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Peu de données isotopiques récentes (postérieures à 1985) ont été publiées sur le Piton des Neiges (Hamilton, 1965 ; MacDougall et Compston, 1965 ; Cooper et Richards, 1966 ; Oversby, 1972 ; Hedge et al., 1973 ; Zielinski, 1975 ; Dupré et Allègre, 1983 ; Fisk et al., 1988 ; Bosch et al., 2008). Toutefois, elles couvrent toute l’histoire du volcan et montrent une dispersion, pour tous les systèmes isotopiques (Sr, Nd, Hf et Pb), aussi large que celle

analysées de façon complète (isotopes de Sr, Nd, Hf, Pb par Albarède et al., 1997 ; Luais, 2004 ; Bosch et al., 2008) mais, pour ces trois études, il s’agit du même lot d’échantillons.

Ces échantillons ont été prélevés lors d’une descente en rappel de la falaise de la Rivière des Remparts, par Jacques Bertola et Christian Germanaz aux alentours de 1993, à 500 m en amont du Coteau Sipec. Concernant les données en Hf radiogénique, elles restent très récentes pour les deux édifices (Bosch et al., 2008 ; Pietruszka et al., 2009).

Les laves de La Réunion sont connues pour avoir une composition isotopique en Sr, Nd, Pb et He particulièrement homogène en comparaison avec les laves des autres points chauds dans le monde, comme Hawaii ou Kerguelen (Fig. II.12 ; Fisk et al., 1988 ; Graham et al., 1990 ; Staudacher et al., 1990 ; Albarède et al., 1997 ; Fretzdorff et al., 2002 ; Bosch et al., 2008 ; Pietruszka et al., 2009).

De petites variations systématiques en Nd, Pb radiogéniques et éléments traces ont été identifiées sur les laves de la Fournaise. Concernant le 143Nd/144Nd, les laves anciennes du Piton de la Fournaise montrent les valeurs les plus faibles pour ce volcan. Ces valeurs augmentent (de 0,512751 à 0,512902) graduellement sur environ 530 ka. Cette augmentation s’accompagne d’une décroissance de l’index d’alcalinité (Luais, 2004). Ces variations concernant les isotopes du Nd ne sont pas corrélées avec une variation pour les isotopes du Sr.

Luais (2004) explique cette variation par la contribution, décroissante au cours du temps, d’un élément enrichi avec un faible rapport 143Nd/144Nd dans le panache mantellique. Ces variations en Nd radiogéniques ont été remises en question par Bosch et al. (2008), qui notent une absence de séparation des autres Terres Rares (légères et moyennes) avant le passage sur colonne. Il est vrai que le signal isotopique semble fortement corrélé à la pétrologie de l’échantillon (le plus faible rapport 143Nd/144Nd correspond à une roche pintade et le plus fort rapport à une océanite).

Figure II.12. (a) Comparaison des rapports 143Nd/144Nd vs 87Sr/86Sr de La Réunion avec les OIB et les MORB de l’Océan Indien. (b) Digramme 143Nd/144Nd vs 87Sr/86Sr des laves du Piton de la Fournaise (Remparts, Langevin, Grand Brûlé) et du Piton des Neiges. D’après Luais, 2004.

Pour les éléments traces, Albarède et Tamagnan (1988) montrent une fluctuation rapide du Ce/Yb des laves historiques de la Fournaise (1931 à 1986). Ils interprètent cela comme le mélange de magmas produits par des degrés de fusion variables.

D’autres auteurs (Fisk et al., 1988 ; Albarède et al., 1997 ; Vlastélic et al., 2005, 2007, 2008 ; Bosch et al., 2008 ; Pietruszka et al., 2009) proposent que les laves de la Fournaise aient été légèrement ou fortement contaminées par la croûte océanique indienne et/ou l’édifice volcanique et/ou des composants hydrothermalisés. Par exemple, Vlastélic et al. (2005) ont identifié de fines variations du signal isotopique du plomb et en éléments traces dans les laves récentes de la Fournaise (parfois émises au cours même d’une éruption), dues à une

contamination du magma du panache avec l’encaissant. L’interaction avec la croûte océanique serait constante, de l’ordre de 5%, de 1998 à 2001, puis augmenterait jusqu’à 10%

jusqu’en 2004. Parallèlement, la contamination par les formations de l’édifice volcanique serait décroissante de 15 à 0% sur toute cette période.

Les isotopes du plomb montrent plus de variations que les autres systèmes. Ceci a été décelé dès 1972 par Oversby pour les laves du Piton des Neiges. Ces variations restent toutefois subtiles. Toutes les laves de La Réunion sont marquées par une anomalie Dupal (valeurs hautes en 208Pb/204Pb et 207Pb/204Pb pour un rapport 206Pb/204Pb donné ; Hart, 1984) typique des OIB et des MORB de l’Océan Indien.

Bosch et al. (2008) présentent deux tendances, quasiment parallèles, pour les isotopes du plomb ; chacune étant associée à l’un des deux volcans de La Réunion, et tendant vers des compositions moins radiogéniques au cours du temps. A partir d’une analyse en composantes principales portant sur les isotopes du plomb, ils proposent que le panache mantellique de La Réunion moderne soit représenté par un mélange entre la composante C et la composante EM1, avec une contribution majeure de C (première composante principale pour 98,2 % de la variance totale). La seconde composante principale correspond à 1,4 %de manteau supérieur appauvri (DMM). Pour les laves du Piton des Neiges, la participation du composant appauvri serait plus importante : 90,8 % de C et EM1 pour la première composante et 8,8 % de DMM pour la seconde. Les compositions utilisées sont celles de Hanan et Graham (1996) pour C et Chauvel et al. (1992) ou Gasperini et al. (2000) pour EM1 qui représente la marque de l’anomalie Dupal. Bosch et al. (2008) proposent que ces laves aient pour source un panache mantellique hétérogène, qui est échantillonné par deux blobs de compositions différentes (Fig.

II.13). Ces blobs de petites tailles (< 10 km de rayon) remonteraient rapidement depuis la base de la lithosphère avec un léger décalage temporel, donnant chacun naissance à un édifice volcanique. Ce modèle expliquerait ”l’homogénéité” des laves de La Réunion, c'est-à-dire la faible dispersion des compositions isotopiques relativement aux autres OIB, en induisant une différence légère que l’on retrouve dans les laves des deux édifices.

Figure II.13. Modèle schématique de l’évolution du Piton des Neiges et du Piton de la Fournaise avec l’ascension de deux blobs mantelliques. (a) Stade 1 : première phase de construction du bouclier il y a 2 Ma, avec l’impact du premier blob sous la lithosphère rompue. (b) Stade 2 : Phase de la construction du volcan bouclier entre 1,8 et 0,7 Ma. Les liquides percolent à travers la lithosphère appauvrie pendant le stade 1. (c) Stade 3 : dernière phase d’activité du Piton des Neiges (il y a 0,5 Ma) correspondant à la fusion de la queue du blob avec de faibles fréquences d’éruptions. Ceci est contemporain de l’impact du second blob. Les liquides qu’il produit percolent à travers une lithosphère appauvrie par 1,5 Ma d’activité du PdN, c’est pourquoi ces laves présentent la signature du panache mantellique la plus homogène. (d) Stade 4 : actuellement, extinction du PdN accompagnée de l’augmentation de la fusion de la queue du second blob. Associées à une fréquence d’éruptions moins importante, les compositions isotopiques des produits du PdF ont tendance à se rapprocher du composant mantellique appauvri. D’après Bosch et al., 2008.

Cette étude comporte deux chantiers complémentaires : un échantillonnage sous-marin et un échantillonnage subaérien. L’objectif de cette vaste zone d’étude est de maximiser les chances de prélever des roches anciennes de La Réunion, plus particulièrement dans la zone Est de l’île. Nous détaillons dans cette partie le choix des sites d’échantillonnage. Les coordonnées des sites et les détails sur les techniques de prélèvement se trouvent en annexe.