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Chapitre 1 : Les courbes environnementales de Kuznets et les changements de couverture

1.2 Les courbes forestières de Kuznets : apports et critiques

1.2.2 Résultats des modèles transnationaux et infranationaux

Au sujet des études transnationales et tel qu’illustré au tableau III (p. 30), 11 des 17 publications ont identifié une CFK, du moins pour l’une des subdivisions géographiques étudiées. Qui plus est, deux autres études, soit celles de Mather et al. (1999b) et Meyer et

al. (2003), génèrent des résultats qui pourraient appuyer l’idée de la thèse des CFK

quoiqu’ils ne soient pas strictement compatibles avec une CFK. Selon leurs résultats, la relation entre développement et taux de déforestation serait quadratique mais de sens inverse à une CFK. Ainsi, avec le développement, le taux de déforestation décline jusqu’à devenir négatif (reforestation nette) puis, suite au point d’inflexion, soit respectivement 8000 $US 199011 et 19 500 $US 2000 PPP, le reboisement s’estompe pour laisser place au retour de la déforestation. Ceci survient respectivement à environ 12 000 $US 199012 et 30 000 $US 2000 PPP.

Dans quelle mesure la prédominance de résultats montrant une CFK appuie-t-elle la thèse de la CFK? Soulignons dans un premier temps que sous l’apparence d’une concordance de résultats se cache une impressionnante diversité des résultats obtenus. Premièrement, au sujet de la nature des CFK identifiées, ces dernières représentent dans la majorité des cas l’accélération puis le ralentissement de la déforestation en fonction du développement – ce que nous avons appelé la définition souple d’une CFK. Seuls quelques travaux ont obtenu des résultats compatibles avec la définition stricte d’une CFK (Bhattarai et Hammig, 2001; Meyer et al., 2003; Panayotou, 1993). Aussi, dans certains cas, les CFK identifiées ont en fait une forme particulière où seule une portion de la courbe constitue une CFK. Outre les travaux de Mather et al. (1999b) et Meyer et al. (2003) mentionnés au paragraphe précédent, ceci est également survenu chez Bhattarai et Hammig (2001), où la courbe obtenue comporte deux points d’inflexion (on parle alors de courbe cubique) et non un seul. Ainsi, leur courbe portant sur l’Asie ne constitue une CFK que dans la portion où le PIB est supérieur à 2200 $US 1985.

Deuxièmement, à au moins une occasion, soit dans le cas de Bhattarai et Hammig (2001; Amérique latine et Afrique), la CFK identifiée est fortement asymétrique et le

11 Environ 10 500 $US 2000, calculé d’après http://www.westegg.com/inflation/infl.cgi 12 Environ 15 800 $US 2000, calculé d’après http://www.westegg.com/inflation/infl.cgi

ralentissement de la déforestation est si minime qu’il apparaît dangereux d’y voir une amélioration de la situation forestière. Étant donné l’absence fréquente d’une représentation graphique de la courbe obtenue, il nous a été impossible d’évaluer si une telle asymétrie est présente ailleurs.

Troisièmement, les résultats obtenus présentent d’énormes variations à la fois au sein des études qu’entre elles. Ces différences inter-études s’observent notamment quant à la forme et la position de la courbe liant développement et déforestation (ex. : position ou nombre de points d’inflexion), la nature de la relation entre les autres variables indépendantes et la déforestation, ou la part de la variation des taux de déforestation expliquée par les modèles. Il est remarquable à ce titre que l’ensemble du spectre soit couvert, le coefficient de détermination13 étant parfois quasi nul (Shafik et Bandyopadhyay, 1992), ce qui laisse présager un rôle quasi anecdotique du développement, et parfois tout près de l’unité (Antle et Heidebrink, 1995; Scrieciu, 2007). Peu crédible, ce dernier résultat suggère un problème de qualité de données forestières ou de spécification du modèle (voir plus loin). Quant aux variations internes au sein des études, on remarque tout d’abord que les travaux ayant produit des évaluations distinctes selon les zones géographiques présentent des résultats fort différents selon la zone considérée. À titre d’exemple, Bhattarai et Hammig (2001), Cropper et Griffiths (1994), Culas (2007) et Barbier (2001) trouvent une CFK pour l’Amérique latine, mais ceci n’est pas le cas pour l’Asie (sauf chez Bhattarai et Hammig, 2001). Il est également notable que les variables indépendantes expliquent une plus large part de la variation des taux de déforestation en Afrique et en Amérique latine qu’en Asie. De même, plusieurs travaux, et en particulier ceux de Barbier (2001), Koop et Tole (1999) et Scrieciu (2007), présentent des résultats variant fortement, voire du tout au tout, selon le type d’estimateur utilisé ou les variables indépendantes incluses dans le modèle. Comme nous le verrons plus loin, ceci suggère fortement que les modèles construits sont peu robustes.

13 Le coefficient de détermination représente la part de la variation des taux de déforestation corrélés avec les

variables explicatives (la part de la variation de y « expliquée » par la variation des variables explicatives). Sa valeur varie de 0 à 1, soit de 0% à 100% de la variation expliquée par le modèle. Le coefficient de détermination ajusté pour le nombre de degrés de liberté peut cependant prendre une valeur négative.

Deux des trois études utilisant un modèle infranational obtiennent des résultats compatibles avec une CFK. Vincent et Ali (1997) montrent avec leur modèle transversal que le taux de déforestation entre 1972 et 1981 en Malaisie était plus élevé au sein des districts où le revenu moyen était intermédiaire entre les districts riches et ceux pauvres. Zhang et al. (2006) et Wang et al. (2007) ont produit des analyses de panel de l’évolution des forêts en Chine au cours d’une période marquée par l’expansion nette des forêts. Les premiers ont produit des analyses de l’étendue et de l’évolution des forêts entre 1990 et 2001 à trois niveaux : national, régional et provincial. Ils obtiennent une corrélation positive entre développement et étendue des forêts (et non une relation curvilinéaire) et en concluent que la Chine se trouve dans la seconde portion de la CFK. Leurs travaux sont difficiles à interpréter, entre autres parce que leur modèle assume une relation linéaire entre développement et forêts. Ils ne peuvent donc pas évaluer l’existence d’une CFK. Leur étude a été critiquée par Wang et al. (2007; voir plus loin). Ces derniers ont étudié une période plus longue allant de 1984 à 2003 et obtiennent quant à eux une relation quadratique entre développement et forêts, mais de sens inverse à une CFK. Celle-ci suggère que l’étendue des forêts s’accroît d’abord avec le développement mais à un rythme décroissant. Au delà du point d’inflexion, la relation s’inverse et les forêts régressent avec le développement. Il semble que trois provinces soient dans une telle situation (forts revenus et déforestation), soit Tianjin, Beijing et Shanghai.

La majorité des études ont conclu à l’existence d’une courbe forestière de Kuznets, ou du moins elles présentent des résultats compatibles avec une telle courbe. Comme nous le verrons plus loin, ces résultats doivent être critiqués sous deux angles. D’une part, ces travaux sont sujets à des problèmes méthodologiques importants affectant la robustesse et par extension la crédibilité des résultats (section 1.2.3). D’autre part, la capacité de ces travaux à nous renseigner sur les mécanismes causaux expliquant les relations statistiques mises en évidence est fort limitée. Ceci pose donc la question de l’interprétation des résultats (section 1.2.4).