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Des logiques d’action à la régulation 86

Partie II : Cadre d’analyse et méthodologie 70

Chapitre 3 : le cadre d’analyse 71

3.2. La problématique 73

3.2.4. Des logiques d’action à la régulation 86

La terminologie de logique d’action en sociologie est largement répandue sans pour autant être clairement définie et faire l’objet d’un consensus quant à sa signification. Avec Karpik (1972), les logiques d’action correspondent à une variété de rationalités qu’il a observées sur son terrain de recherche. Elles se présentent alors, pour l’acteur, comme des modèles normatifs. Chez Dubet (1994), elles apparaissent pour les acteurs comme des mondes sociaux multiples auxquels ils font appel, ce qui va également dans le sens de la conception de Martuccelli (2001). Parler de « logique d’action », dès lors, c’est admettre une pluralité tout en maintenant l’idée de rationalité. « L’expression « logiques » au pluriel signifie que les choix ne sont pas dictés seulement par des limitations de rationalités ou par des jeux de pouvoir ou la construction des compromis. Les jeux d’acteurs et leurs

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enjeux ne sont pas compréhensibles sans références aux logiques portées par ces acteurs » (Amblard et al, 2005 : 259). Des auteurs aux paradigmes multiples ont recours à la notion de logique lorsqu’ils perçoivent une rationalité sans pouvoir en percer l’origine; ce terme comble alors le vide (Amblard et al, 2005 : 198). Il trouve ses fondements principalement dans la philosophie, tandis que le terme d’action recouvre le champ de la sociologie. Pour la philosophie, la logique devient une science de la déduction, « elle désigne à la fois les méandres du raisonnement qui font s’accorder ce qui suit avec ce qui précède, mais aussi, plus généralement, le lien entre l’origine et la fin, ou bien encore – en des termes plus sociologiques - l’intention et l’action » (Amblard et al, 2005 : 198). La sociologie inspirée de ce mouvement considère la logique comme la prise en compte des choix opérés par les acteurs et de ce qui les fonde.

Sainsaulieu (1977) utilise le terme de « logique d’acteur » comme résultat des idéologies porteuses de valeur, de la culture provenant des pratiques du travail et des relations de travail, et enfin de l’expérience stratégique des rapports de pouvoir. La logique d’acteur revêt par conséquent une dimension collective faisant référence à un passé, une culture commune, ainsi qu’une dimension individuelle puisque dans son rapport à la culture, elle désigne des cohérences qui ne sont pas seulement globales (Amblard et al, 2005 : 200). Par contre, les logiques situées chez l’acteur plutôt que dans l’action renvoient à une dimension assez statique puisque l’acteur préexiste à l’action. Il est sans doute préférable de considérer que l’acteur n’existe pas en soi mais qu’il est construit et défini comme tel par son action, ce que le vocable de logiques d’action traduit (Amblard et al, 2005 : 200- 201).

A l’instar d’Amblard et al. (2005 : 204) qui proposent de parler de logiques d’action comme étant composées d’une part d’acteurs, d’autre part d’une situation d’action, nous mobilisons le concept de logique d’action autour de ces deux éléments centraux. Tout d’abord, l’acteur, individuel ou collectif, social-historique, stratégique, groupal et pulsionnel, avec son histoire et son identité, opérant des traductions ou étant lui-même traduit ; d’autre part, la situation d’action en tant que moment historique et institutionnel, mythique et symbolique, dispositif d’objets et de sujets, histoire d’entreprise. L'un ne peut avoir le primat sur l'autre ni exister sans lui. De leur rencontre naissent les interactions qui donnent aux logiques d’action une matérialisation.

Les deux courants théoriques proposés, sociologie de l’action et des normes et sociologie de l’acteur- réseau, se mêlent aux deux composantes, acteur et situation d’action. Les projets étudiés sont

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constitués de plusieurs situations d’action; ils sont aussi constitués de plusieurs acteurs, semblables sur certains points et différents sur d’autres, notamment au niveau du contexte historique, de l'appartenance et de l'histoire organisationnelle. Par conséquent, plusieurs logiques d’action émergent. La réalité sociale est constituée de la régulation de ces différentes logiques d’action. Pour clarifier le propos, nous pourrions comparer les sources des logiques d’action aux deux sources de règles en articulation dans la théorie de la régulation sociale. Régulation autonome et régulation de contrôle engendrent une régulation conjointe acceptée par les deux parties en tension. Les logiques d’action telles que nous les proposons, en se régulant à l’ensemble, engendrent une régulation acceptée par chacun. C’est ce à quoi nous faisons référence en utilisant le vocable de gouvernance. Dans ce contexte de régulation, la gouvernance soulève la question politique du gouvernement des pratiques au sein des organisations et des dynamiques de projets, c'est-à-dire des modalités d’articulation des pratiques scientifiques et organisationnelles du vivant. Nous utilisons le concept de gouvernance tout au long de cette thèse pour faire référence à la conduite des acteurs au travers de ce mécanisme de régulation au sein des projets.

Questionner les logiques d’action vise à les relier à une politique du vivant et de la vie. Dans quelle mesure ces logiques d’action laissent-elles apparaître une nouvelle gouvernance, par l’articulation de l’organisationnel, du vivant et un rapport au sens ? La réponse va varier au gré des projets étudiés. Comment la biotechnologie produit-elle cette nouvelle forme de gouvernance et comment en est-elle le sujet ? Revient ici le lien entre politique de la vie et politique du vivant.

En étudiant les projets par l’articulation des deux théories et la notion de logique d’action, nous permettons de rendre compte autant des conflits de pouvoir que de l’élaboration de compromis normatifs. Si le conflit éclate, le compromis reste possible. Si le compromis est réalisé, il peut être rongé par les relations de pouvoir (Bernoux, Herreros, 1993). Il ne faut pas perdre de vue que les compromis peuvent être normatifs, tout comme ils peuvent être stratégiques. Les logiques d’action nous permettront de saisir la réalité effective par la régulation d’ensemble. L’objectif est de dresser au terme de ce travail un tableau synthétique reprenant les différentes logiques d’action d’origine et les régulations qu’elles engendrent pour chacun des trois projets étudiés.

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