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Les points chauds en contexte océanique sont associés à la formation de chaines d’îles océaniques, et à l’existence d’une anomalie thermique à l’origine d’un magmatisme perçant régulièrement la croûte océanique qui se déplace (Wilson, 1963 ; Morgan, 1971 ; Steinberger et O'Connell, 1998). Ainsi, va être reliée une source plus ou moins profonde dans le manteau, avec une zone de fusion à la base de la lithosphère, à une série de volcans qui se forme en surface et évoluant chimiquement au cours du temps (Fig. I.3).

Figure I.3. Carte Bathymétrique de l’archipel d’Hawaii. Abréviations des noms de volcan : EM pour East Molokai’i; HA pour Haleakala; HU pour Hualalai; K pour Kaho’olawe; KL pour Kilauea; KO pour Kohala; L pour Lanai; LO pour Lo’ihi; M pour Mahukona; MI pour West Maui; MK pour Mauna Kea; ML pour Mauna Loa; WM pour West Molokai’i. H pour Hilo (site de forage); HF.Z.

pour Hawaii Fracture Zone (seulement la partie nord). D’après Lipman et Calvert, 2011.

I.2.1. La lithologie du manteau supérieur

Le manteau est essentiellement constitué de roches ultrabasiques de composition minéralogique variable selon la profondeur et donc la pression. La composition minéralogique du manteau est connue, pour les premiers cent à cent cinquante kilomètres, à partir des

xénolites remontés par les laves ou de massifs péridotiques exhumés, ou bien déduite expérimentalement pour les domaines plus profonds (Green et Ringwood, 1967). Les études pétrologiques et géochimiques (McDonough et Rudnick, 1998…) montrent que le manteau supérieur serait essentiellement constitué d’olivine, de pyroxène et d’une phase alumineuse (feldspath, spinelle, ou grenat selon la pression). Les études en haute pression (Sautter et Gillet, 1994…) montrent qu’une succession de transformations minéralogiques se produit quand la profondeur augmente : à 410km Olivine α -> Olivine β (Wadsleyite), à 520km phase β -> phase γ (Ringwoodite). Au delà de 660km, la phase γ se transforme en un assemblage de pérovskite et magnésiowüstite. A cette profondeur une séparation minéralogique permet de distinguer le manteau supérieur et le manteau inférieur. La transformation de l’olivine γ en pérovskite représente un fort contraste thermodynamique qui, dans certains cas, marque la limite d’enfoncement du slab (plan de Benioff). Le manteau supérieur est également divisé physiquement par une limite thermique, représentée par l’isotherme 1300°C, qui sépare l’asthénosphère de la lithosphère. Ces deux entités, de même composition minéralogique (péridotite), possèdent des comportements mécaniques différents qui créent un contraste de viscosité important que ce soit vis-à-vis de la tectonique des plaques ou de la remontée d’un panache mantellique.

L’hétérogénéité chimique du manteau inférieur serait transmise au manteau supérieur.

Allègre et al. (1984) proposent un modèle de ”blob clusters”, c’est à dire la présence de gouttes de matériel remonté par différence de densité depuis le manteau inférieur jusque dans la matrice asthénosphérique. Hirschmann et Stolper (1996) proposent que le manteau supérieur soit injecté, de façon plus ou moins dense, de veines ou de lits de pyroxénites plus faciles à fondre que la matrice appauvrie (”veined mantle”). Ce modèle rejoint celui du Marble-Cake d’Allègre et Turcotte (1986), basé sur l’observation de veines de pyroxénites dans les massifs xénolitiques à l’affleurement. Il est donc clairement établi qu’un panache peut avoir une source hétérogène qui génère une zone de fusion avec du matériel enrichi (pyroxénite) et du matériel appauvri (péridotite), comme le modélisent par exemple Sobolev et al. (2005) pour le panache d’Hawaii.

I.2.2. La modélisation de la fusion au sein d’un panache

Sobolev et al. (2005) s’appuient sur un modèle de fusion dynamique dans un contexte de panache hétérogène pour expliquer la variation de composition des magmas parents

d’Hawaii (Fig. I.4). Le panache contiendrait deux lithologies différentes (Hofmann et White, 1982) : de la croûte et/ou lithosphère océanique recyclée et de la péridotite. Le composant recyclé serait une éclogite qui dérive de basaltes océaniques primitifs, de gabbros océaniques et de sédiments. La température au solidus de cette éclogite étant beaucoup plus faible que celle de la péridotite, l’éclogite est un composé plus fertile. C'est-à-dire qu’elle fond plus facilement qu’une péridotite à pression égale ou fond à des profondeurs plus grandes dans le conduit d’un panache (Yasuda et al., 1994). D’après Sobolev et al. (2005), en fondant elle forme un liquide riche en SiO2 qui est très réactif avec les péridotites riches en olivine. Ce liquide percolerait dans la péridotite et la transformerait à l’état solide en pyroxénite sans olivine. Ce métasomatisme (fusion de l’éclogite qui interagit avec la péridotite) se poursuivrait jusqu’à ce que l’éclogite soit trop réfractaire pour continuer à fondre. A ce stade, il y existe alors trois lithologies différentes dans le panache : une pyroxénite sans olivine (péridotite métasomatisée), la péridotite originelle non métasomatisée et des restites d’éclogite réfractaire.

Les magmas sont ensuite générés par la fusion importante de pyroxénite qui se mélange à la péridotite environnante, qui elle fond en moindre quantité. facteurs à considérer sont l’abondance des différents composants (appauvri / enrichi), leur lithologie, la différence entre leur température au solidus, et des paramètres de fusion comme l’extension, le style et la profondeur ou encore l’extraction du liquide. Par exemple, une plus grande quantité de matériel enrichi (pyroxénite) dans la source peut entrainer un liquide plus riche en éléments incompatibles. Il faut toutefois prendre sa lithologie en compte car plus la différence entre le solidus de la pyroxénite et celui de la péridotite est grande, plus la proportion de pyroxénite fondue au moment où la péridotite plus réfractaire commencera sa fusion sera importante. Ces deux paramètres (quantité et lithologie) ont donc une influence sur la quantité de liquide disponible pour le mélange des magmas et sur la tendance à obtenir une composition homogène du liquide final (plus le delta de solidus est grand, plus l’homogénéisation sera rapide). En complément des conditions de fusion, le cheminement des liquides est également à considérer. Si les liquides sont directement extraits après leur formation, ils n’ont alors pas le temps d’interagir et de s’homogénéiser.

Figure I.4. Modélisation du plume hawaiien. En rouge sont représentées les éclogites (croûte océanique recyclée), en bleu : la péridotite, en jaune : la pyroxénite secondaire, qui s’est produite par infiltration du liquide de fusion de l’éclogite dans la péridotite, en blanc et rouge : les restites d’éclogites réfractaires, en pointillés noirs : le liquide, en violet : le cheminement du magma sous forme de conduits et de petites chambres magmatiques. Le matériel recyclé est concentré dans le centre du panache. Vers 170-130 km de profondeur, la plupart de l’éclogite fond. Ce liquide disparait à plus faible pression en se séparant de l’éclogite restante et va métasomatiser la péridotite et ainsi produire la pyroxénite secondaire. Le mélange de ces liquides a probablement lieu dans des niveaux crustaux superficiels, dans des petits corps magmatiques plutôt que dans le manteau ou bien dans une grande chambre magmatique stable. D’après Sobolev et al., 2005.

Ce modèle complexe nécessite de connaitre de nombreux paramètres pour bien contraindre la modélisation du panache. Ceci ne peut pas toujours être effectué de façon réaliste tant les inconnues restent grandes. Toutefois si ce modèle paraît complexe, il semble être le plus conforme à la réalité.

A partir d’études géochimiques, des modèles sur les hétérogénéités dans un panache mantellique ont été proposés sous forme d’enclaves de matériels (enrichis) dispersés dans le panache. Farnetani et Hofmann (2009 et 2010) ont modélisé numériquement la répartition spatiale dynamique de ces hétérogénéités dans le conduit du panache (Fig. I.5).

Figure I.5. Modélisation numérique d’un panache hétérogène. (a) La composante de la vitesse verticale au sein du conduit est donnée par un code de couleur et par des vecteurs pour quatre profondeurs différentes. La zone de fusion est en pointillés jaunes et la trajectoire du flux central est représentée par la ligne en pointillée. La courbe insérée dans la figure représente la distance depuis le cœur du panache (rayon) en fonction des contraintes de vitesses. (b) Quatre hétérogénéités passives (en bleu) avec une forme initiale de demie sphère (Y=0 est le plan de symétrie de miroir) et d’un diamètre de 10 km, à une profondeur initiale de 500 km. Leur forme et leur position sont replacées à des temps donnés. Le temps de montée indiqué sur le côté gauche du conduit (de 0,4 à 6 Ma) correspond à une hétérogénéité remontée dans la partie extérieure, soit la marge du panache. Le temps de montée indiqué sur le côté droit du conduit (de 0,05 à 0,8 Ma) correspond respectivement aux hétérogénéités en aval, au centre et en amont. La position des quatre hétérogénéités après 0,4 Ma (en noir) permet d’estimer les différents temps de montée à travers le conduit selon leur position initiale.

D’après Farnetani et Hofmann, 2010.

Ces simulations en trois dimensions montrent qu’un panache bien que cisaillé par le mouvement rapide de la plaque océanique connait une déformation verticale majeure dans le conduit du plume, ce qui réduit les déformations horizontales et verticales au niveau de la tête du panache. En considérant des enclaves de forme sphérique (matérialisation des hétérogénéités chimiques) se trouvant à la base du panache, ces auteurs montrent que les fortes contraintes de vitesse qui existent au cœur du panache entrainent un étirement de ces enclaves, sous forme de longs filaments dont la longueur dépend de la position initiale de l’enclave dans le conduit. Sous cette forme étirée, les hétérogénéités peuvent persister dans le temps et être échantillonnées par différents centres éruptifs.

I.2.3. La formation des volcans boucliers sur le plancher océanique

Les volcans boucliers sont des volcans issus de la fusion du manteau, au niveau de points chauds. Cette appellation vient du profil aplati et arrondi de ces volcans, qui ressemble à celui des boucliers ronds des guerriers germaniques. Cette forme caractéristique est due à la grande fluidité des laves, qui peuvent s’épancher sur de longues distances et sur une faible épaisseur, et former des édifices volcaniques aux pentes faibles (entre 1° et 10°, Peterson et Moore, 1987). Les îles volcaniques océaniques sont souvent formées par l’accumulation de plusieurs volcans boucliers, qui se succèdent dans le temps et dont les produits se recouvrent largement. C’est par exemple le cas de l’île de La Réunion avec la juxtaposition du Piton des Neiges et du Piton de la Fournaise.

Le modèle d’édification d’un volcan bouclier, basé sur l’exemple des volcans boucliers hawaiiens, est marqué par trois principales étapes (Fig.I.6; Peterson et Moore, 1987 ; Rowland et Garbeil, 2000). Le stade initial est la mise en place d’un mont sous-marin sur le plancher océanique (Fig. I.6a) avec l’émission de magma de nature alcaline en faible quantité (Moore et al., 1982). Cette chimie est à relier à un faible taux de fusion partielle (Chen et Frey, 1985) au début de la mise en place du point chaud sous une lithosphère

”neuve”. Une fois le système bien installé, la production magmatique augmente et les laves sont émises en plus large quantité avec une chimie tholéiitique ou transitionnelle. Il s’agit du second stade d’édification, nommé stade bouclier, qui constitue la principale phase de construction du volcan, durant laquelle 95% du volume du volcan se constitue. Il continue à croitre sous l’eau (Fig. I.6b) puis émerge de l’océan (Fig. I.6c). La dernière étape est le stade de déclin d’activité (Fig. I.6d), qui se traduit par une baisse de la fréquence des éruptions et du

taux de la production magmatique (2% du volume de l’édifice). La composition chimique des laves évolue vers des compositions plus sous-saturées et différenciées (hawaiite, mugéarite à trachyte ; Frey et al., 1990).

Figure I.6. Etapes d’édification d’un volcan bouclier sur l’exemple des volcans d’Hawaii. (a) Construction d’un mont sous marin sur le plancher océanique avec des laves alcalines. (b et c) Stade bouclier où 95% de l’édifice se construit en émettant des laves tholéitiques, transitionnelles ou alcalines, sous l’eau (b) puis hors de l’eau (c). (d) Stade de déclin avec des laves alcalines et différenciées qui nappent l’édifice.

Les volcans boucliers sont ainsi constitués par l’accumulation de laves basaltiques fluides, de roches intrusives et de produits d’érosion mécanique (Bachèlery, 1994). Leur morphologie est marquée par la présence de structures caractéristiques tel que les rift zones, qui sont des zones préférentielles d’injection et d’émission magmatique qui convergent vers le sommet où il existe généralement une ou plusieurs caldeiras. De ce fait, ces volcans possèdent des zones très actives, sculptées par les injections magmatiques, et des flancs dits ”libres” ou

”passifs” qui peuvent être instables et sujets à des épisodes de glissement entrainant les produits jusqu’à la mer pour constituer des dépôts d’avalanche de débris (Saint-Ange et al., 2011 ; Sisavath et al., 2011). La ”vie” d’un tel volcan est rythmée par les déstabilisations de flancs en parallèle à sa croissance, particulièrement pendant le stade bouclier.

Cette édification, qui est marquée par des compositions et des dynamismes spécifiques, est à relier à la position du panache mantellique par rapport à l’édifice (Chen et Frey, 1985).

En effet, lorsque le panache est à l’aplomb du volcan (stade bouclier), le taux de fusion partielle est plus important que lorsque le panache est désaxé par rapport au volcan (en bordures du panache). Un taux de fusion moins élevé favorise la production de laves plus alcalines.

II.1. Contexte général : La Réunion, une île volcanique active de point