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Les graphiques suivants représentent des mélanges de liquides en proportions variables, entre un composé enrichi (éclogite) et un composé appauvri (lherzolite à spinelle), ayant subi des taux variables de fusion partielle. Ainsi, quatre paramètres peuvent influencer la composition du mélange final (Fig. V.8) :

- la quantité de sédiments introduite avec la croûte océanique pendant la subduction [X(sed)], - le taux de fusion partielle du composé appauvri [F]

- et celui du composé enrichi [F’],

- la quantité de liquide provenant du composé enrichi mise en jeu dans le mélange final [X (liq)]. Dans les graphiques suivants, les différentes courbes représentent des mélanges pour lesquels :

- la quantité de sédiments recyclés varie de 1 à 5%,

- le taux de fusion appliqué à l’éclogite et à la lherzolite de 1 à 20%

- et les proportions de mélange du liquide issu de la fusion du composant enrichi est de 5 à 90%.

Figure V.8. Schéma de principe du modèle proposé. ”X” pour proportion. Les paramètres du modèle qui influencent la composition du liquide final sont entourés en rouge et correspondent à la quantité de sédiments [X(sed)] qui est recyclée avec la croûte océanique, les taux de fusion partielle [F pour la péridotite et F’ pour l’éclogite] et la quantité de liquide issue de l’éclogite qui entre dans le mélange final [X(liq)].

D’après les arguments précédents, nous appliquons un taux de fusion à l’éclogite supérieur à celui subi par la lherzolite. Les compositions chimiques à retrouver correspondent à celles de cette étude, Groupe A et B. Ces données étant représentatives de celles de toute La Réunion, nous n’ajoutons pas les données issues de la littérature qui auraient seulement pour effet de surcharger les figures. Pour les mêmes raisons, seules les valeurs modélisées qui permettent de retrouver ces compositions sont représentées.

Il est important de noter que les paramètres du modèle que l’on modifie (les taux de fusion partielle, la quantité de liquide enrichi et celle de sédiments) sont fortement liés entre eux. Par exemple, un taux de fusion partielle globale (pour l’éclogite et la lherzolite) moins important a pour conséquences de produire un liquide final qui comprend une part de liquide issu du composant enrichi plus fusible, plus importante. Ces relations entrainent deux conséquences :

- il est difficile d’isoler l’influence de chacun des paramètres de façon indépendante,

- différentes combinaisons de paramètres peuvent rendre compte de mêmes valeurs : la fusion moins importante d’un composant très riche en sédiments peut donner des résultats équivalents à une fusion plus élevée sur un composant plus pauvre en sédiments.

C’est pourquoi, nos résultats sont présentés selon les rapports des éléments en traces et/ou des éléments isotopiques et non selon les différents facteurs. Nous extrayions successivement les informations apportées par ces éléments, en mettant en avant lorsque cela est possible le ou les facteurs dont l’influence est dominante. De cette façon, nous rétrécissons progressivement les gammes de valeurs des paramètres et affinons le modèle.

V.3.1.Apports des éléments traces et influence du taux de fusion partielle

Dans un premier temps, nous cherchons à évaluer l’influence du taux de fusion partielle sur les compositions utilisées dans le modèle. Rappelons que le taux de fusion partielle joue un rôle direct sur la quantité de liquides de fusion impliquée dans le mélange.

On observe sur la figure V.9 ((Sm/Yb)N versus (La/Sm)N), que les terres rares légères (du La au Sm) sont affectées par le taux de fusion (b) de chacun des composés (éclogite et lherzolite), et plus particulièrement celui de l’éclogite : pour une quantité de sédiments équivalente, un taux de fusion moins élevé (pour l’éclogite et/ou la lherzolite) entraine un rapport (La/Sm)N plus important.

L’augmentation de la quantité de sédiments pour un même taux de fusion partielle appliqué, entraine également une augmentation du rapport (La/Sm)N.

Concernant les terres rares lourdes (Sm à Yb), elles contraignent la proportion de liquide issu du composé enrichi contenu dans le mélange (voir Fig. V.7). Une augmentation de la participation du liquide ”enrichi” augmente le rapport (Sm/Yb)N (c). Cela est lié au contrôle du grenat sur les terres rares lourdes, grenat qui est essentiellement contenu dans le composant minoritaire enrichi. De ce fait, plus le mélange des liquides de fusion contient une quantité importante de liquide issu de la fusion du composant enrichi, plus les terres rares lourdes sont fractionnées, restant piégées au niveau de la source. La variation de fusion (qui se lit verticalement sur le graphique) n’a pas d’influence directe sur les terres rares lourdes, parce que le grenat joue un ”effet pépite”.

Figure V.9. Rapports des terres rares lourdes (Sm/Yb) en fonction des terres rares légères (La/Sm), normalisés aux chondrites (McDonough et Sun, 1995). Les incréments de fusion des pôles sont indiqués en gras et italique (de 1 à 20%) et les proportions du liquide enrichi sont en italique (de 5 à 90%).

L’ensemble de ces informations permet de proposer plusieurs scénarii pour rendre compte de nos données et plus particulièrement pour passer de la composition du Groupe A à celle du Groupe B. Par rapport au Groupe A, le Groupe B semble nécessiter soit :

- (1) une fusion partielle moins élevée (en particulier pour l’éclogite), - (2) plus de sédiments dans la source,

- (3) une quantité de liquide enrichi plus élevée.

Quantitativement, le Groupe B est retrouvé pour une fusion d’éclogite de 5%, avec des teneurs en sédiments allant de 2 à 5% alors que le Groupe A, peut connaitre une fusion plus forte (de 10 à 5%) pour une quantité de sédiment variant entre 2 et 5% (5% de sédiment pour une forte fusion et 2% de sédiment pour une moindre fusion). L’augmentation de la fusion de la lherzolite (F) pour un taux de fusion d’éclogite F’ constant recouvre une plus large composition de (La/Sm)N, et permet ainsi de retrouver l’ensemble des laves du Groupe A, légèrement dispersé.

V.3.2. Apports des éléments traces et isotopiques et influence de la quantité de sédiments

Sur la figure V.10 qui représente (La/Yb)N en fonction de 87Sr/86Sr, nous voulons mieux contraindre la quantité de sédiments à recycler avec la croûte océanique pour former le pôle enrichi. Le rapport 87Sr/86Sr n’étant pas influencé directement par la fusion mais seulement par la quantité de sédiments recyclés, il impose la quantité de sédiments recyclés minimale requise pour le mélange. Comme il s’agit d’un mélange, nos données doivent se trouver entre les deux pôles : le pôle ”lherzolite” et le pôle ”éclogite”. On observe que la quantité de sédiments nécessaire pour générer nos données est comprise entre 3 et 5 % et que le taux de fusion se situe entre 3 et 8% pour l’éclogite.

Figure V.10. 87Sr/86Sr en fonction de (La/Yb)N, avec ”N” pour normalisées aux chondrites C1 (McDonough et Sun, 1995)

On peut également obtenir à partir de cette figure des informations sur la fusion, de la même façon que précédemment, en utilisant le rapport de terres rares (La/Yb)N, ce qui permet de proposer une gamme de teneurs en sédiments et en taux de fusion :

- pour les taux de fusion appliqués (> 3%), l’ensemble de nos données (Groupes A et B) nécessite une éclogite qui contient au moins 3% de sédiments, voire 4% pour le Groupe B. On

remarque également que le rapport 87Sr/86Sr impose une proportion de liquide enrichi dans le mélange plus importante pour le Groupe B que pour le Groupe A. Par exemple, pour une fusion de 5 % appliquée à une éclogite à 4 % de sédiments, le Groupe A se retrouve entre 20 et 30 % de participation du liquide enrichi et le Groupe B, pour 30 à 40 %.

V.3.3. Complément des apports des rapports isotopiques et influence de la quantité de sédiments

Nous avons observés dans les figures précédentes, que ces rapports sont essentiellement influencés par la nature de la source, c'est-à-dire la quantité de sédiments recyclés et la quantité de liquide enrichi dans le mélange. Une augmentation de la quantité de sédiments de la source ainsi que la proportion du liquide enrichi ont tendance à donner des compositions isotopiques plus proches du pôle enrichi, et ainsi de se ”rapprocher” des compositions du Groupe B.

Sur la figure V.11 qui représente les rapports isotopiques du 143Nd / 144Nd en fonction du 87Sr / 86Sr, on voit clairement l’influence des sédiments. Les ”pôles éclogites” qui rendent le mieux compte de nos données sont ceux qui possèdent entre 3 et 5% de sédiments.

Notons que le taux de fusion de la lherzolite a une légère influence sur les courbes de mélange : une augmentation de cette fusion accentue la courbure des lignes de mélange, c'est-à-dire augmente le rapport 143Nd/144Nd pour un rapport 87Sr/86Sr donné et inversement. Dans notre cas, le taux de fusion de la lherzolite ne semble pas être influent.

Figure V.11. Rapports isotopiques du 143Nd / 144Nd en fonction du 87Sr / 86Sr. .

V.3.4. Confirmation des résultats précédents

Les deux diagrammes suivants (Fig. V.12 a et b) qui montrent les rapports isotopiques du 176Hf / 177Hf en fonction du 143Nd / 144Nd et du 206Pb/ 204Pb en fonction du 87Sr/86Sr confirment les conclusions précédentes sur les différents paramètres qui permettent de retrouver nos données:

- une teneur en sédiments recyclés X(sed) de 3 à 5 %, - un taux de fusion de l’éclogite (F’) compris entre 3 et 8 %,

- un taux de fusion de la lherzolite (F) entre 2% et 8 % au maximum.

La participation du liquide enrichi au mélange dépend du taux de fusion (de l’éclogite et/ou de la lherzolite) appliqué et essentiellement de la quantité de sédiments recyclés. Ainsi plus, le taux de fusion est faible et/ou plus l’éclogite est riche en sédiment, moins la quantité de liquide enrichi mise en jeu pour retrouver les laves du Groupe B est importante.

Figure V.12. Rapports isotopiques (a) du 143Nd / 144Nd en fonction du 176Hf / 177Hf et (b) du 87Sr/86Sr en fonction du 206Pb/ 204Pb.

La figure V.13 qui présente les rapports 208Pb / 204Pb en fonction 206Pb / 204Pb, met en avant pour la première fois qu’une teneur en sédiments de 2-3% parait nécessaire pour retrouver les compositions du Groupe A, alors que précédemment les gammes étaient comprises en 3 et 5 %. Toutefois, les isotopes du plomb ne sont pas discriminants entre les Groupe A et B (voir chapitre IV), mais on remarque qu’une partie des laves du Piton des Neiges sont moins radiogéniques que celles du Piton de la Fournaise du Groupe A et celles du Groupe B, dont l’échantillon PdN 17 a une composition particulièrement peu radiogénique (206Pb/204Pb = 18,07, 207Pb/204Pb = 15,56, 208Pb/204Pb = 38,09). Notre modèle semble indiquer une participation beaucoup moins importante du liquide enrichi dans la composition d’une partie des laves du Piton des Neiges pour les isotopes du plomb.

Figure V.13. Rapports isotopiques 208Pb / 204Pb en fonction 206Pb / 204Pb.

V.3.5. Bilan de la modélisation

De façon générale, les éléments en traces contraignent le taux de fusion alors que les rapports isotopiques renseignent sur la nature de la source, c'est-à-dire la quantité de sédiments recyclés avec la croûte ou les proportions du liquide issu de la fusion de l’éclogite dans le mélange.

Le Groupe B se distingue clairement du Groupe A par son enrichissement en terres rares ((La/Yb)N = 10,1 – 11,4 pour le Groupe B et inférieur à 9,6 pour le Groupe A, sauf pour trois échantillons de la Série Différenciée du PdN, (La/Yb)N = 11,2 – 12,2) et son signal isotopique qui tend plus vers le pôle EM2 (voir chapitre IV). La transition du Groupe A vers le Groupe B peut être due à trois paramètres :

- une quantité de sédiments recyclée avec la croûte océanique plus importante pour former le pôle enrichi,

- une proportion plus grande de liquide issu de l’éclogite,

- un taux de fusion partielle plus faible pour une éclogite de même nature (c'est-à-dire pour une même quantité de sédiments recyclé avec la croûte océanique),

Il est important de rappeler que ces paramètres sont plus ou moins liés entre eux, par exemple une éclogite issue d’une croûte océanique recyclée plus riche en sédiments nécessitera une fusion moins importante qu’une éclogite moins riche pour avoir la même composition en éléments traces. De même, un taux de fusion partielle moins important entrainera une proportion moindre de liquide très enrichi issu de l’éclogite. Ces relations font que nous ne pouvons pas proposer un modèle unique exclusif de formation des laves de cette étude, mais permettent néanmoins de contraindre l'ordre de grandeur de chacun des paramètres, résumés dans le tableau suivant (Tab. V.4) :

Tableau V.4. Ordres de grandeur des paramètres du modèle qui rendent compte de la composition des laves de cette étude.

Ce modèle permet de conclure que deux paramètres contrôle le ”passage” des compositions du Groupe A vers celles du Groupe B :

- (1) une diminution du taux de fusion partielle et en particulier celle de l’éclogite (la péridotite ayant moins d’influence),

- (2) un enrichissement de la source en sédiments et/ou une proportion de liquide enrichi plus importante dans le mélange final.

Ces résultats sont compatibles avec les éléments majeurs, qui montrent un enrichissement relatif en K2O et P2O5 dans les laves du Groupe B par rapport au Groupe A (teneurs de 1,62 à 1,96 pds % pour le K2O et de 0,41 à 0,79 pds % pour le P2O5 pour le Groupe A contre des valeurs inférieures à K2O = 0,95 pds % et à P2O5 = 0,42 pds %). Cet enrichissement que l’on retrouve dans les phases telles que dans les clinopyroxènes et les plagioclases (voir chapitre IV) impose un liquide qui contient plus d’éléments incompatibles, soit parce que sa nature est différente soit parce qu’il a subit une fusion partielle moins élevée.

Nous allons donc dans les parties suivantes tester ces 2 modèles, et tenter de les discriminer, en les replaçant dans le contexte de l'île de La Réunion, puis du point chaud.