc la plus forte variabilité des
processus mis en jeu, est expliquée par le tassement de la zone basse par rapport aux autres
des jus dans les zones basses expliquent également cette hétérogénéité, la répartition de
l’humidité dépendant fortement de l’organisation de la matière et plus précisément du
structurant. Cette organisation est dépendante de la manière dont à été mise en place l’andain,
variant inévitablement d’un tas à l’autre.
2.3.3.2Cinétiques d’émissions gazeuses
La Figure 17 montre que l'émission de CO
2est très proche pour les trois tas. Les émissions
augmentent, atteignent un maximum puis diminuent d'abord rapidement puis de façon
asymptotique. On distinguera donc : la durée entre la mise en tas et le moment du pic,
l'amplitude de l'émission au moment du pic, la rapidité de la décroissance après le pic. D'après
la Figure 17, les points singuliers des cinétiques d’émissions gazeuses sont similaires. Les
durées nécessaires pour atteindre le pic d’émission durant la phase thermophile sont voisines,
la différence entre le premier et le dernier pic étant inférieure à 5h.
Figure 17. Emission de dioxyde de carbone (en gC-CO2 h-1) durant la phase thermophile des tas 1 (trait noir), 2 (tirets noirs) et 3 (tirets gris), Oudart et al., (2012)
Les amplitudes des pics d’émissions varient plus fortement d’un tas à l’autre. L’écart entre la
valeur maximale et la valeur minimale d’émissions au moment du pic est égal à 16,0%,
17,4%, 22,4% et 32,6% respectivement pour la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone,
l’ammoniac (Figure 18) et le méthane (cf. annexe 1 p.243). Les émissions cumulées de CO
2,
36,7 ±1,4% de l’eau initiale et 12,1 ±1,3% de l’azote initial. La variation des flux de gaz pour
une même situation de compostage au moment de la phase thermophile ne semble donc pas
intervenir sur la quantité totale de gaz émis. Les variations observées de l’amplitude du pic
d’émission n’expliquent donc pas l’émission cumulée totale.
Au moment du pic, des amplitudes d'émission plus variables sont observées pour l’ammoniac
et le méthane par rapport au dioxyde de carbone et à l’eau. Pour les deux premiers gaz, les
flux sont largement inférieurs à ceux mesurés pour les deux autres gaz, ce qui explique un
écart relatif plus important. De même, les émissions de dioxyde de carbone et d’eau sont liées
à des processus biologiques et thermodynamiques se produisant dans l’ensemble de l’andain.
En revanche, l’émission d’ammoniac est due à des phénomènes d’échanges à l’interface
liquide/gaz (Sommer et al., 2006). L’ammonium sous forme ionique est converti sous forme
gazeuse en fonction du pH et de la température. Cette conversion est donc liée aux conditions
de pH dans le biofilm, pouvant fortement varier suivant la répartition de l’humidité autour de
la matière sèche. De même, la production de méthane est liée à des effets de site, puisque ce
gaz est produit dans des conditions anaérobies (Conrad, 1996). Le méthane est donc produit
dans les microsites en manque d’oxygène : là où la porosité est remplie par de l’eau (baisse de
l'entrée d'O
2par baisse de la diffusion gazeuse), où la matière est très compacte (baisse de la
macroporosité libre à l'air connectée à l'air extérieur), où la biodégradabilité du carbone est
plus forte (consommation accrue de l'oxygène en périphérie des agrégats entraînant sa
disparition à l'intérieur des agrégats). Le méthane est ensuite évacué par diffusion gazeuse et
par convection de l'air circulant à travers la part de porosité libre à l'air de l'andain qui est
connectée à l'air extérieur. Il peut également être oxydé dans les zones supérieures de l’andain
par les flores méthanotrophes (Morand et al., 1999 ; Streese et Stegmann, 2003). L’émission
observée résulte donc à la fois des flux de production, de diffusion et d’oxydation du
méthane, variant avec la distribution de l’humidité, de la porosité, de la biodégradabilité du
carbone et donc de l’oxygène (Czepiel et al., 1995 ; Kammann et al., 2009) dans l’andain.
Figure 18. Cinétiques d’émission d’ammoniac (en g N-NH3 h-1) durant la phase thermophile des tas 1 (trait noir), 2 (tirets noirs) et 3 (tirets gris), Oudart et al., (2012)
2.3.3.3Bilans massiques
La comparaison des pertes élémentaires déduites du bilan de masse avec les pertes déduites
des mesures d'émissions gazeuses permet d'évaluer l'incertitude sur la quantification des
émissions. La masse et la composition des composts pour l’état initial et après 20 jours de
compostage sont répertoriées dans le Tableau I. Après 20 jours, les masses brutes des 3 tas
étaient très proches (332 ±1,9kg) tout comme la teneur en matière sèche (34,1 ±0,2%). Les
bilans de masses élémentaires étaient également très répétables : les pertes de carbone et
d’eau étaient respectivement égales à 28,1 ±1,2% du carbone initial et 39,7 ±0,6% de l’eau
initiale. Nous faisons l'hypothèse que les pertes d'azote étaient également très proches compte
tenu des émissions ammoniacales similaires. Ces faibles écarts de bilans massiques attestent
du fonctionnement global similaire des andains : les mêmes quantités de matière sèche ont été
converties en gaz et en eau métabolique. De même, les pertes d’eau ont également été
identiques entre les andains.
Tableau I. Compositions chimiques et biochimiques du mélange initial et après 20 jours de compostage : moyenne, écart-type (ET) et coefficient de variation (CV) pour les 3
tas répétés
Mélange initial Compost
Moy ± ET CV (%) Moy ± ET CV (%) MB (kg masse brute) 517,4 ± 0,4 0.1 332.2±1.9 0.6 MS (% masse brute) 29.8 ± 0.9 3.0 34.1±0.3 0.8 TC (% masse sèche) 49.4±0.1 0.1 48.1±0.7 1.5 TKN (%masse sèche) 1,4±0,1 6,5 #N/A #N/A SVS (%masse sèche) 30,0±1,1 3,7 37,5±0,9 2,5 HCVS (%masse sèche) 27.5±0.4 1.4 16.2±0.1 0.8 CVS (%masse sèche) 36.4±0.6 1.8 36.8±0.8 2.2 LVS (%masse sèche) 6.1±0.2 2.8 9.5±0.3 2.7
MB : masse brute ; MS : matière sèche ; TC : teneur en carbone ; TKN : teneur en azote total (Kjeldahl) ; Svs : matière sèche soluble (van Soest) ; HCvs : hémicelluloses (van Soest) ; Cvs : cellulose (van Soest) ; Lvs : Lignine (van Soest)
Les pertes d'eau et de carbone sont proches (écarts respectifs de 10 à 20%). Les pertes
élémentaires estimées par le calcul des émissions gazeuses ont été surestimées par rapport à
l’estimation faite par le calcul des bilans massiques (Tableau II). Les variations entre les 3 tas
étaient également plus importantes pour l’estimation faite par le calcul des émissions
gazeuses. Trois hypothèses peuvent expliquer ces différences :
- la complexité du protocole de mesure des émissions gazeuses par rapport aux
protocoles de mesure des concentrations élémentaires dans les échantillons a pu induire
une plus forte incertitude de mesure à l'origine d'un biais ;
- les émissions d'autres espèces chimiques ont été significatives (émissions d'acides gras
volatils, AGV, non négligeables) et l'eau produite ou consommée par le métabolisme
microbien (produite à partir de la dégradation de la matière sèche initiale ou
consommée pour fabriquer la biomasse microbienne) n'a pas été négligeable ;
- les enceintes étant en ventilation naturelle (par effet de densité de l'air), une part des
gaz est sortie par diffusion gazeuse en plus de la part mesurée sur le flux convectif de
la cellule.
Les émissions gazeuses ont donc donné une estimation des cinétiques de transformation de la
matière dans le temps, tandis que les bilans de masses ont permis d’attester des quantités
d’éléments perdus. Les bilans massiques, qui présentent des CV inférieurs, sont donc
essentiels pour corriger les calculs de pertes élémentaires par mesure des émissions gazeuses.
Tableau II. Pertes de carbone, d’eau et d’azote mesurées par les émissions gazeuses et par bilan de masse.
Emissions gazeuses Bilan de masse
Moy ± ET CV (%) Moy ± ET CV (%) C-CO2 (% carbone initial) 24,2±2,0 8,3 28,4±1.2 4,4 H2O (% eau initiale) 36,7±1,4 3,8 39,7±0.6 1,5 N-NH3 (% azote initial) 12,1±1,3 10,9 #N/A #N/A