• Aucun résultat trouvé

Chapitre 8 : Des tendances de relation entre les caractéristiques

IV. Choix d’un ensemble de préconisations

IV.4. Le réseau arborescent

IV.4.1. Présentation

Ce type de réseau s’observe en particulier en périphérie des villes, par exemple en

comblement dans certains espaces (Marshall 2005). Il correspond le plus souvent à

l’ère de l’automobile. Cette idée est soutenue par Southworth (1997), pour qui le passage aux Etats-Unis des réseaux en grille aux réseaux arborescents traduit une adaptation au véhicule individuel. Pour Cervero et Gorham (1995), ces réseaux s’observent dans des quartiers datant d’après 1945, conçus pour l’automobile et sans prise en compte des transports collectifs, dans des espaces où ces derniers n’existent pas. Les réseaux arborescents sont en général rigoureusement planifiés, de manière à satisfaire certaines exigences, telles que la création d’enclaves pour satisfaire un besoin de sécurité et d’isolement, ou l’organisation de vues sur le paysage (Panerai et al., 1997) (cf figure 3.30).

Figure 3.30 : Image aérienne d’une banlieue suburbaine de Colorado Springs (Etats-Unis). Source : Shankbone (2008, sur Wikimédia).

Selon Southworth et Owens (1993), les réseaux arborescents étaient assez peu étudiés jusqu’aux années 1990, les architectes et urbanistes les considérant comme ayant peu d’intérêt. Southworth et Owens se proposent de combler ce vide113, dans

un article où ils étudient l’évolution du réseau viaire des banlieues étasuniennes entre 1940 et les années 1990114. Pour eux, les quartiers résidentiels depuis les

années 1940 sont de plus en plus « déconnectés » de leur environnement physique : ils décrivent une augmentation du nombre de voies en culs-de-sac et de boucles, une diminution des voies de transit (through streets), et un réseau viaire organisé en entités autonomes avec seulement quelques points d’accès. L’un des apports de l’article de Southworth et Owens a été de montrer la diversité des réseaux viaires

dans les banlieues étasuniennes. Plusieurs de ces réseaux peuvent être considérés

comme arborescents. Nous en identifions deux : les réseaux en boucles et raquettes (loops and lollipops) utilisés dès 1970, et les réseaux en raquettes sur bâton (lollipops on a stick) utilisés à partir de 1980115 (cf figure 3.31).

113 Depuis, plusieurs travaux ont porté sur les réseaux viaires des banlieues américaines et

européennes. Citons par exemple le projet ANR de Renaud Le Goix sur les banlieues franciliennes, intitulé Interaction public-privé dans la production des espaces périurbains.

114 Ils prennent pour cas d’étude des villes et des banlieues situées dans la baie de San Francisco. 115 L’évolution des réseaux des lotissements étasuniens n’est pas terminée. Selon Le Goix (2016),

dans plusieurs municipalités (il cite l’exemple de Ladera ranch, dans le comté d’Orange) des politiques sont mises en œuvre en faveur de la compacité et de la densité, afin d’introduire des

Figure 3.31 : Réseau en boucles et raquettes (loops and lollipops), et raquettes sur bâton (lollipops on a stick). Source : Southworth et Owens (1993).

Les réseaux arborescents sont souvent désignés par l’expression « réseaux hiérarchisés » dans la littérature en urbanisme116. Pourtant, même un réseau en

grille peut être hiérarchisé (Marshall, 2005), comme le montre le plan d’Edimbourg conçu par James Craig en 1768. C’est la raison pour laquelle nous préférons le terme

arborescent, qui présente un double avantage. D’une part il rend compte du

caractère hiérarchisé de ces réseaux viaires, évoquant la forme d’un arbre avec un tronc et des branches. D’autre part il évoque les formes ondulantes de la nature, par opposition aux formes quadrillées de l’urbain (Jackson, 1987). Ces formes ondulantes sont présentes dans les réseaux arborescents, et plus généralement dans les banlieues suburbaines étasuniennes dès le XIXe siècle (cf chapitre 1).

IV.4.2. Les caractéristiques morphologiques des réseaux arborescents

Malgré la diversité des réseaux viaires arborescents, nous pouvons y distinguer certaines caractéristiques morphologiques communes, en nous basant notamment sur la revue de la littérature. Frederick Gibberd (1970, cité dans Marshall (2005), p. 63) décrit ce type de réseau en ces termes :

« Des rues principales filent entre les espaces urbanisés qui ressemblent à de

grandes îles dans lesquelles le trafic de transit rapide ne passe pas. Chaque espace urbanisé est à son tour subdivisé par des voies qui donnent accès à ses principales parties (…) Il y a donc une série d’îles (…) plus ces îles sont petites et plus le trafic sur leurs voies est faible »117.

paysages bâtis plus resserrés, inspirées par le Nouvel Urbanisme. Néanmoins, l’auteur ajoute que ces formes restent minoritaires et n’affectent que marginalement les modalités de construction.

116 Nous avions parlé dans la partie I de réseaux morphologiquement hiérarchisés, pour désigner les

réseaux composés d’une hiérarchie de voies (artères, collecteurs, culs-de-sac).

117 Citation originale : « The main roads . . . should run between the areas leaving them as great islands free of fast through-traffic. Each built-up area will be sub-divided by the roads giving access to its

Ainsi, bien qu’elle ne soit pas propre aux réseaux arborescents, la hiérarchie est une de leurs caractéristiques morphologiques. Cette hiérarchie est décrite par de nombreux auteurs (Grammenos et al., 2001; Jin, 2010; McNally & Kulkarni, 1997). Du point de vue de la composition, les réseaux arborescents comprennent souvent des voies courbes, circulaires, sinueuses, et ce à tous les niveaux (Grammenos et al., 2001; Jin, 2010; McNally & Kulkarni, 1997). Ces voies forment souvent des

boucles et des culs-de-sac, ont une faible connectivité, et se croisent souvent par des intersections en T (Cervero & Gorham, 1995; Jin, 2010; Marshall, 2005).

Jin (2010) décrit également ces réseaux comme formant de larges îlots, leurs voies

sont donc espacées. Enfin, McNally et Kulkarni (1997) ajoutent que les points

d’accès à ces réseaux depuis l’extérieur sont en nombre limité.

IV.4.3. Les conditions d’accessibilité des réseaux arborescents

Levinson et Huang (2012) ont étudié les avantages et inconvénients offerts par la hiérarchisation des réseaux viaires. Comme les réseaux arborescents sont hiérarchisés, nous considérons que leurs propos peuvent s’appliquer à ce type de réseaux. Levinson et Huang expliquent que dans un réseau hiérarchisé, le

mouvement est séparé de l’accès, ce qui rend l’un comme l’autre plus sûrs118. Cet

avis est partagé par Grammenos et al. (2001), mais pas par l’urbaniste Jeff Speck (2017), pour qui ce type de réseau accroit le risque d’accidents. Levinson et Huang (2012) présentent également de nombreux inconvénients des réseaux hiérarchisés. Pour eux, ceux-ci rallongent les distances à parcourir – notamment parce qu’ils nécessitent souvent des retours en arrière. Cet aspect est également évoqué par Grammenos et al. (2001), pour le cas plus général des réseaux arborescents. Selon eux, les voies courbes dans ce type de réseau contribuent à rallonger les distances

marchées, et rendent le cheminement confus. Ils ajoutent que ces réseaux se

caractérisent par leurs discontinuités, pour les piétons comme pour les véhicules. Ces discontinuités inhibent l’accès à pied aux aménités urbaines, ce qui rend ces réseaux mauvais pour les déplacements piétons. Dans la même optique, Southworth et Owens (1993) affirment que les réseaux des quartiers résidentiels suburbains (notamment ceux en « boucles et raquettes »119 et ceux en « raquettes sur

principal parts . . . There is thus a series of islands (…) and, as they get smaller having less vehicles on their roads ».

118 Levinson et Huang évoquent aussi d’autres aspects que les conditions d’accessibilité. Pour eux, la

hiérarchisation permet également de maintenir au calme les quartiers résidentiels, de réduire la redondance du réseau, et présente bien d’autres avantages. Néanmoins, pour eux, la faible redondance de ces réseaux fait qu’ils comprennent des points critiques, ce qui les rend vulnérables.

bâtons »120, cf figure 3.31) souffrent d’une part de la dégradation de l’accessibilité à

pied, et d’autre part d’un manque de cohérence perceptuelle, qui sont le résultat de rues de plus en plus déconnectées et fermées.

Southworth et Owens (1993) se prononcent plus précisément sur les conditions d’accessibilité dans les réseaux en « boucles et raquettes » (cf figure 3.31). Pour eux, ces réseaux ont une structure labyrinthique qui désoriente les usagers121. Ils y

constatent également une dépendance quasi-totale aux boucles et aux voies en

culs-de-sac, limitant de fait les espaces accessibles à pied dans ces réseaux aux

maisons des voisins et à l’école du quartier. Tous ces facteurs concourent selon eux à augmenter les déplacements en voiture, et à les concentrer sur les quelques voies artérielles existantes, ce qui y génère une congestion sans précédent. Cet avis est partagé par Speck (2017), qui soutient que les intersections dans ce type de

réseau sont encombrées. Southworth et Owens en concluent que ce type de réseau

s’avère indésirable aussi bien pour les piétons que pour les conducteurs d’automobile. Ce dernier point n’est pas partagé par Grammenos et ses collègues (2001), qui au contraire affirment que la géométrie de ces réseaux est adaptée à l’automobile, car ils excluent le trafic des rues locales et permettent un bon

écoulement des flux au niveau des collecteurs et des artères. La figure 3.32

synthétise ces conditions d’accessibilité attribuées aux réseaux arborescents.

120 Lollipops on a stick.

121 Southworth et Owens expliquent également que l’intimité est accrue dans ce type de réseaux par

un petit nombre de choix d’itinéraires, et un petit nombre de points d’accès. Leurs rues sont calmes et relativement sans danger pour les enfants.

Figure 3.32 : Schéma représentant quelques-unes des conditions d’accessibilité attribuées aux réseaux arborescents par les théoriciens et praticiens de l’urbanisme (selon leurs mots).

Les conditions « positives » sont en vert et les « négatives » sont en rouge. Les doubles flèches sont utilisées pour indiquer des contradictions entre les auteurs.