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Les représentations des différents rapports isotopiques montrent que les laves de l’île Maurice présentent la même tendance que les laves de La Réunion (Fig. IV.50 et V.14 ; Sheth et al., 2003; Nohda et al., 2005 ; Paul et al., 2005 ; 2007 ; Moore et al., 2011). C'est-à-dire que les laves les plus anciennes (Older Series) sont celles qui ont la composition la plus proche du pôle enrichi et les laves des séries plus récentes (Intermediate et Younger Series) sont moins radiogéniques. D’où l’analogie avec les laves de La Réunion, où celles du Groupe B sont les plus anciennes (> 3,34 Ma) et les plus radiogéniques que celles du Groupe A (< 2,48 Ma).

La prudence impose de mentionner quelques réserves. Peu des laves anciennes ont été échantillonnées, ou en tout cas datées, à La Réunion. La Réunion ne connait pas encore de stade de ”rejuvenescence”, contrairement à l’île Maurice qui est une île volcanique plus ancienne (> 8 Ma, Moore et al., 2011) avec un volcanisme très tardif. En revanche, les laves étudiées de l’île Maurice sont toutes subaériennes (même si certaines sont issues de forage, Paul et al., 2005), la partie sous-marine de l’édifice est encore inconnue.

Concernant les autres laves issues du point chaud, échantillonnées essentiellement en 1988 au cours de la mission Leg ODP 115, les laves sont trop ”espacées” dans le temps et dans l’espace pour pouvoir établir une évolution chronologique et géochimique aussi fine.

White et al. (1990) ont déjà mis en avant la tendance des laves du point du chaud de La Réunion à se rapprocher du pôle enrichi au cours du temps (c'est-à-dire que les laves les plus récentes, sont les plus radiogéniques en 87Sr/86Sr). Ils expliquent cela par une participation de moins en moins importante du manteau environnant au cours du temps, en liaison avec la diminution de la puissance du panache. Cette hypothèse s’applique sur une échelle de temps beaucoup plus importante (~ 65 Ma) que celle de notre étude (~ 8 Ma).

Bosch et al. (2008) proposent que le panache sous La Réunion s’exprime sous forme de blobs (Fig. II.12) de compositions chimiques légèrement distinctes, qui font ascension dans la lithosphère de façon légèrement décalée dans le temps. Sobolev et al. (2005) proposent un panache pour les laves d’Hawaii qui contient des enclaves pouvant se présenter sous forme de blobs ou de veines, ou représenter une large zone dans la queue du panache. Toutefois, dans notre cas, la continuité qui existe entre les compositions des laves des deux îles et entre les séries magmatiques d’une même île, ne semble pas en accord avec une rupture qu’implique

ces ”alimentations” en blobs ou avec des enclaves dispersées, pouvant être aléatoire dans le temps et dans l’espace. Cependant le modèle de Farnetani et al., (2009) propose qu’une enclave présente à la base du panache puisse être conservée sous forme de veine dans tout le panache (voir chapitre I). Une structure du composé enrichi en filament pourrait expliquer le continuum chimique observé à l’échelle du point chaud, mais il n’explique pas la transition géochimique systématique observée entre les laves anciennes et les laves plus récentes pour les deux îles.

Figure V.14. Rapports isotopiques du 143Nd / 144Nd en fonction du 87Sr / 86Sr des laves associées au point chaud de La Réunion. Les données sont issues de : CIR (Ito et al., 1987 ; Mahoney et al., 1989 ; Salters, 1996 ; Chauvel et Blichert-Toft, 2001 ; Escrig et al., 2004), ODP Leg 115 (White et al., 1990), Maurice (Sheth et al., 2003 ; Nohda et al., 2005 ; Paul et al., 2005 ; Moore et al., 2011) et la bibliographie de La Réunion est extraite de GEOROC.

Cette transition sur deux sites différents laisse suggérer une variation de processus et nous fait pencher en faveur d’une variation du taux de fusion partielle au cours du temps plutôt que d’une hétérogénéité dans la taille de l’enclave d’éclogite. Chen et Frey (1985) ont proposé que la construction d’un volcan bouclier soit fortement dépendante du taux de fusion. Ainsi, pouvons nous considérer que cette ”veine” de composé enrichi ne subisse pas le même taux de fusion partielle au cours de la mise en place du point chaud. En début de construction du

volcan bouclier, le taux de fusion est plus faible, laissant ainsi s’exprimer plus fortement le composé enrichi. Puis le taux de fusion augmente au fur et à mesure que le système est de mieux en mieux établi. Une telle hypothèse (fluctuation du taux de fusion) permet d’obtenir sur les flancs d’un même édifice cette variation géochimique (laves plus enrichies et plus proches du pôle enrichi) qui s’appauvrissent par la suite en éléments incompatibles en se rapprochant du pôle appauvri, comme c’est le cas pour l’île Maurice et l’île de La Réunion.

Les laves du Groupe B correspondent donc à une fusion partielle moins importante d’une source mantellique hétérogène, qui se présenterait une structure en ”filament”. Cette variation de fusion, visible également à l’île Maurice, est directement reliée à la croissance du volcan bouclier. Des études récentes sur les laves d’Hawaii (Lipman et Calvert, 2011) attribuent des roches similaires (roches anciennes, stratigraphiquement basses dans l’édifice et enrichies en éléments incompatibles) au début du stade bouclier du volcan Kohala. Par analogie, le Groupe B marquerait le début du stade bouclier d’un volcan réunionnais. A partir de tous ces arguments, nous replaçons précisément les laves du Groupe B dans l’édification de La Réunion dans le chapitre VI.

L’hypothèse de l’existence d’un édifice volcanique ancien sous le Piton de la Fournaise a émergé dans les années 80, à la suite de prospections géophysiques (Rousset et al., 1987 et 1989) et de la réalisation d'un forage profond (Rançon et al., 1989 ; Lerebour, 1987) dans un but d’exploitation géothermique, dans la zone du Grand Brûlé sur le flanc oriental du Piton de la Fournaise. D’autres travaux (en géologie structurale, géophysique…) sont par la suite venus apporter, ou tenter d’apporter, des observations pour approfondir cette idée.

Si aujourd’hui, des nombreux arguments sont présentés en faveur de l’existence d’un troisième volcan bouclier réunionnais, nommé le Volcan des Alizés (Malengreau, 1995) ou Proto-fournaise (Lerebour, 1987), certains d’entre eux sont très discutés. Des contre-arguments sont également avancés et d’importantes questions restent sans réponse.

L’un des objectifs de cette étude était d’apporter de nouvelles données (pétrologiques, géochimiques et géochronologiques) pour tenter de mieux contraindre cette hypothèse. Dans ce but, la zone d’échantillonnage a concerné la partie sous-marine de l’édifice où des vestiges de ce volcan sont susceptibles d’être présents à l'affleurement, au delà des formations du Piton de la Fournaise. L’échantillonnage s’est également focalisé sur la partie subaérienne en particulier sur la Série Différenciée du Piton de la Fournaise, qui représente un épisode d’activité volcanique délicat à intégrer à l’édification de ce volcan, en respectant un schéma

”classique” d’évolution d’un volcan bouclier, et qui pourrait correspondre à des formations appartenant à la fin de la ”vie” du Volcan des Alizés, par analogie avec le Piton des Neiges.

Une discussion critique sur l’existence du Volcan des Alizés a donc toute sa place ici.

Pour que le lecteur se forge sa propre opinion, nous donnerons tout d’abord un bilan des données existantes sur ce sujet ainsi que celles apportées par cette étude. Puis, nous ferons une synthèse des interprétations proposées et nous développerons une discussion sur l’existence du Volcan des Alizés qui se terminera par une proposition de modèle d’évolution pour la construction de l’île de La Réunion.