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Différentes configurations réticulaires 43

Chapitre 2 : Réseau, innovation, biotechnologie et action publique 26

2.3. Différentes configurations réticulaires 43

Ce travail est bercé par le réseau, compris d’un côté comme une caractéristique sociétale, de l’autre comme une forme d’organisation spécifique avec ses avantages et ses inconvénients au sein du secteur des sciences du vivant. La particularité réticulaire propre à notre société actuelle vient d’être spécifiée plus haut, il nous faut à présent cerner les nouvelles formes partenariales des organisations caractérisées par leur innovation organisationnelle. Parcourons dès lors brièvement les formes réticulaires parmi lesquelles les organisations peuvent s’inscrire.

Le fonctionnement en réseaux s’est progressivement imposé comme l’une des stratégies majeures d’innovation technologique et de développement économique. Désormais, l’avantage compétitif ne reposerait plus uniquement sur la mobilisation de ressources géographiques, naturelles ou institutionnelles. Il importerait également de mobiliser des ressources cognitives et financières ainsi que des compétences parfois uniquement disponibles à l’extérieur. Selon Powell et Grodal (2005), les réseaux permettent l’accès à des idées nouvelles, à des ressources complémentaires et stimulent le transfert de connaissances. Plus ces réseaux sont larges, plus l’organisation est exposée à des connaissances diversifiées et plus les opportunités d’innovation sont nombreuses. Les hypothèses de Piore et Sabel (1984), si elles sont quelque peu différentes de Powell et Grodal, proposent néanmoins une nouvelle logique organisationnelle plus proche d’une forme réticulaire, qui s’éloigne de la rationalisation globalisante de l’entreprise, afin de parvenir à plus d’efficacité. Ainsi s’est forgée l’idée aujourd’hui largement répandue de l’organisation en réseaux.

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Ces nouvelles formes partenariales présentent des configurations particulières ayant déjà fait l’objet de nombreuses investigations dans diverses disciplines (en sociologie mais également en économie, gestion, géographie), dont notamment, en plus des investigations de Piore et Sabel (1984), celles de Porter (1998), de Kang et Sakai (2000), et de Hagedoorn (2002). Les types de configurations sont nombreux et nous allons tâcher de les organiser à partir de critères reposant sur un recoupement de produits selon les aspects géographique, institutionnel, valoriel et cognitif.

Certaines entreprises sous-contractent ce qui traditionnellement appartenait à la grande entreprise intégrée, permettant ainsi la formation de réseaux industriels de firmes centrées sur un produit particulier. En faisant référence à ces entreprises adoptant de nouvelles relations avec d’autres entreprises attelées à la fabrication du même produit (Neuville, 1997), Mariotti (2005 : 10) définit l’entreprise-réseau comme « des ensembles équipés et organisés d’entreprises indépendantes concourant à la production d’un même produit et/ou service ». Les frontières de ces entreprises sont floues, contingentes et de plus en plus complexes constituant le point d’ancrage des relations avec l’extérieur30. Elles adoptent de nouveaux modes de coordination et la notion de partenariat y

apparaît. Les relations associent jeu de pouvoir, domination, confiance et contrat répartis au sein du réseau.

D’autres formes de réseau, caractérisées par une concentration géographique, existent également. Mais, à en suivre la littérature managériale, cette proximité géographique est présentée comme insuffisante si bien que d’autres types de proximité - proximité de compétences, de stratégies, de modes d’organisation, de comportements, de technologies et de ressources (Hamdouch, Depret, 2009) - viennent compléter celle-ci. Le cluster31 économique est défini par Porter (1998) comme «

geographical concentrations of interconnected companies; specialized suppliers; service providers; firms in related industries and associated institutions in a particular field linked by commonalities and complementarities ». Nous retrouvons donc sous ce terme une proximité géographique, mais aussi

30 La difficulté à cerner les frontières des entreprises est également mentionnée dans les travaux de Granovetter (1985) où

les frontières délimitent des réseaux.

31 Le terme de cluster se décline en de nombreuses formes différentes : cluster économique mais aussi de connaissance,

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institutionnelle et économique. A l’inverse, le district32 industriel (Marshall, 1920 ; Zimmermann et

al., 1998 ; Mendez, 2005, Asheim 2000, Pyke et al. 1990 ; Benko et al., 1996) insiste uniquement sur la proximité géographique. Il ne regroupe que des entreprises et n’est pas labellisé par les pouvoirs publics, ce qui le différencie des systèmes productifs locaux français (Grossetti, 2004 ; Courlet, Pecqueur, 1991) qui sont considérés comme cruciaux pour le développement régional et sont labellisés. Le terme pôle de compétitivité apparaît tardivement avec la mise sur pied de clusters en France prenant cette appellation. Retour, au sein du dossier Pôles de compétitivité, propos d’étape de la Revue Française de Gestion (2009), définit les pôles de compétitivité comme « une combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques et privées, qui s’engagent à travailler ensemble au sein d’une même structure, afin de dégager des synergies autour de projets communs à caractère innovant disposant d’une masse critique nécessaire pour une visibilité internationale ». Le pôle se différencie du cluster par (1) la présence de la totalité des acteurs sans exception, (2) l’action publique de valorisation et de soutien qui est plus importante, et (3) la transformation en un instrument de sélection et de financement de projets collaboratifs par l’action publique (Porter, 1998).

Une distinction importante entre ces réseaux concerne la dynamique d’émergence et de structuration. Soit ils sont initiés par des acteurs extérieurs au réseau, comme des acteurs politiques par exemple - l’approche est alors qualifiée de top-down- ; soit ils émergent spontanément de manière autonome avec une approche dite bottom-up.

Collaboration voulue par les acteurs eux-mêmes

Collaboration reconnue et renforcée par les pouvoirs

publics Les partenaires sont tous des

entreprises Districts industriels Systèmes productifs Locaux

Les partenaires sont des organisations variées (entreprises, universités, etc.)

Clusters Pôles de compétitivité

(Retour, 2009 : 94)

32 Comme pour le terme de cluster, le terme de district se traduit en une multitude de déclinaisons : district industriel

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Les réseaux représentent davantage qu’un contrat ou une transaction puisqu’ils ont leurs propres relations de pouvoir, leur propre mesure de confiance, d’altruisme, d’amitié, leurs propres rites, habitudes, tabous, fonctionnements, chaque fois empreints de valeurs et de normes spécifiques. La catégorisation des réseaux peut reposer sur le recoupement valoriel. Tout en préservant une identité propre à chaque partenaire, il est généralement admis que les réseaux nécessitent une identité collective commune minimale pour fonctionner, les mécanismes de gestion formels ne suffisant pas. Cette identité collective commune peut se traduire par le partage de normes et de valeurs communes bâties sur des processus de socialisation (Uzzi, 1997; Handy, 1995 ; Kuty, 2008 ; Williamson, 1975 ; Ouchi, 1980 ; Gulati et Singh, 1998). Mais parvenir à socialiser les partenaires pour qu’ils partagent des valeurs communes est peu aisé. Ils sont exposés à d’autres processus de socialisation à commencer par leur entité d’origine et sont susceptibles de privilégier ce lien (Lubatkin, Florin et Lane, 2001).

Nous entrerions aujourd’hui dans une époque de la connectivité et de la mouvance qui favorise l’apparition de nombreux réseaux de différents types. Chaque individu tisse un réseau de liens qu’il entretient avec autrui. Mais au-delà des réseaux individuels à échelle sociétale, le réseau représente une configuration organisationnelle innovante en vue de favoriser des innovations technologiques. Cette configuration omniprésente peut revêtir différentes formes que nous avons parcourues et s’avère être particulièrement présente au sein du secteur des sciences du vivant33. Si la forme

réticulaire est associée à davantage de flexibilité, les sciences du vivant peuvent être associées à la prise de risque et à l’incertitude34.

Notre premier chapitre sur la politique de la vie et la politique du vivant dessine les contours du contexte du biopouvoir. Ensuite, le deuxième chapitre a commencé par marquer l’importance du réseau et de l’innovation de nos jours. Il s’agit à présent de déterminer dans quelle mesure la configuration réticulaire, le vivant (et en particulier les biotechnologies) et l’innovation s’assemblent

33 Cela fera l’objet d’un développement plus loin dans ce travail.

34 Notons que Knight distingue le risque de l’incertitude dans la mesure où, avec le risque, la distribution des résultats de

l’action dans un contexte est connue alors que ce n’est pas le cas avec l’incertitude car il est impossible de constituer une famille de cas tant chaque situation est unique (1921 : 233).

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et se combinent. Pour ce faire, nous caractériserons le secteur des sciences du vivant autour de l’importance que revêt la forme réticulaire, de son haut degré d’incertitude et de la préoccupation et la place des politiques publiques. Nous fournirons ainsi au lecteur les éléments nécessaires pour saisir le contexte général au sein duquel s’inscrivent nos terrains de recherche.