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Partie III : Le district de Saint-Louis : description et analyse des disparités spatiales de

Carte 3 La répartition de la population

148LERICOLLAIS André, 1975, « Peuplement et migrations dans la vallée du Sénégal », Cahiers des sciences

humaines, vol. 12, n° 2, ORSTOM, p 126.

Source : LERICOLLAIS André, 1975, « Peuplement et migrations dans la vallée du Sénégal », Cahiers des sciences humaines, vol. 12, n° 2, ORSTOM, pp 123-135.

o La parenthèse coloniale :

Située à l’écart des grandes routes du commerce transsaharien, la région participait fort peu aux échanges d’or et de sel qui reliaient le Maghreb aux empires soudanais149. L’arrivée des

premiers navigateurs européens sur les côtes sénégalaises à partir du XVème

siècle, vont aider à développer le commerce, s’en emparer et le détourner au profit du trafic atlantique.

Lorsque les colons français comprirent que le fleuve pouvait servir de point d’appui à la conquête coloniale, ils fondèrent en 1659 un comptoir commercial à quelques kilomètres de l’embouchure du fleuve Sénégal. Le fort de Saint-Louis, situé sur l’île de Ndar pour ses facilités de mouillage et de défense, va alors devenir la principale porte d’entrée ouest- africaine des colons européens150. Les compagnies qui s’y succèdent (françaises et anglaises)

s’adonneront essentiellement au trafic d’esclaves et au commerce de la gomme arabique (XVII, XVIII et XIXèmesiècle), avant de se lancer dans la culture commerciale de l’arachide

(fin XIXème

jusqu’au début des années 1970). La ville naissante de Saint-Louis, qui fait fonction de transit entre l’Europe et les escales du fleuve (Dagana, Podor, Matam), va connaître un destin exceptionnel. Promue capitale du Sénégal en 1872 et capitale de l’Afrique-Occidentale française151 en 1895, elle devient la plaque tournante privilégiée des exportations de marchandises tropicales vers l’Europe (arachide, gomme arabique, or de Galam, ivoire de « l’Île à Morfil », plumes d’autruches, cire et cuir) et des importations de produits manufacturés vers le continent africain (fusils, poudre, alcool, verroterie).

L’interdiction du trafic d’esclaves en 1815, la mise au point de la dextrine (substitut chimique de la gomme arabique) et le déploiement, plus au sud, des exploitations arachidières au milieu du XIXème

siècle, vont pourtant anéantir l’économie de Saint-Louis qui finira par perdre l’ensemble de ses fonctions de commandement152. Le port de Dakar, qui depuis 1857 concurrence Saint-Louis dans l’appareil colonial, lui souffle, à l’aube de l’indépendance, son statut de capitale en étant promue capitale de l’Afrique-Occidentale française en 1902, puis capitale du Sénégal indépendant en 1960.

149GASTELLU Jean-Marc, 1981, L’égalitarisme économique des serer du Sénégal, Paris, ORSTOM, 809 p.

150SINOU Alain, Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Saint-Louis, Gorée, Dakar, Paris, Karthala, 1993,

348 p.

151 L’Afrique-Occidentale française comprenait, avant sa dissolution (1958), les actuels Bénin, Burkina Faso,

Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal, soit près de 25 millions de personnes.

o De l’indépendance à nos jours :

Depuis l’indépendance (1960), le Sénégal doit faire face à une crise politique, économique et sociale d’envergure internationale. La région de Saint-Louis, fortement dégradée par la désertification et la perte de ses attributs urbains, est fortement touchée par la crise qui repousse de plus en plus loin ses principaux agents économiques. La déception des populations du fleuve face aux espoirs qu’elles ont toujours nourris à travers lui, va finir par les contraindre à un exode massif en direction des agglomérations plus florissantes du pays (Dakar, Touba, Saint-Louis, Richard-Toll) et des contrées prometteuses de l’étranger (France, Espagne, Italie, États-Unis).

De son histoire de peuplement et de ses nombreuses migrations, le département de Saint- Louis aura hérité d’une organisation sociale pluriethnique et fortement influencée par l’Islam. Malgré la présence coloniale et sa volonté de domination, le fleuve Sénégal, a toujours su faire cohabiter de nombreux peuples (Wolof, Peuls, Maures, Européens, etc.) et aura été une voie d’entrée de l’Islam au Sénégal. Les populations, tiraillées par ces influences diverses, parfois contradictoires, ont effectué le syncrétisme de l’une et de l’autre en réaménageant la trame de leur organisation sociale153. Ainsi nous remarquons aujourd’hui que le choix du

conjoint ou de la conjointe continue de s’inspirer des appartenances ethniques et sociales (castes) non reconnues par l’Islam, alors que les cérémonies familiales (mariage, baptême, décès) semblent plutôt respecter ses recommandations religieuses ; de même qu’il subsiste encore chez les Wolofs, une division traditionnelle du travail fondée sur la stratification sociale par caste154, et dans l’ensemble de la population un attrait pour les médecines

traditionnelles, toutes deux rejetées par l’Islam. Si ces structures traditionnelles sont aujourd’hui moins rigides parce que remodelées par la religion, la colonisation et l’économie mondiale, celles-ci sont toujours visibles et témoignent par leur adaptation, des héritages composites de la population.

153COQUERY-VIDROVITCH Catherine, 1988, « Villes coloniales et histoire des africains », Vingtième siècle,

revue d’histoire, vol. 20, n° 20, Presses de Sciences Po, pp 49-73.

154 Au Sénégal, la plupart des groupes ethniques comme les Wolofs par exemple, sont organisés par groupes

hiérarchiques. Ils sont déterminés à la naissance et vont permettre de contribuer à la division sociale du travail. On distingue en haut de l’échelle sociale les nobles (Géér), puis l’ensemble des catégories professionnelles et artisanales (Ñeeño) et les esclaves (Jaam).

2) Un site écologique privilégié mais fragile

o L’omniprésence de l’eau :

Le peuplement et l’expansion de Saint-Louis, qui ont pendant deux siècles bénéficié des atouts fluviaux et maritimes de la région, sont aujourd’hui menacés par un site naturel devenu contraignant pour l’installation humaine. Si la ville de Saint-Louis est née sur un site amphibie, baignée par l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal qui lui ont valu sa fortune, les bancs de sable qui se déplacent constamment, sous l’effet conjugué de la marée, des vents dominants et du courant fluvial, ne permettent plus aux navires modernes de franchir l’embouchure ou de naviguer sur le fleuve sans encombres.

Tournant le dos à la mer, et pourvu d’un arrière-pays sans grande valeur économique, la ville et les villages de la région, grâce aux nombreux cours d’eau qui les traversent et l’importance de l’eau souterraine, ont pu disposer d’abondantes ressources : l’eau de boisson d’une part, mais aussi de nombreux potentiels agraire et halieutique, de navigation et de tourisme.

Les eaux de surface, d’une part, sont régies par les fluctuations du fleuve et de ses défluents, et sont notamment disponibles dans les marigots et les mares temporaires qui viennent se former pendant l’hivernage. Les eaux souterraines, d’autre part, sont constituées par les nappes phréatiques superficielles (1 m de profondeur en moyenne), souvent affectées par la salinisation marine, et les nappes d’eau profondes issues du Maastrichtien (entre 50 et 250 m de profondeur en moyenne)155.

Ce potentiel hydraulique, aujourd’hui renforcé par la présence des barrages de Diama (construit en 1986 à 27 km en amont de Saint-Louis) et de Manatali (construit en 1988 au Mali dans la partie amont du bassin-versant), va permettre la mise en valeur des régions traversées par le fleuve : irrigation des terres cultivables, approvisionnement en eau potable, production d’énergie hydroélectrique, réduction des inondations et des remontées d’eaux saumâtres et maintien d’un tirant d’eau suffisant à la navigation en amont.

155Conseil régional de Saint-Louis, 2000, Plan régional de développement intégré (PRDI) 2000-2005 : tome 1 :

diagnostic socio-économique régional [en ligne].

o Les caprices du climat :

Cette situation privilégiée entre l’océan et les bras du fleuve est à l’origine du caractère singulier du climat de Saint-Louis. Située dans la partie sahélienne du Sénégal (16 degrés de latitude nord, 7 degrés au sud du Tropique du Cancer), le bas delta du fleuve est au carrefour de trois influences climatiques : l’aridité du désert saharien et des alizés continentaux ; la fraîcheur et l’humidité de l’océan Atlantique et des eaux froides de la Dérive Canarienne ; enfin, la mousson guinéenne très saturée en eau de pluie. Ce climat particulier de type subcanarien ou sahélocôtier, est caractérisé par une longue saison sèche alternant chaleur et fraîcheur de novembre à juin, à laquelle succède une courte période de pluies dont les précipitations violentes et irrégulières viennent chaque année aggraver les problèmes d’inondations redoutées en ville.

Le département de Saint-Louis, soumis à ces fortes variations météorologiques, observe en revanche des températures moyennes de faible amplitude pouvant aller de 17°C en saison sèche à 30°C pendant l’hivernage. La pluviométrie annuelle est dérisoire (243 mm en moyenne), irrégulière dans le temps (concentrée en été et pouvant aller de 100 à 350 mm selon les années) et fait subir à la région depuis 1970 de fortes périodes de sécheresse véritablement désastreuses pour l’économie agricole156.

Longtemps considéré comme le plus meurtrier du monde157, le climat de Saint-Louis est aussi

l’un des plus attrayants d’Afrique tropicale. Constamment balayés par les alizés maritimes, la ville de Saint-Louis et les villages du département situés sur la côte atlantique bénéficient d’une fraîcheur très convoitée par les populations. Les brises marines relativement modérées (5 m/s)158 rafraîchissent les températures à la tombée de la nuit mais peuvent être

particulièrement pénibles de décembre à mars. Ces brusques variations de température exigent des habitants une forte adaptation, d’autant plus difficile qu’elle s’opère bien souvent dans des maisons mal isolées et non chauffées qui ne protègent pas l’organisme contre les refroidissements de température et le vent. Aussi cette période est souvent accompagnée de malaises, de vomissements, de diarrhées et d’une recrudescence des dysenteries.

156Service régional de la statistique et de la démographie de Saint-Louis, 2010, Situation économique et sociale

de la région de Saint-Louis : édition 2009, Dakar, ANSD, 133 p.

157Jusqu’au milieu du XIXèmesiècle, les taux de mortalité des colons installés à l’embouchure du fleuve ont été

imputés aux rudesses du climat local.

158 Commune de Saint-Louis, 2005, Profil environnemental de la ville de Saint-Louis, Saint-Louis, Agence de

o Les contraintes environnementales :

Malgré les nombreux atouts que comporte la position géographique du site, l’omniprésence de l’eau et les changements climatiques observés depuis 1970 font peser sur la ville et les villages environnants, de lourdes contraintes environnementales et sanitaires.

La présence du fleuve et la proximité de la nappe phréatique vont réduire les surfaces urbanisables, imposer des mesures de protection (digues, stations de pompage, dragage, etc.) et des méthodes de construction résistantes à l’eau et adaptées à la précarité des sols (constructions légères, fondations profondes en béton armé, remblaiement, renforcement des câbles et des réseaux souterrains plutôt que des ouvrages aériens, etc.)159.

L’irrégularité et la diminution progressive de la pluviométrie vont accélérer le processus de désertification et accentuer les effets néfastes de l’harmattan qui appauvrissent les écosystèmes (dégradation de la végétation, tarissement des nappes souterraines), précarisent les activités humaines (dégradation des systèmes agricoles et pastoraux) et dégradent la santé des populations (recrudescence des pathologies respiratoires engendrées par le vent chargé de sable).

Paradoxalement, le phénomène de crue160 et les faibles altitudes (5 m en moyenne), vont

provoquer chaque année des inondations dont les plus dévastatrices (1994 et 1999) ont été aggravées par les nombreuses constructions effectuées sous la pression anthropique dans les zones inondables de la périphérie urbaine (au fur et à mesure que les populations s’installent, le sol, déjà argileux, s’imperméabilise et les dommages causés par les crues augmentent). Si les barrages de Diama et de Manantali sont parvenus à réguler les crues du fleuve pendant l’hivernage161, leurs impacts sur les inondations urbaines restent très mitigés. Le canal de délestage, creusé en 2003 sur la langue de Barbarie pour faciliter l’écoulement des eaux fluviales sur le cordon littoral et ainsi parer aux inondations qui menacent la ville chaque année, n’a lui non plus, pas été en mesure de résoudre le problème. Faute de réseaux d’évacuation et des faibles pentes observées au sol, les pluies violentes qui s’abattent chaque

159DIA Aliou Mamadou, 2000, Écoulements et inondations dans l’estuaire du fleuve Sénégal : le cas de la ville

côtière de Saint-Louis, DEA de Géographie, Université de Dakar, 65 p.

160En saison sèche, le débit du fleuve est quasi nul et son niveau d’eau moyen correspond à celui de la mer. Il

peut, en revanche, atteindre près de 2 m au cours de la saison des pluies. 161

Favorisée par une faible déclivité du sol, la remontée des eaux salées depuis l’embouchure dans les cours

inférieurs du fleuve Sénégal pouvait s’étendre sur plus de 200 km. Elle ne concerne aujourd’hui plus que l’aval du barrage de Diama.

année sur la ville stagnent toujours dans les rues de Saint-Louis et causent la perte de nombreuses vies humaines, d’une bonne partie du cheptel et des cultures agricoles. Les nécessaires lâchers d’eaux effectués en fin d’hivernage au niveau du barrage vont même provoquer de nouvelles inondations dans une grande partie de la ville (Khor et les quartiers de Sor).

Ces aménagements humains ne sont pas sans conséquences sur l’écosystème et les activités humaines locales162. Depuis la mise en eau du barrage de Diama et l’ouverture de la brèche,

les concentrations salines sont de plus en plus importantes163, l’érosion côtière s’est

accélérée164, la faune et la flore se sont considérablement appauvries165, des espèces aquatiques envahissantes ont proliféré166, et les activités traditionnelles artisanales,

halieutiques, agricoles et d’élevage ont dû s’adapter à un environnement altéré167.

En plus des problèmes environnementaux et économiques, les aménagements humains (barrages, canal mais aussi urbanisation) et les mauvaises pratiques de la population autour du fleuve (déversement des déchets solides et des eaux usées, déjections humaines et animales, etc.) ont renforcé les problèmes sanitaires liés à l’eau déjà très présents dans la région. Depuis leur apparition, les chercheurs s’interrogent sur la recrudescence des maladies endémiques telles que le paludisme, la bilharziose urinaire et intestinale, le choléra, les maladies digestives (vomissements, diarrhées, dysenteries, vers et parasites) ou encore dermatologiques168. Ces

maladies hydriques, qui touchent une bonne partie de la population, affaiblissent notamment les plus vulnérables comme les enfants qui subissent de plein fouet les conséquences de l’activité humaine.

162TAIBI Aude Nuscia, BARRY Mohamed el Habib, JOLIVEL Maxime, BALLOUCHE Aziz, OULD BABA

Mohamed Lemine et MOGUEDET Gérard, 2007, « Enjeux et impacts des barrages de Diama (Mauritanie) et Arzal (France) : des contextes socio-économiques et environnementaux différents pour de mêmes conséquences », Environnement, Aménagement, Société, n° 203, Norois, pp 51-66.

163Les terres sont sans cesse recouvertes par les eaux salées et finissent par s’assécher.

164Les bords du canal n’ayant pas été consolidés, la dimension de la brèche est passée de 100 m à 800 m de large

en quelques années.

165 On observe notamment une disparition des mangroves, des formations de savane arborée, de la faune

halieutique et des oiseaux migrateurs.

166 Le typha australis par exemple.

167De nombreux points d’eau sont aujourd’hui inexploitables, la cueillette de Sporobolus, de Nymphea lotus ou

des gousses d’Acacia nilotica qui servent pour la confection des nattes et le tannage des peaux a diminué, les pêcheurs ont migré, les cultures de décrue ont pratiquement disparu et les éleveurs ont laissé place à l’agriculture irriguée.

168BRENGUES Jaques et HERVÉ Jean-pierre (dir.), 1998, Aménagements hydro-agricoles et santé : vallée du