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2.3.1 Définition

Le concept de résilience est utilisé dans plusieurs domaines tels que l’écologie, l’ingénierie, la psychologie, l’épidémiologie, etc. Ce concept est également utilisé dans les sciences sociales et plus particulièrement dans l’analyse des systèmes plus complexes dont la socio-écologie où des composantes écologiques et socioéconomiques sont étroitement intégrées (Folke, 2006). La résilience vient du mot latin « resilire » qui signifie faire un bond en arrière ou rebondir. Etymologiquement, le terme résilience est composé du préfixe re qui signifie mouvement en arrière et de salire qui signifie « sauter » (Poilpot, 2003 cité par Gauvin-Lepage & Hélène, 2016). Au sens premier, la résilience est un terme utilisé en physique des matériaux qui exprime l’élasticité des matériaux : elle mesure la capacité d’un matériau à retrouver son aspect initial après avoir subi un choc. La réflexion sur la résilience a émergé en écologie dans les années 1960 grâce à des études sur les populations en interaction comme les prédateurs et les proies et leurs réponses fonctionnelles en relation avec la théorie de la stabilité écologique. L’écologiste C.S. Holling dans son article sur la résilience et la stabilité des systèmes écologiques met en évidence l’existence de domaines de stabilité multiples ou de multiples zones d’attraction dans le système naturel et comment ils sont liés aux processus écologiques, aux événements aléatoires (les perturbations par exemple) et à l’hétérogénéité des échelles temporelles (Holling, 1973). Courade et De Suremain (2001 :124) définissent la résilience comme étant : « la capacité d’une personne à anticiper et à réagir de façon à se dégager d’une menace potentielle ou effective, mais prévisible. ». Dans les sciences sociales, la résilience est définie comme l’aptitude d’un individu ou des systèmes (les collectivités), à retrouver un nouvel équilibre, dans leur mode de vie pour les individus, ou leur mode de fonctionnement pour les systèmes, après la survenance d’un choc inattendu, déstabilisant et susceptible de compromettre la survie des acteurs concernés ou la pérennité des systèmes (Brémond & Grelot , 2009 ; Gérardin & Poirot, 2017 ). Le concept de résilience se rapporte à la capacité de faire face aux changements et perturbations par le renouvellement, la structuration (Folke, 2006) et la créativité (Hagan, 2007).

La résilience est un concept qui se rapporte à la vulnérabilité, mais différent sur certains aspects. Les deux concepts partagent un ensemble de facteurs communs, tels que les chocs et les perturbations auxquels un individu ou un système socio- économique est exposé, ainsi que la capacité de réaction et d’adaptation du système. Néanmoins, l’analyse de la vulnérabilité a souvent tendance à ne mesurer que la sensibilité d’un individu/ménage au danger et les mécanismes d’adaptation immédiats. L’exposition est la nature et le degré suivant lesquels un système et/ou un individu est soumis à des perturbations environnementales, économiques et socio- politiques tandis que la sensibilité est la mesure suivant laquelle un individu et /ou un système est affecté par ces perturbations. Les caractéristiques de ces perturbations

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dépendent de leur intensité, de la fréquence, de la durée et de l’étendue du danger (Adger, 2006). L’analyse de la vulnérabilité suppose la mise en relation de deux éléments : l’identification des risques et les capabilités de faire face aux chocs. Ainsi, la vulnérabilité peut être exprimée par la relation : Vulnérabilité = Risque/Capabilités (Rousseau, 2007). La vulnérabilité d’un exploitant n’est pas uniquement liée au faible niveau des capabilités. En cas d’un choc exogène, la structure de capabilité des exploitants est modifiée. Ils peuvent dans une certaine mesure s’adapter, notamment en substituant certaines capabilités à d’autres. C’est ainsi qu’en cas de mauvaises récoltes, les exploitants peuvent soit intensifier les autres activités susceptibles d’assurer leur survie, soit avoir recours à leurs réseaux sociaux. Néanmoins, ces capabilités ne peuvent pas être substituées jusqu’à l’infini, certaines sont en outre complémentaires et non substituables (Gondard-Delcroix & Rousseau, 2004).

L’analyse de la résilience s’inscrit dans la durée. Elle tente d’identifier les différentes réponses adoptées par un ménage et de saisir le dynamisme des composantes des stratégies adoptées. Une approche de la résilience étudie non seulement la manière dont les perturbations et les changements peuvent influencer la structure d’un système (un ménage ou une communauté par exemple), mais aussi la manière dont sa fonctionnalité à répondre à ces besoins peut changer (Alinovi, D’Errico & Romano, 2010). Ce sont les ressources en capital - humain, financier, social et physique - qui déterminent les capacités de réaction des personnes face aux différents chocs, d’une part. Le capital humain désigne les qualifications et autres caractéristiques des personnes qui leur confèrent divers avantages d’ordre personnel, économique et social. Les qualifications et les compétences sont en grande partie acquises par l’instruction et l’expérience, mais peuvent également refléter des capacités innées. Certains aspects de la motivation et du comportement ainsi que des caractéristiques individuelles telles que la santé physique, psychologique et mentale sont également assimilés au capital humain. Le capital social correspond à des réseaux, normes, valeurs et convictions communes (OCDE, 2001). Le capital financier est composé des actifs financiers et l’ensemble des droits et créances. Quant au capital physique, il désigne l’ensemble des biens réels, mobiliers et immobiliers du patrimoine de l’individu (Gérardin & Poirot, 2017 ). D’autre part, la capacité d’une personne correspond à l’ensemble des « combinaisons de fonctionnements » qu’elle peut mettre en œuvre (Sen, 2000). Ainsi, les individus en exerçant leurs libertés de choix, ne retiennent qu’une combinaison de fonctionnements ; qualifiés de « fonctionnements accomplis » ou « accomplissements » une fois réalisés. Dans cette optique, ce sont des facteurs de conversion tels les facteurs interpersonnels, environnement économique et social, etc. qui différencient les individus (Gérardin & Poirot, 2017 ).

2.3.2 Structure de la résilience

Dans le secteur agricole, la résilience peut être analysée à travers trois aspects : la capabilité tampon, la capabilité d’adaptabilité et la capabilité transformative (Béné et al., 2012 ; Keck & Sakdapolrak, 2013 ; Darnhofer, 2014). La capabilité ne désigne pas des actifs mais plutôt la capabilité d’un exploitant (groupe d’exploitants) est de créer des opportunités, de mobiliser des ressources, d’élaborer et de mettre en œuvre

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des plans pour faire face à un risque/incertitude quelconque et de pouvoir s’en remettre (Lindbom et al., 2015). La capabilité dépend donc des actifs/ressources dont dispose l’exploitant et de ses capacités (l’âge, le genre, le niveau d’éducation, les règles formelles ou informelles, les biens publics, etc.) permettant de tirer profit de ces potentialités et de les mettre en œuvre. En effet, deux exploitants, quoique pourvus des mêmes ressources (ou potentialités), ne pourront pas les valoriser de la même manière (Rousseau, 2007).

2.3.2.1 Capabilité tampon

Elle indique la capacité d’un exploitant à résister à une perturbation sans que sa structure ou sa fonction ne soit modifiée. En d’autres termes, les chocs tels que les variations brusques de prix, les aléas climatiques moins importants, les défectuosités des équipements et les faibles sécheresses sont supportés sans que l’exploitation ou la vie de l’agriculteur ne subisse de changements substantiels. Bien qu’il puisse y avoir un certain impact, l’exploitant se réorganise grâce à la réaffectation temporaire des ressources. La réaffectation des ressources peut impliquer la mobilisation de main- d’œuvre supplémentaire, l’utilisation de la capacité financière excédentaire (l’argent épargné) avec des machines ou des installations de stockage redondantes, ou la mise en place de changements provisoires parmi les circuits de commercialisation existants. La capabilité régulatrice/tampon est particulièrement importante pour faire face aux petites perturbations (les tempêtes et les chocs climatiques pendant les périodes de récoltes importantes par exemple) et dans les phases initiales d’adaptation aux grands chocs (Darnhofer, 2014).

2.3.2.2 Capabilité d’adaptation

La capabilité d’adaptation est la capacité de l’exploitant à se développer en présence de chocs endogènes et exogènes (Folke et al., 2010 cités par Darnhofer, 2014). Elle requiert la capacité à identifier les problèmes, à établir des priorités, à mobiliser des ressources, à combiner l’expérience et les connaissances nécessaires pour s’adapter aux contextes actuels. Ces adaptations et changements progressifs peuvent prendre de nombreuses formes (par exemple, l’adoption de nouvelles techniques et pratiques agricoles, la diversification des moyens de subsistance, l’engagement dans de nouveaux réseaux sociaux, etc.). Ces adaptations peuvent être individuelles ou collectives et se situer à plusieurs niveaux (au sein du ménage, des groupes d’individus/ménages, de la communauté, etc.) (Béné et al., 2012). La capabilité d’adaptation est liée à l’expérimentation continue, qui implique des succès et des échecs comme l’expérience d’apprentissage (Glover, 2012), ainsi qu’à la flexibilité et à la diversité (Darnhofer, Gibbon & Dedieu, 2012). Les exploitants agricoles tirent parti de leur capabilité d’adaptation pour faire face aux changements qui s’intensifient au fil du temps et pour exploiter de nouvelles opportunités.

2.3.2.3 Capabilité transformative

La capabilité transformative est liée à la capacité de mettre en œuvre des changements importants. C’est la capacité de créer des situations nouvelles à partir desquelles un nouveau mode de vie peut être instauré (Walker et al., 2004). Une transformation implique une transition vers un nouveau système dans lequel un ensemble de facteurs différents devient important dans la conception et la mise en

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œuvre des stratégies de réponse ou l’identification des opportunités dans un contexte difficile (Cumming, 1999). Par exemple, les agriculteurs vivant dans les zones inondées ramassent des poissons et des crabes pendant la saison des inondations pour maintenir leurs moyens de subsistance (Nguyen & James, 2013). La capabilité de transformation est souvent liée à des changements de perception et de logique vers de nouvelles opportunités ou à de nouveaux modèles d’interaction entre les acteurs. Elle repose sur la créativité humaine, implique un engagement à innover, à imaginer des alternatives ainsi que des issues possibles (Gallopin, 2006). La capabilité de transformation est un processus qui s’inscrit dans le temps. Parfois, il est difficile de faire une transition entre l’ancien et le nouveau système agricole ; les anciennes et les nouvelles logiques s’entremêlant. Seule la compétence reste un facteur important dans ce processus (Augier & Teece, 2009).

Pour résumer, la résilience agricole décrit la capacité à intégrer ces trois capabilités pour permettre à l’exploitation agricole de faire face aux chocs et aux changements imprévisibles voire tirer profit de tels événements (Darnhofer et al., 2010). Ces trois capabilités se rapportent à des processus de changement de durée différente, allant des réaffectations de ressources à court terme aux transformations à long terme (figure 2). Elles englobent également tout un ensemble de changements que peuvent connaître les agriculteurs, c’est-à-dire de la stabilité sans aucun changement dans le système (la résilience régulatrice) à un changement progressif et continu (la résilience d’adaptation), puis à un changement radical et innovant (la capabilité de transformation).

Intensité du changement

Stabilité Flexibilité Changement

Capabilité tampon Capabilité d’adaptabilité Capabilité transformative

(Persistance) (Ajustement progressif) (Actions transformationnelles) Résilience

Figure 2 : Aspects de la résilience

Source : Béné et al. (2012)

Les processus impliqués dans ces trois types de changements ne sont pas nécessairement indépendants mais tendent plutôt à se recouper partiellement de manière créative et flexible, tout cela dans le but de soutenir la résilience des agriculteurs ou des ménages à tous les chocs qui peuvent survenir au cours de leur vie (Darnhofer, 2014). Pour que la résilience puisse produire des effets positifs, ces structures exigent des réformes de systèmes fortement dépendants des intérêts de personnalités puissantes. En effet, il existe d’énormes barrières de transformation, enracinées dans la culture et exprimées par des politiques socioéconomiques, la législation foncière, les pratiques dans la gestion des ressources, les pratiques socio- institutionnelles, etc. (Moser & Ekstrom, 2010 ; Béné et al., 2012).

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