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Chapitre 8 : Des tendances de relation entre les caractéristiques

IV. Choix d’un ensemble de préconisations

IV.2. Les réseaux organiques

IV.2.1. Présentation

Ce premier type de réseau est caractéristique des centres historiques des villes européennes, resserrées et faites de proximités (Haumont, 1993) (cf figure 3.21). Il se caractérise par son irrégularité. Celle-ci peut s’expliquer par le fait que, en l’absence de règles d’urbanisme réglementant la voirie, le réseau viaire

correspond à l’espace résiduel laissé entre les bâtiments105. Pour d’autres

auteurs, cette irrégularité est typique des réseaux créés par à-coups, de manière progressive, spontanée et sans plan d’ensemble. Magali Watteaux (2014) les décrit en ces termes : « il s’agit de réseaux de formes non planifiées qui ressortent de logiques de structuration s’inscrivant dans la très longue durée et que l’on étudie de

104 Nous nous limitons toutefois au contexte européen et nord-américain.

105 C’est pour cela qu’une règlementation apparaît dès le Moyen-Age, visant à régulariser le cours des

ce fait sous l’angle des systèmes auto-organisés » (p. 181). Dans la même optique, Porta, Crucitti, et Latora (2006) expliquent que l’organisation des vieux quartiers « n’est pas visible au premier coup d’œil, n’est pas imposée par un grand ordonnateur, mais résulte d’une accumulation de petits détails, de contributions cumulatives par une foule d’acteurs temporels, chacun suivant sa propre trajectoire ». Watteaux ajoute : « nous ne percevons ces réseaux que par le résultat de leur organisation, visible sur les cartes et les photographies aériennes, à savoir par une forme stable qualifiée de structure mais dont la fixité n’est qu’apparente puisque cette organisation en réseau est le produit d’un processus d’interactions

entre les composantes du paysage » (p. 181). Sur ce dernier point, Douady (2014)

soutient que l’irrégularité de ces réseaux vient d’une adaptation « aux grandes lignes du relief et de l’hydrographie » (p. 53). Par exemple, si la topographie du site est accidentée, la conception de réseaux quadrillés est difficile en raison du dénivelé entre deux voies parallèles. Les voies sont alors conçues suivant des directions variées, perpendiculaires aux courbes de niveau ou en lacets.

Après avoir été longtemps décrié, le caractère désordonné de ces réseaux est revalorisé en urbanisme depuis le début des années 1960, au nom de la « magie » des vielles villes. Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre 1, cela s’est fait sous l’impulsion de théoriciens et praticiens de l’urbanisme tels que Jane Jacobs, et grâce à la relecture de textes comme ceux de Camillo Sitte, qui dès 1889, préconisait un retour à l’esthétique sociale des entrelacs médiévaux (1889, cité dans Porta et al. (2006)).

Figure 3.21 : Extrait du plan de la ville de Barcelone, tracé par Paul Rapin de Thoyras en 1740. Source : Time-for-maps.tumblr.com

Dans la littérature anglophone, ce type de réseau est souvent qualifié d’auto- organisé (Buhl et al. 2006; Rui et al. 2013; Masucci et Molinero 2016), ce qui signifie qu’il est conçu sans autorité planificatrice. Bien que cela soit généralement le cas, nous pensons que le terme « auto-organisé » n’est pas suffisant pour désigner ce type de réseau, car même des réseaux quadrillés peuvent être conçus sans autorité planificatrice (Caniggia 1994; Moreno 2009) (cf section IV.3). Pour notre part, nous choisissons le terme organique, utilisé notamment par Douady (2016) et Shpuza (2009), car celui-ci rend compte à la fois de l’auto-organisation qui génère ce type de réseau, mais aussi de son aspect irrégulier, rappelant les formes de la nature.

IV.2.2. Les caractéristiques morphologiques des réseaux organiques

Une variété des réseaux viaires peuvent être considérés comme organiques. Le réseau de Brive avant son expansion hors-les-murs par exemple a un aspect radioconcentrique, fréquent dans les villes ceinturées (cf figure 3.22). Le réseau de Londres en revanche comprend de longues voies de circulation qui lui donnent un aspect linéaire (cf figure 3.23). Malgré cette variété, l’observation d’un grand nombre de plans de ce type, associée à une revue de la littérature, nous permettent d’identifier dans ces réseaux certaines caractéristiques morphologiques communes. A une échelle territoriale, ces réseaux sont souvent de type radio-quadrillé, c’est-à- dire qu’ils associent « un réseau radial (…) et un quadrillage souple, d’extension le plus souvent supracommunale » (Watteaux, 2014, p. 181). Mais à l’échelle intra- urbaine, qui est celle qui nous intéresse, leur morphologie est irrégulière. Pour Camillo Sitte, ce type de réseau se caractérise par un dédale de rues, une brisure des artères, une irrégularité du plan, et un enchevêtrement d’intersections et de places (1889, cité dans Pellegrino et al. (1999)). De son côté, Marshall (2005) décrit les caractéristiques morphologiques des réseaux viaires d’une part à travers leur « composition »106 et d’autre part à travers leur « configuration »107. Pour Marshall,

la composition des réseaux organiques est irrégulière, les voies sont courtes (donc

rapprochées) et tortueuses, ce qui peut s’expliquer par la topographie de leur site. Leur largeur et leur orientation sont variables. Du point de vue de la

configuration, on retrouve dans ces réseaux des intersections en T mais aussi en

X, quelques culs-de-sac, et une connectivité modérée entre les voies (Marshall,

2005). Le grand nombre d’intersections en T dans ces réseaux s’explique du fait que les voies ne sont pas toujours alignées les unes aux autres : de grands axes peuvent buter sur du bâti.

106 Rappelons que la composition renvoie pour Marshall à la géométrie réelle du réseau, qui respecte

le positionnement des voies et des jonctions, les longueurs et largeurs de voies, leur orientation, leur courbure.

107 La configuration désigne pour Marshall la topologie du réseau, telle que représentée de manière

Figure 3.22 : Reconstitution du plan de Brive (France) avant son expansion hors-les-murs. Source : Douady (2016).

Figure 3.23 : Plan de Londres en 1677, tracé par John Ogilby, William Morgan, Wenceslaus Hollar, intitulé The first accurate and detailed map of London, Source : British library.

IV.2.3. Les conditions d’accessibilité des réseaux organiques

Les réseaux organiques sont surtout décrits pour leur capacité à permettre des déplacements courts en distance. Haumont (1993) décrit la ville traditionnelle européenne, où était fortement répandu ce type de réseau, comme une ville faite de proximités. C’est également ce qu’affirme Jane Jacobs (1961), pour qui les réseaux organiques réduisent les distances à parcourir. Pourtant, ces réseaux se caractérisent par des rues tortueuses, brisées, qui, de l’avis de Léonce Reynaud (1850, cité dans M.P (1989)), rallongent au contraire les distances. Ce type de rues est également critiqué par Le Corbusier (1923, cité dans Choay (1965)), elles correspondent pour lui au « chemin des ânes ». Le Corbusier critique plus généralement les réseaux organiques des villes traditionnelles, qui selon lui génèrent de l’encombrement, donc empêchent la fluidité des déplacements. Cette idée est reprise par Pierre Patte (1759 cité dans M.P (1989)), pour qui la ville traditionnelle européenne est victime de l’encombrement, car elle n’est qu’un « amas de maisons distribuées sans ordre, sans entente d’un plan total convenablement raisonné ». L’abbé Laugier (1753, ibid) de son côté déplore que, dans cette ville aux petites rues étroites et tortueuses, « la rencontre des voitures cause à tout instant des embarras ».

De son côté, Haumont (1993) déplore que les débouchés d’un quartier à un autre soient assez peu développés dans ce type de réseau : « l’impression dominante est celle d’une division des villes en petites aires d’emploi, du moins jusqu’au moment où les réseaux de transports en commun vont désenclaver les déplacements intra- urbains ». Il ajoute, citant Pierre Patte : « à Paris des quartiers entiers n’ont presque pas de communications les uns avec les autres » (1765 cité dans Haumont (1993)). Ces citations suggèrent que les réseaux organiques ne favorisent ni l’isotropie, ni la continuité des déplacements. Le schéma ci-dessous (figure 3.24) synthétise les conditions d’accessibilité attribuées aux réseaux organiques.

Figure 3.24 : Schéma représentant quelques-unes des conditions d’accessibilité attribuées aux réseaux organiques par les théoriciens et praticiens de l’urbanisme (selon leurs mots).

Les conditions « positives » sont en vert et les « négatives » sont en rouge. Les doubles flèches sont utilisées pour indiquer des contradictions entre les auteurs.