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Le réseau comme espace d’action organisée : la régulation normative 74

Partie II : Cadre d’analyse et méthodologie 70

Chapitre 3 : le cadre d’analyse 71

3.2. La problématique 73

3.2.1. Le réseau comme espace d’action organisée : la régulation normative 74

Durant les années 50, l’importance du conflit apparaît de plus en plus, notamment à travers certains ouvrages majeurs74. Des travaux sur le contrôle et les systèmes de pouvoir et d’influence font leur

apparition (Crozier, 1961). Les théories de Crozier émergent durant les années 60. Elles sont marquées par la présence d’un acteur autonome tout en retenant l’idée de système de Mayo. Mais Crozier est également porteur de deux autres idées : l’importance du conflit et l’histoire (Kuty, 2008). Cette source d’influence, combinée à une autre américaine (avec Alvin Gouldner, William Foot

73 « Le vocable de noyau normatif renvoie à l'idée d'un ensemble précis de ressources culturelles » mobilisées dans

l'action. « Situés à un niveau empirique, ces noyaux sont concrets et leur cohérence interne est relative, dans la mesure où ils représentent chacun, à un premier niveau, des compromis locaux entre des éléments culturels opposés » (Kuty, 2006).

74 Cartwright (1959), Warner, Martin (1959), et encore Dalton (1959). Ces références sont citées par Crozier (1961) et

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Whyte et Herbert Simon) sert à penser la nouvelle théorie stratégique (Kuty, 2008 : 36) qui devient un courant de pensées dont il est le fondateur : l’analyse stratégique (Kuty, 2005 : 151).

Depuis lors, la sociologie des organisations a évolué en déplaçant sa problématique et en remettant en cause la définition de son objet. Avec Le phénomène bureaucratique (Crozier, 1963), l’organisation est considérée comme une entité cohésive et munie de frontières non équivoques. Par contre, avec

L’acteur et le système (Crozier et Friedberg, 1977) ainsi que Le pouvoir et la règle (Friedberg, 1997), le côté

anarchique de l’organisation et l’imprécision de ses frontières sont mis en évidence. Il n’est plus question d’étudier uniquement l’organisation dans ses rapports avec son environnement c'est-à-dire l’Etat ou autres institutions, le Marché, les concurrents, mais il devient concevable d’étudier également le domaine de l’action collective organisée jusque là approchée uniquement par d’autres courants théoriques. En effet, une dichotomie existait avec d’un côté le monde de l’organisation formalisée c’est-à-dire « mise sous contrôle et soumission, capitalisation du savoir, transparence et prévisibilité, structuration et non-concurrence » ( Friedberg, 1992 : 532), de l’autre « le monde du « marché », de « l’action collective » ou du « mouvement social », c'est-à-dire de la concurrence, du surgissement, du devenir, de l’interaction non structurée, désordonnée et aléatoire, de la fluidité, de l’égalité et de l’absence de hiérarchie » (Friedberg, 1992 : 532). Le concept de Système d’Action Concret apparaît dans L’acteur et le système et sa définition ne renvoie à aucun champ d’action particulier. Il y est définit comme « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux » (Crozier, Friedberg, 1977 : 286). Par son article de 1992, Friedberg démontre que le mode de raisonnement qui permet d’étudier les organisations comme systèmes formalisés d’action collective peut être mobilisé également pour « l’organisation (au sens de structuration par des « règles du jeu ») des processus d’échange et de pouvoir reliant un ensemble d’acteurs individuels et/ou collectifs concernés par un même « problème » ». « Entendu au sens large, ce problème peut être l’élaboration ou la mise en œuvre d’une politique publique, la concurrence autour de la production et/ou la distribution d’un même bien ou service » (1992 : 546). Le Système d’Action Concret peut donc également être utilisé pour l’étude de structures en réseaux.

Le rôle réel des caractéristiques formelles d’une organisation est de permettre des espaces de négociation et de jeu entre acteurs. Pour l’action organisée, la règle n’est structurante que si elle est

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incertaine c'est-à-dire si son application peut être modifiée ou suspendue. Les stratégies à l’œuvre propres à l’interaction humaine sont mises en évidence. Un concept central alors à l’action organisée est celui de pouvoir entendu au sens large : il fait référence à un rapport interactionnel de forces et est omniprésent, mobile, local.

Il existe quatre grandes sources de pouvoir correspondant à quatre types de sources d’incertitudes. La première source de pouvoir est celle équivalent à la possession d’une compétence, d’une expertise difficilement remplaçable. Ensuite, les relations entretenues avec l’environnement constituent une deuxième source de pouvoir. L’acteur impliqué au sein de plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres peut jouer le rôle indispensable d’intermédiaire, d’interprète. La troisième source de pouvoir est celle liée à la maîtrise de la communication, du flux d’information. Enfin, il existe des règles organisationnelles également sources de pouvoir (Crozier, Friedberg, 1977 : 83).

Les sources de pouvoir préparent à l’idée que les interdépendances entre acteurs ne sont jamais équilibrées. Quelques-uns sont en mesure de prendre appui sur des éléments contextuels particuliers, ce que d’autres ne parviennent pas à faire.

Pour parvenir à un équilibre malgré tout, le système humain se transforme en se construisant. C’est la régulation (Crozier, Friedberg, 1977 : 283). Cette régulation s’appuie sur les prescriptions et les distanciations de ces prescriptions. C’est ce phénomène qu’il s’agit de mettre à jour car l’action organisée cherche avant tout un ordre, une stabilité, un équilibre, bref des régularités.

Avec les projets du type de ceux que nous étudions, les processus d’échanges non structurés, les négociations et les relations contractuelles sont souvent occultées voire oubliées. Par contre, l’ensemble des contraintes formelles, sans lesquelles ces échanges et relations ne seraient pas possibles et qui constituent l’arrière-fond ou le contexte général, est mis en avant et valorisé (Friedberg, 1992 : 539). Or, régulations formelles et informelles, régulations de contrôle et régulations autonomes (Reynaud, 1997) sont présentes partout dans la même relation. L’analyse stratégique évite cet écueil en permettant, malgré les particularités structurelles de nos terrains de recherche, de cerner les relations entre acteurs, les interdépendances qui en découlent et notamment les contraintes techniques, les enjeux de chacun, leurs ressources et leurs stratégies. En développant la compréhension des stratégies des acteurs, il est possible de cerner comment les acteurs gèrent leurs contraintes et ressources au moment de faire des choix. Cela donne des réponses en termes de

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stratégies et de jeux. En ce sens, la Théorie de la régulation sociale (Reynaud, 1997) permet de saisir les compromis d’orientation stratégique.

La Théorie de la régulation sociale questionne la création et le maintien des règles. Celles-ci ne proviennent pas de décisions isolées ; elles s’appuient les unes sur les autres et l’ensemble qu’elles forment est cohérent (Reynaud, 2003b : 431). En effet, deux systèmes de règles différents - l’un en provenance de la ligne hiérarchique, l’autre en provenance des travailleurs à la base - se rencontrent pour former les règles effectives c'est-à-dire la régulation conjointe. Les acteurs ont donc une part d’initiative dans l’élaboration des règles (Reynaud, 2003b : 400).

Pour Ségrestin également, l’adoption de nouveaux principes d’action commune est un processus dynamique. Lorsqu’il mesure le succès d’une action à la présence d’une transformation du projet managérial en règle commune par les travailleurs concernés (Ségrestin, 2004), il rejoint la régulation conjointe de Reynaud.

Malgré l’élargissement des champs possibles soumis à l’action organisée, il nous semble qu’une vision d’un acteur libre cantonné à une zone d’incertitude face au système est trop générale pour nous permettre de rendre compte de la science qui se fait et de la spécificité des actions menées au sein des projets. Par conséquent, la sociologie de l’acteur-réseau vient compléter l’action organisée avec ses notions de réseau, traduction et compromis, et ses considérations pour les controverses et le changement au cœur de la vie en laboratoire.

3.2.2. Le réseau comme espace de traduction et d’innovation : la sociologie