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Chapitre 4 : Cadre méthodologique : L’analyse des réseaux viaires au moyen de

I. Passage d’un objet empirique à un objet mathématique, du réseau au graphe

I.1. Quelques définitions

I.1.1. Qu’est-ce qu’un réseau ?

« Kublai était un joueur d’échecs attentif ; à suivre les gestes de Marco, il

observait que certaines pièces impliquaient ou au contraire excluaient le voisinage d’autres pièces, et se déplaçaient selon certaines lignes. Négligeant la variété des formes des objets, il retenait leur manière de se disposer les uns par rapport aux autres sur le dallage de faïence »

(Calvino (1972), cité dans Moreno (2009)).

Cette métaphore du jeu d’échec illustre parfaitement la notion de réseau. Comme le souligne Lemoigne (1990), l’important dans un réseau n’est pas la nature des éléments, mais plutôt les connexions entre ces éléments, autrement dit la disposition relative des éléments les uns par rapport aux autres. Ainsi, un réseau est un « outil conceptuel permettant de décrire la mise en relation d’un ensemble d’entités par des connexions » (Bonin, 2014). Le concept de réseau permet ainsi un saut fondamental dans l’abstraction des phénomènes. En effet, la seule information nécessaire pour construire un réseau est l’existence ou l’absence de connexion entre deux entités.

Ces connexions peuvent être matérielles, comme dans le cas d’un réseau technique : réseau routier, réseau d’eau, réseau électrique, etc. Elles peuvent également être immatérielles, comme dans le cas des réseaux sociaux. L’utilisation du concept de réseau en sociologie a donné naissance à plusieurs champs tels que la sociologie structurelle (Lazega, 2007). Celle-ci consiste à représenter un groupe de personnes placé dans un cadre social ou organisationnel sous forme de réseau, dont les éléments sont les individus et les connexions sont les relations sociales entre ces individus. Ces relations peuvent être des relations familiales, amicales, professionnelles, des mails échangés, des liens virtuels (amitiés Facebook), des collaborations scientifiques, etc.

Dans le champ des études urbaines, le concept de réseau est utilisé pour désigner des phénomènes différents. A titre d’exemple, les géographes emploient le terme

« réseau urbain » pour désigner l’ensemble des villes d’une région, d’un état, voire d’un continent, et les relations entre elles (Pumain, 1982). Le concept est également utilisé à l’échelle intra urbaine, par exemple pour qualifier des relations existant entre les différents lieux de la ville (Moreno, 2009; Pouyanne, 2005). Dans tous les cas, l’analyse des réseaux a généralement recours au « graphe », un objet mathématique que nous définissons ci-après.

I.1.2. Qu’est-ce qu’un graphe ?

Un graphe est la transcription mathématique d’un réseau. Cette transcription peut prendre différentes formes : il peut par exemple s’agir d’une liste d’entités et d’une liste de connexions entre ces entités. On peut également représenter un graphe sous la forme d’une matrice d’adjacence, c’est-à-dire d’un tableau faisant figurer en ligne et en colonne les entités du réseau. Les cellules du tableau portent alors la valeur 1 s’il existe une connexion entre telle et telle entité, et la valeur 0 s’il n’existe pas de connexion.

Mais le formalisme le plus fréquent est la représentation graphique en un ensemble de points, appelés nœuds ou sommets, reliés entre eux par des liens, appelés arcs ou

arêtes. Une arête est obligatoirement bornée par deux sommets. Un sommet peut

être l’intersection de plusieurs arêtes, ou l’extrémité d’une arête. Les arêtes sont généralement représentées par des lignes droites, et les sommets par des points.

Dans la suite de ce travail, nous emploierons le terme « graphe » pour désigner ce formalisme graphique, en sommets et arrêtes.

Le graphe renvoie intuitivement à la notion de réseau, ses arêtes sont les connexions, et ses sommets sont les entités à relier. Le formalisme en graphe remonte à Leonard Euler, en 1741. Euler voulait déterminer s’il était possible d’établir un itinéraire permettant de parcourir les sept ponts de la ville de Königsberg et de revenir au point de départ, en traversant une seule fois chacun de ces ponts. Euler représenta chaque entité géographique de la ville par un sommet du graphe, faisant ainsi abstraction de leur morphologie. Les ponts quant à eux constituaient les arêtes du graphe. Cette formalisation lui a permis de montrer qu’étant donnée la configuration de la ville, le trajet recherché n’existait pas. Autrement dit, la disposition relative des sommets du graphe pouvait rendre certains itinéraires impossibles.

En 1930, le mathématicien hongrois Dénes Konig donne naissance à la théorie des

graphes, discipline mathématique et informatique, qui constitue l’outil fondamental

d’analyse de la structure des réseaux (Stransky, 1995). Cette théorie se développe surtout à partir des années soixante, au moment où les ordinateurs ont fourni les puissances de calcul nécessaires à son application à des cas concrets.

I.1.3. Quelques propriétés des graphes

En plus de l’existence ou l’absence de connexion entre deux entités, les graphes contiennent souvent une information sur l’intensité de cette connexion. Cela peut être utile pour représenter les réseaux d’échanges commerciaux. On parlera alors de

graphe valué. Dans ce cas, la matrice d’adjacence du graphe ne portera plus

uniquement les valeurs 1 et 0, mais des nombres variables en fonction de l’intensité de chaque connexion.

En outre, il est possible de donner une orientation aux arêtes du graphe, dans le cas de connexions non réciproques. Le graphe sera alors orienté. Cela peut être utile si la relation (un échange commercial par exemple) entre une entité A et une entité B est différente de celle entre B et A. Il existe d’autres manières d’enrichir les graphes d’informations diverses, en fonction du type de réseau à représenter. Nous verrons certaines d’entre elles au fil du texte.

On peut également distinguer « graphe planaire » et « non planaire ». Dans un graphe non planaire, les arêtes peuvent se croiser sans que cela ne corresponde à un sommet. C’est le cas par exemple lorsque le graphe représente un réseau aérien. Dans un graphe planaire en revanche, tout croisement entre deux arêtes est un sommet. Les réseaux routiers sont souvent représentés par des graphes planaires (Barthelemy, 2011; Lämmer et al., 2006)125 : le croisement de deux routes

correspond en général à une intersection, représentée sur le graphe par un sommet. Les tunnels et les ponts sont des exceptions à cette planarité.

On peut enfin distinguer les graphes du point de vue de leur spatialité. Certains graphes représentent des réseaux dits spatiaux, c’est-à-dire que les éléments du réseau, et parfois leurs relations126, ont des positions géographiques dans un espace

à deux, voire trois dimensions. Un réseau ferroviaire est un bon exemple de réseau spatial : les éléments (gares) aussi bien que les relations (lignes ferroviaires) ont des positions géographiques dans l’espace. Ces positions peuvent être reprises lors du passage du réseau au graphe. A l’inverse, certains graphes représentent des réseaux non spatiaux. Les réseaux sociaux représentant des relations familiales, ou des relations au sein d’une entreprise, sont souvent non spatiaux.

Dans la suite de ce travail, nous nous intéresserons uniquement à des graphes représentant des réseaux spatiaux, c’est-à-dire dans lesquels, a minima, les éléments ont des positions géographiques. Ce choix est guidé par le fait que les réseaux viaires, qui sont l’objet qui nous intéresse, sont des réseaux spatiaux.

125 Ce choix ne fait pas l’unanimité, des auteurs comme Lagesse (2015) représentent au contraire les

réseaux routiers par des graphes non planaires.

126 Selon Barthélemy (2011) seule la spatialisation des éléments (sommets) est nécessaire pour que