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Essai de nomenclature 34

Chapitre 2 : Réseau, innovation, biotechnologie et action publique 26

2.2. L’innovation 33

2.2.2. Essai de nomenclature 34

Tout d'abord, nous distinguerons deux aspects de l'innovation en tenant compte de leur apparition dans la littérature au gré de l'histoire: l'aspect social et l'aspect économique. L'aspect social, de plus en plus répandu, nous permettra notamment d'aborder l'innovation dans sa dimension institutionnalisée et flexible. Nous définirons ensuite les concepts d'exploitation, d'exploration et d'innovation incrémentale, radicale et de rupture et amènerons une distinction supplémentaire entre le processus et le résultat. Nous appréhenderons également l’innovation dite « sociale » qui se répand de plus en plus aujourd’hui. Une distinction complémentaire sera apportée : il s’agit de la distinction résultat – processus. Enfin, en partant de l’innovation comme processus, nous pourrons aborder la thématique des modèles linéaire et bouclé ou tourbillonnaire.

Dimension économique et dynamique sociale

Au départ, l'innovation était presqu'exclusivement appréhendée selon sa dimension économique ou technique. C'est Schumpeter (1912) qui, à travers une vision dynamique du progrès et de l’entreprise dépassant le système néoclassique, intégrera une dimension sociale à l'innovation en se centrant sur ce qui crée l'instabilité plutôt que l'équilibre. Il distingue d'ailleurs invention et innovation: le premier, indépendant du contexte économique et social, fait référence au domaine technique à travers la conception de nouveautés; le deuxième correspond à la mise sur le marché ou à l’intégration au sein

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d’un milieu social, s'accordant ainsi à l'articulation entre le monde de la découverte et celui de la logique de marché22.

Si la notion d’innovation s'élargit avec Schumpeter, elle reste néanmoins restreinte puisque correspondant à un moment unique. L’innovation se définit alors comme « un processus créatif unique par lequel deux ou plusieurs entités ou concepts sont combinés de manière à donner une configuration nouvelle » (Deltour, 2000 : 5) et Schumpeter se centre sur la figure de l’entrepreneur comme homme exceptionnel portant seul l’innovation : il est un créateur (1912).23

Ensuite, débordant de ce cadre, l’innovation est définie comme « l’apparition d’un élément nouveau pour l’unité d’analyse considérée » (Deltour, 2000 : 6). Elle devient alors « n’importe quelle idée, pratique ou artefact matériel perçu comme nouveau pour l’unité d’analyse qui l’adopte » (Zaltman et al., 1973, cité par Deltour, 2000 : 6).

A partir de cette approche élargie de l’innovation définie par Zaltman et al. (1973), Van de Ven (1986, cité par Deltour, 2000 : 6) définit l’innovation comme « le développement et la réalisation d’idées nouvelles par des individus qui, dans le temps, s’engagent avec d’autres dans un contexte institutionnel donné ». La définition de l’innovation est alors relative24. Daft (1978) souligne

l’importance de se questionner sur les critères d’évaluation de la nouveauté ce qui implique une réflexion sur la position occupée par l’évaluateur, puisque l’innovation peut revêtir des propriétés très différentes selon les points de vue. D’après Downs et Mohr (1976) la majorité des critères qui déterminent la catégorisation des innovations dépendent de la manière dont ils sont perçus par les acteurs. Une innovation est innovation en fonction de l’organisation où elle se retrouve, peu importe que les autres organisations aient déjà utilisé le produit de l’innovation ou non.

22 Cette distinction s’est maintenue pendant de nombreuses années puisque pour Alter (1996) de même, la dimension

sociale se voit intégrée dans l’innovation. Tandis que l’invention correspond à la simple création, l’incitation à innover, pour devenir innovation, elle doit être investie par des acteurs, qui lui confèrent du sens, la réinventent, la contextualisent.

23 Ségrestin dans le 6ème chapitre intitulé ‘Le management de projet : l’épreuve de la création continue’ de son ouvrage Les

chantiers du manager (2004) complète le discours de Schumpeter en déterminant deux figures de l’entrepreneur plutôt

qu’une: il ajoute à la la figure de créateur la figure d’industriel.

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En plus d’être relative, l’innovation correspond à un changement, bien que la distinction entre changement et innovation se maintienne : « une innovation est un changement spécifique, original, délibéré et considéré comme tel par les individus impliqués. Au contraire, le changement est un mécanisme de transformation qui n’induit pas la perception d’une originalité » (Deltour, 2000 : 6). L’intégration de la dimension sociale dans l’innovation amène à penser les limites de la rationalisation. Les activités économiques motivées par un souhait d’innovation ne sont pas « logiques » au sens invoqué par Pareto (1968), c'est-à-dire que leur but objectif n’est pas identique à leur but subjectif : elles comprennent les affects inhérents à l’homme. Le paradigme de la contingence structurelle postule la coexistence de buts contradictoires à l’intérieur d’une même organisation (Perrow, 1967). Plus récemment, la complexité technologique est pensée en lien avec l’imprévisibilité des actions en interaction. Ce phénomène est appelé « la complexité interactive » (Perrow, 1984). Partant de cette idée, Mintzberg (1986) définit la complexité du travail par son « intelligibilité » singulière c'est-à-dire la réduction de la capacité à prévoir, contrôler, standardiser les cas de figure qui en découlent. La rationalité limitée est souvent après coup conjuguée aux objectifs équivoques de l’organisation, à la connaissance incomplète des réalités et à l’incertitude contextuelle. Nous allons nous attarder davantage sur le caractère aléatoire de l’innovation.

Institutionnalisation et flexibilité

Les sociétés postindustrielles exposées au risque (Beck, 2001) sont caractérisées par l’accroissement des phénomènes imprévisibles (Grossetti, 2004). « Les acteurs opérant dans l’univers de la haute technologie travaillent sur des horizons de plus en plus raccourcis, des espaces productifs distanciés, des perspectives fuyantes, des informations volatiles du marché, des effets de surréactivité des opérateurs, des requêtes clients changeantes et imprécises, des stratégies erratiques, sur fond d’une rhétorique proliférante de l’adaptation, de la vitesse et de la flexibilité » (Minguet, Osty, 2008 : 19). Ce caractère foncièrement incertain de l’innovation et de l’organisation invite à plusieurs analyses. Pour Alter (1996), l’incertitude, caractérisée par l’absence de solutions déterminées aux problèmes rencontrés, permet à l’innovation de se déployer et, ce faisant, elle fait face à l’institutionnalisation de l’innovation qui redirige vers une mise en ordre, en acceptant certaines déviances et en en rejetant d’autres. Cela souligne les rapports étroits entre l’organisation et l’innovation.

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Ségrestin (2004) insiste également sur le côté indéterminé du processus social d’innovation. Plus encore, il affirme que les dispositifs les plus innovants sont les plus flexibles, accordant une marge de manœuvre à leurs usagers.

Bien avant eux, au travers de zones d’incertitudes, Crozier et friedberg (1977) soulignent le construit éphémère des interactions et l’expérience que se font les acteurs de la production incessante de nouvelles règles du jeu qui sont ambivalentes (les acteurs les détournent pour s’en servir c'est-à-dire pour en tirer du pouvoir) et contradictoires (elles profitent à l’un puis à l’autre). Les innovateurs sont des acteurs stratégiques mais qui diffusent l’information plutôt que de la dissimuler et participent activement à la transformation des règles en place. Il est alors impossible de rationnaliser l’innovation puisque les incertitudes sont en permanence renouvelées par les innovateurs.

La flexibilité est également mise en évidence par Piore et Sabel (1984) qui suggèrent une théorie de l’innovation, en s’appuyant sur l’informel, l’arrangement, la réactivité et l’adaptation qui engendrent une nouvelle combinaison entre le marché et les ressources localement disponibles.

De même, la flexibilité se retrouve chez Reynaud avec sa théorie sociologique de la régulation (1997) où chaque règle de l’organisation constitue une régulation conjointe, le résultat d’un compromis entre la régulation de contrôle en provenance de la direction, et la régulation autonome en provenance de la base. Impulser un changement, c’est créer un nouveau système de règles et cela n’est possible que si les nouvelles règles tiennent compte des règles antérieures.

La dichotomie institution-innovation est développée par Alter (1996, 2003). Il distingue la logique de l'organisation qui prévoit et la logique de l'innovation qui agit en situation incertaine. Une ambivalence apparaît dès lors entre la volonté d’établir des règles pour stabiliser le fonctionnement collectif et la volonté de les transgresser pour de nouveaux horizons. Quoi qu’il en soit, le processus d’innovation repose sur « l’émergence de comportements déviants et la capacité institutionnelle à en tirer parti » (Alter, 2003 : 86).

Les investissements de forme (Thévenot, 1985 ; Eymard-Duvernay, Marchal, 1994) sont particulièrement intéressants pour identifier la solidité au niveau de la stabilité temporelle, du degré d’objectivation et de l’espace de validité. Ils correspondent à un processus d’attribution d’une signification à ce qui deviendra un objet et constituent donc une forme d’accord concernant un objet.

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Exploitation et exploration, innovation incrémentale, radicale ou de rupture

En tenant compte de ces incertitudes et du caractère social de l’innovation, les acteurs explorent les voies susceptibles de conduire au progrès (March, 1991) et ils exploitent les routines et le capital de savoir-faire. Les deux démarches, exploration et exploitation, sont nécessaires à la pérennisation des organisations.

L’exploration de nouvelles alternatives est souvent considérée comme une innovation radicale avec l'invention d'une nouvelle technologie tandis que l’exploitation d’alternatives connues s’apparente davantage à de l’innovation incrémentale c'est-à-dire l’amélioration d’une technologie préexistante (March, 1991)25. Néanmoins, Garel et Rosier (2008) précisent que cette association n’est pas

systématique. En effet, explorer n’est pas nécessairement à la source d’une radicalité et pourrait mener à inventer une réalité à venir et donc tenir plus de l’innovation incrémentale.

L’ambidextrie est un concept introduit par Duncan (1976) pour évoquer la nécessité de séparer structurellement les premières phases du processus d’innovation des phases de mise en œuvre. Aujourd’hui, elle correspond à la conciliation entre exploration et exploitation c'est-à-dire une efficacité au niveau des demandes actuelles et une réactivité face aux changements de l’environnement (Raisc, Birkinshaw, 2008). Il s’agit de pouvoir combiner efficacité opérationnelle et flexibilité stratégique (Mothe, Brion, 2008), toutes deux essentielles à la survie de l’organisation. Cette combinaison est une tache ardue pour les entreprises car exploration et exploitation ne nécessitent pas le même environnement. Avec l’exploration, il s’agit de permettre l'expérimentation et la prise de risques à travers une structure fluide, tandis qu’avec l’exploitation, il importe d'installer une certaine routine à travers une structure hiérarchisée et stable (Schilling, 2008).

Avec le réseau, les activités d'exploration et d'exploitation peuvent être conduites par des entreprises différentes et complémentaires. Il est alors question d’ « ambidextrie de réseau26 » (Garel, Rosier,

2008). « Au sein d’un cluster, une division du travail se met en place entre des agents hétérogènes et

25 L’innovation incrémentale constitue le type le plus courant d’innovation et est pratiquée presqu’exclusivement par des

PME. A l’inverse, l’innovation radicale – ou de rupture –, très onéreuse, est beaucoup moins fréquente et absente des PME qui n’en ont pas les moyens (Devalan, 2006 : 20).

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interdépendants qui contribuent de manière complémentaire au processus d’innovation. Certains agents économiques prennent en charge les activités d’exploration alors que d’autres sont spécialisés sur les activités d’exploitation » (Ferrary, 2008 : 110). Gupta, Smith et Shalley (2006) précisent néanmoins que cela n’est réalisable que sous certaines conditions27.

L’innovation sociale

Si la définition de l'innovation sociale varie d'un chercheur à l'autre, ils se rejoignent tous pour considérer qu’elle est pensée au-delà de son avantage concurrentiel, en fonction de son impact sur l’environnement. Une innovation qualifiée de sociale ou inclusive doit amener un bénéfice mesurable pour une collectivité. Elle est une réponse nouvelle à une situation sociale jugée insatisfaisante ; elle est créatrice d’un mieux-être et se définit au sein de l’action et du changement durable (Cloutier, 2003). Cela ne signifie pas, cependant, qu’elle se limite au seul domaine de l’économie sociale (Lévesque et al., 2001). Cloutier (2003) détermine trois catégories d’innovations sociales : la première vise le mieux-être d’individus, la deuxième le développement d’une entreprise, et la dernière le développement d’un territoire. Cette dernière catégorie nous intéresse tout particulièrement. Elle comprend les groupes de développement local, dont les types et les appellations sont multiples et variés - cluster, district industriel, système productif local, etc. - comme nous le verrons plus loin. C'est principalement le mode d'organisation et la structure de l’innovation sociale, apportant des solutions originales aux problèmes économiques et sociaux (Cloutier, 2003 : 15-16) qui détermine son classement au sein de cette catégorie (Sabel, 1996, Defélix et al., 2007). Elle correspond alors à un type particulier d’organisation sociale (Gasse et Bussières, 1991) directement reliée à un processus de création et de mise en œuvre de l’innovation technologique. « Ce processus se caractérise par la coopération entre une diversité d’acteurs, dont les usagers, au cours de la phase de création de l’innovation sociale (définition du problème, identification des causes et des solutions) et de sa phase de mise en œuvre (participation financière, partage de ressources matérielles et techniques, mise à

27 La première condition est le contrôle des ressources complémentaires, pour les deux types d'organisation, rendant

possible le transfert des idées innovantes. Ensuite, elles doivent bénéficier d’un environnement particulier. Pour l’entreprise qui explore, il doit être dynamique et favoriser la recherche continuelle de nouvelles opportunités, alors que pour l’entreprise qui exploite, il doit être stable, pour favoriser l’efficience de l’organisation. Enfin, les actifs de chaque organisation doivent être suffisamment génériques pour que le marché suffise à organiser les échanges en rétribuant équitablement chaque acteur (Gupta, Smith et Shalley, 2006).

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profit de l’expertise, échange d’information, formation). Le processus d’innovation sociale est principalement envisagé comme un processus d’apprentissage » (Cloutier, 2003 : 18).

Résultat – processus

L’innovation en tant que processus est constituée de différentes étapes se déclinant du progrès technique au marché en passant par la Recherche et Développement.

Considérer l'innovation comme un processus n'est pas une évidence : elle peut s'apparenter à un résultat lorsqu'elle prend la forme d'un objet, d’une idée ou d’une pratique (Rogers, 1971). Elle est d’ailleurs souvent comprise dans ce sens lorsqu'il est question d'étudier l'ambidextrie (Brion, Mothe et Sabatier, 2008).

Que l’innovation soit considérée comme un résultat ou comme un processus, au départ elle ne concernait que l’amélioration d’un produit déjà existant au travers de ses technologies, de son design ou de sa fonctionnalité. Ensuite, avec Schumpeter, la notion s’élargit et se caractérise selon cinq types différents : nouveau produit, nouvelle méthode de production ou de commercialisation, conquête d’un nouveau marché, nouvelle source de matières premières et nouvelle organisation de la production (Schumpeter, 1942). L’innovation est ainsi extraite de sa forme purement technique pour faire apparaître une distinction centrale, celle opposant un produit selon une logique toujours plus intensive de renouvellement sur le marché, à une innovation organisationnelle afin de rendre l’organisation de l’entreprise plus flexible, adaptable et réactive.

Ces deux formes distinctes que revêt l’innovation sont présentes au cœur de nos terrains de recherche. L’innovation organisationnelle est appuyée par la particularité réticulaire des projets de recherche ; l’innovation technique, quant à elle, est présente au sein de chaque projet et de chaque laboratoire de recherche puisqu’ils visent la conception de nouveaux produits. Innovation technologique et innovation organisationnelle, bien que traditionnellement opposées, sont fréquemment concomitantes, voire co-activées (Machat, 1999) et inextricablement liées et enchevêtrées.

En partant de cette distinction, l’innovation peut être considérée comme un résultat technique ou un résultat organisationnel, limité alors au produit final ou à la configuration organisationnelle finale. Mais elle peut également être envisagée selon le processus de développement de produits, ou selon le

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processus organisationnel. Cela représente une source d’ambigüité quant au sens attribué à l’innovation (Deltour, 2000 : 4).

En nous centrant sur l’innovation entendue comme processus nous pouvons distinguer le modèle linéaire du modèle bouclé.

Modèle linéaire et modèle bouclé ou tourbillonnaire

La théorie standard de l’innovation en vigueur à la fin des années 70 appréhende l’innovation comme un enchaînement linéaire entre des inputs et des outputs, c'est-à-dire qu’elle passe par une succession d’étapes bien définies allant de la science au marché en passant par le développement et la production. Or, les processus d’innovation respectent rarement cet ordre et sont constitués d’allers- retours (Kline, Rosenberg, 1986). Il se peut par exemple, et c’est fréquemment le cas, que le mouvement soit impulsé par les besoins des utilisateurs plutôt que par les recherches scientifiques. Dès lors émerge un modèle de l’innovation plus interactif où la succession des différentes phases est floue (Kline, Rosenberg, 1986). Ce modèle rend possible des boucles de rétroaction au sein et entre les différentes étapes. Ces boucles de rétroaction permettent aux informations de circuler à chaque étape de l’innovation, amenant de nouvelles connaissances tout au long du processus. Cette approche s’intègre à la suite des réflexions de l’école évolutionniste (Nelson, Winter, 1982 ; Dosi et al, 1988) qui considère que les opportunités technologiques ne sont pas connues d’emblée et que les agents ont une rationalité toujours limitée (Simon, 1982) qui les pousse à l’interaction afin de bénéficier des connaissances d’autrui28.

Reposant sur les mêmes critiques que celles formulées par Kline et Rosenberg (1986) à l’égard de l’innovation linéaire, la sociologie de l’acteur-réseau développe le modèle tourbillonnaire du processus d’innovation. L’innovation y correspond à un processus collectif, fruit d’interactions entre acteurs. Elle est appréhendée dans un nouveau rapport avec le milieu social au sein duquel elle s’inscrit (Akrich, Callon et Latour, 1988), et s’élabore par la mobilisation de réseaux socio-techniques devant permettre l’adhésion d’un nombre important d’alliés. L’innovation est alors considérée comme un processus tourbillonnaire car il combine inlassablement des expérimentations et des

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enrôlements d’acteurs (humains et non-humains) créant de nouvelles associations, nécessitant de nouveaux dispositifs de traduction entre univers distincts devant parcourir ensemble un bout de chemin. En effet, Callon (1999 : 14) définit l’innovation comme suit : « L’innovation est par définition un phénomène émergent au cours duquel se mettent progressivement en place des interactions liant des agents, des savoirs et des biens, qui étaient auparavant non connectés et qui sont pris peu à peu dans un faisceau d’interdépendances : le réseau, considéré dans sa dimension formelle, est un puissant outil pour suivre la mise en place de ces connexions et pour décrire les formes qu’elles prennent. Mais ce qui caractérise l’innovation, c’est qu’elle consiste également en une alchimie qui combine des ingrédients hétérogènes : elle traverse les institutions tissant des relations compliquées et inattendues entre des sphères d’activité différentes, jouant à la fois sur les relations personnelles, sur le marché, sur le droit, sur la science et sur la technologie ». Quant au mécanisme de traduction, il « n’est rien d’autre que le mécanisme par lequel un monde social et naturel se met progressivement en forme et se stabilise pour aboutir, si [le mécanisme de traduction] réussit, à une situation dans laquelle certaines entités arrachent à d’autres (…) des aveux qui demeurent vrais aussi longtemps qu’ils demeurent incontestés » (Callon, 1986 : 205). Ce modèle tourbillonnaire fait alors de la capacité d’adaptation et du compromis des atouts centraux29.

Avec le modèle tourbillonnaire, l’innovation ne se constitue pas par son rapport au marché, mais par l’existence de relations efficaces. La « nouvelle sociologie économique » (Lévesque et al., 2001) rejoint ce modèle à travers l’idée qu’il n’y a pas un usage social prêt à accueillir l’innovation, mais une présence continuelle du social tout au long de son processus, le marché étant enchâssé au cœur du social.

La taxinomie proposée nous permet de situer l’innovation au cœur de nos terrains de recherche tant sous sa forme organisationnelle que sous sa forme technologique. Les dichotomies exploration/exploitation, incrémental/radical débroussaillent quelque peu la très vaste littérature sur le réseau en différenciant les types d’innovation, chacun abondant d’une littérature particulière en termes de management, de collaboration, de rapports humains. Elles nous amènent au concept d’ambidextrie de réseau introduisant l’intérêt, lorsqu’il est question d’innovation, d’avoir recourt à

29 Le modèle tourbillonnaire n’exclut en rien le modèle linéaire qui peut, parfois, s’avérer être adapté mais il le dépasse

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une configuration réticulaire. La thématique de l’innovation sociale doit être comprise comme une partie de notre contexte de recherche puisque les projets, financés par les pouvoirs publics, s’élaborent avec une finalité de redressement régional. Pensée comme un processus collectif avec l’aide de la sociologie de l’acteur-réseau, l’innovation abonde d’hommes et de femmes en interaction, et c’est cette dimension sociale et dynamique qui nous importe. Elle donne à voir l’innovation non