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3. Contrôle neural de la respiration

3.2 Régulation du rythme respiratoire

La capacité du tronc cérébral de générer des décharges motrices rythmiques associées à la respiration en absence de signaux afférents semble être répandue chez tous les vertébrés. Cependant, le maintien de l’O2 et du CO2 sanguin à des niveaux adéquats nécessite que le système de contrôle de la respiration puisse répondre à diverses exigences environnementales et métaboliques en régulant le rythme respiratoire (Smatresk 1990). Cette régulation du rythme respiratoire s’effectue, entre autres, par la présence de chémorécepteurs : des variations de PO2, de PCO2 et de pH dans l’environnement immédiat

des chémorécepteurs, qu’il soit externe ou interne, altèrent l’activité de ces derniers, ce qui occasionne des changements réflexes au niveau de la ventilation qui permettront d’assurer l’homéostasie (Feldman et McCrimmon 2003).

3.2.1 Chémosensibilité périphérique et centrale à l’oxygène

Chez les vertébrés, on observe une réduction de la distribution des chémorécepteurs périphériques sensibles à l’O2 au cours de l’évolution : alors que les poissons et les amphibiens possèdent de multiples sites chémosensibles à l’O2 situés à plusieurs endroits, les mammifères et les oiseaux sont dotés d’un unique site récepteur dominant. À titre d’exemple, on retrouve, chez les poissons, des chémorécepteurs associés aux quatre arcs branchiaux ainsi qu’à la cavité orobranchiale capables de détecter différents niveaux d’O2 aussi bien dans le sang que dans l’eau. À l’inverse, chez les mammifères, l’ensemble des chémorécepteurs périphériques sensibles à l’O2 se retrouvent exclusivement au niveau des corps carotidiens (Gilmour 2001, Perry et Gilmour 2002, Milsom et Burleson 2007, Milsom 2010a) et aortiques, ces derniers étant souvent considérés comme accessoires par rapport aux premiers (Piskuric et Nurse 2012, Piskuric et Nurse 2013). Par conséquent, chez les mammifères, le champ de détection des chémorécepteurs sensibles à l’O2 est limité au sang artériel. Deux évènements pourraient expliquer cette tendance. Le premier est la transition d’une respiration aquatique ou bimodale vers une respiration strictement aérienne (Milsom 2010a). En effet, considérant l’occurrence fréquente de l’hypoxie dans les environnements aquatiques (Smatresk 1990), la capacité de détecter des changements de PO2 à de multiples endroits, incluant l’environnement extérieur, présente certainement un

avantage pour les vertébrés pratiquant la respiration aquatique (Milsom 2010a). L’air étant beaucoup plus riche en O2 que l’eau (Dejours 1989), on peut raisonnablement spéculer que

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la disparition des chémorécepteurs périphériques capables de sentir les niveaux d’O2 du milieu externe est liée à l’abandon de la respiration aquatique (Milsom 2010a). Le deuxième évènement ayant possiblement contribué à la réduction de la distribution des chémorécepteurs périphériques sensibles à l’O2 est la transition d’un cœur avec anastomoses, ou « shunts », entre ses différents compartiments vers un cœur sans anastomoses. Chez les vertébrés où le cloisonnement longitudinal du cœur est incomplet, c’est-à-dire où le sang artériel et le sang veineux peuvent se rencontrer en raison de la présence d’anastomoses intracardiaques, l’augmentation du transport d’O2 artériel peut être obtenue non seulement par l’augmentation de la ventilation, mais également par la réduction des échanges sanguins entre le cœur droit et le cœur gauche. Par exemple, chez les amphibiens et les reptiles, les récepteurs associés à l'aorte et l'artère pulmonaire semblent être capables de détecter des changements de PO2 dans le sang circulant vers les

poumons ou en provenance de ces derniers et leur implication dans la régulation de la capacité de transport de l’O2 s’effectue principalement par le contrôle de l’ouverture des anastomoses intracardiaques. De ce fait, la répartition de chémorécepteurs périphériques sensibles à l’O2 en divers sites appropriés permet probablement à ces espèces de réguler plus efficacement le transport de l’O2 sous différentes conditions (Wang, Branco et al. 1994, Wang et Hicks 1996, Wang 1997, Milsom 2010a). À l’inverse, le cloisonnement longitudinal du cœur des oiseaux et des mammifères est complet, ce qui rend impossible le passage direct du sang entre le cœur droit et le cœur gauche et, par conséquent, le mélange du sang artériel et du sang veineux ne peut avoir lieu. Ainsi, la circulation sanguine devient entièrement unidirectionnelle et cyclique : cela justifie peut-être pourquoi la présence d’un unique site chémosensible à l’O2, situé là où passe la totalité du sang artériel refoulé par le cœur, est suffisante pour assurer un contrôle efficace de la PO2 du sang (Comroe et

Mortimer 1964, Hatcher, Chiu et al. 1978, Milsom 2010a). La réorganisation de la distribution des chémorécepteurs sensibles à l’O2 au cours de l’évolution des vertébrés est illustrée à la figure 1.9.

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Figure 1.9 : Diagramme schématique illustrant la distribution des chémorécepteurs sensibles à l’O2

chez différents groupes de vertébrés. Les chiffres romains VII, IX et X font référence aux nerfs crâniens facial, glossopharyngien et vague, respectivement, tandis que les chiffres arabes de 2 à 6 font référence aux artères approvisionnant leurs arcs branchiaux embryonnaires respectifs. En plus des corps carotidiens, situés à la bifurcation des artères carotides communes, on retrouve des chémorécepteurs sensibles à l’O2 dans les

corps aortiques des mammifères, ces derniers étant distribués de manière diffuse le long du nerf vague et de ses branches situées à proximité de la crosse de l’aorte. Alors que le rôle principal des chémorécepteurs des corps carotidiens est de réguler les fonctions respiratoires, il a été suggéré que celui des chémorécepteurs des corps aortiques serait de réguler les fonctions cardiovasculaires (Piskuric et Nurse 2012, Piskuric et Nurse 2013). pb, pseudobranche; hb, hémibranche. Figure modifiée à partir de Milsom (2010a).

Bien que l’existence de chémorécepteurs centraux à O2 n’ait jamais été directement prouvée, la présence de sites sensibles à l’O2 à l’intérieur du CNS fut assumée plus ou moins par défaut chez les espèces où l’élimination des afférences périphériques reconnues pour jouer un rôle dans la régulation du rythme respiratoire ne parvient pas à éliminer totalement la réponse à l’hypoxie normalement présentée par un spécimen intact (Milsom 2010a). Chez les poissons, la chémosensibilité centrale à l’O2 ne semble pas être un caractère universel : tandis que la dénervation des branchies entraîne l’abolition complète de la réponse ventilatoire à l’hypoxie chez certaines espèces (Milsom et Burleson 2007, Milsom 2010a), ce n’est pas le cas pour d’autres espèces (Comroe et Mortimer 1964, Hatcher, Chiu et al. 1978, Wang, Branco et al. 1994, Sundin, Reid et al. 2000, Milsom, Reid et al. 2002, Milsom 2010a, Piskuric et Nurse 2012). Dans certains cas, il est possible

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que la réponse ventilatoire à l’hypoxie, ou ce qu’il en reste, perdure en raison de la présence de chémorécepteurs extrabranchiaux situés ailleurs dans la cavité orobuccale ou dans le système vasculaire artériel de la tête et dont l’innervation a été épargnée (Wang, Branco et al. 1994, Sundin, Reid et al. 2000, Milsom, Reid et al. 2002, Milsom 2010a), mais il y a d’autres cas où l’hypothèse d’une chémosensibilité centrale pouvant influencer le rythme respiratoire semble plus plausible (Comroe et Mortimer 1964, Milsom 2010a, Piskuric et Nurse 2012). Chez les amphibiens, la chémosensibilité centrale à l’O2 semble varier en fonction du stade de développement, du moins c’est ce que suggère le fait qu’il n’existe aucune preuve appuyant la présence d’une sensibilité centrale à l’O2 chez les amphibiens à l’état de têtard pré-métamorphique alors que les troncs cérébraux isolés de grenouilles post- métamorphiques et adultes produisent une réponse biphasique suivie d’une cessation réversible de l’activité respiratoire lorsqu’ils sont exposés à un épisode d’hypoxie suffisamment long (Winmill, Chen et al. 2005, Milsom 2010a). Pour ce qui est des mammifères, la dénervation des corps carotidiens ne semble pas être suffisante pour éliminer entièrement la réponse ventilatoire à l’hypoxie chez plusieurs espèces (Carrier et Farmer 2000, Coolidge, Hedrick et al. 2007, Milsom 2010a, Piskuric et Nurse 2013). Il est difficile de dire, dans de tels cas, si ces réponses résiduelles découlent des corps aortiques ou de chémorécepteurs centraux à O2 (Milsom 2010a). Toutefois, certaines études ont démontré que le CPB pouvait agir comme un site central chémosensible à l’O2 en conditions in vivo (Weibel 1984, Solomon, Edelman et al. 2000, Solomon 2005, Milsom 2010a) et in vitro (Ramirez, Quelimalz et al. 1998, Thoby-Brisson et Ramirez 2000, Pena, Parkis et al. 2004, Milsom 2010a). Considérant l’ensemble des données issues des études mentionnées ci-dessus, il semblerait que l’apparition de la chémosensibilité centrale à l’O2 coïncide avec l’émergence de la respiration aérienne chez les vertébrés. Le rôle de la chémosensibilité centrale à l’O2 serait de servir de seconde barrière de défense en permettant de réguler la ventilation lorsque les chémorécepteurs périphériques ne parviennent pas à assurer une oxygénation adéquate du CNS (Milsom 2010a).

3.2.2 Chémosensibilité périphérique et centrale au dioxyde de carbone

En raison de la faible capacitance de l’eau pour l’O2, les poissons doivent maintenir un important taux de convection de l’eau à la surface des branchies afin de favoriser le passage de l’O2 environnemental vers le sang. Cependant, puisque la capacitance de l’eau pour le

29 CO2 est beaucoup plus élevée que pour l’O2, le maintien d’une PO2 artérielle adéquate est

systématiquement accompagné d’une faible PCO2 artérielle chez les poissons au repos

(Dejours 1989, Smatresk 1990). Considérant que l’élimination du CO2 par les branchies est hautement efficace en milieu aquatique, il n’est pas étonnant que ce soit l’O2, et non le CO2, qui exerce un contrôle chimique dominant sur la ventilation branchiale chez les poissons (Smatresk 1990). Par ailleurs, les biologistes ont longtemps considéré que les poissons étaient complètement dépourvus de chémorécepteurs au CO2 (Milsom 2002, Milsom 2010b). On sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas. En fait, tous les vertébrés, des poissons aux oiseaux et aux mammifères, sont dotés de chémorécepteurs sensibles aux changements de PCO2/pH (Milsom 1991, Gilmour 2001, Milsom et Burleson 2007, Milsom

2010a), mais, pour plusieurs espèces de poissons, les chémorécepteurs périphériques au CO2 semblent résider exclusivement dans les branchies et ils répondent principalement aux changements de PCO2/pH aquatique plutôt qu’artériel (Milsom 2002, Milsom 2010a,

Milsom 2010b). Or, comme pour la réponse ventilatoire à l’hypoxie, la dénervation complète des branchies ne parvient pas à supprimer entièrement la réponse ventilatoire à l’hypercapnie ou à l’acidose chez certaines espèces. Cela suggère qu’il existe, chez ces poissons, des sites extrabranchiaux sensibles au CO2/pH capables de générer une réponse ventilatoire complète ou résiduelle face à des changements de PCO2/pH. Les données

accumulées à partir d’expériences précédentes suggèrent que, pour la plupart des espèces étudiées, ces cellules extrabranchiales, également sensibles aux variations de PCO2/pH dans

l’environnement externe, résident dans la cavité orobranchiale. Malgré tout, les résultats découlant de quelques rares études semblent indiquer que tous les grands groupes de poissons comptent possiblement des espèces possédant une chémosensibilité centrale au CO2/pH, quoique seules les données concernant les poissons pratiquant la respiration bimodale sont véritablement convaincantes à ce sujet (Hedrick, Burleson et al. 1991, Milsom 2002, Milsom, Reid et al. 2002, Milsom 2010b). De ce fait, l’existence de chémorécepteurs centraux chez les poissons est encore débattue (Wilson, Harris et al. 2000, Remmers, Torgerson et al. 2001). Chez les amniotes pratiquant la respiration aérienne, les artères des arcs branchiaux sont désormais exclusivement internes et les récepteurs qui leurs sont associés ne peuvent détecter que les changements de PCO2/pH artériel. On

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probablement de seconde ligne de défense. Des données accumulées au sujet des dipneustes (classe des sarcoptérygiens) nous indique que ces récepteurs centraux seraient apparus plus d’une fois au cours de l’évolution, en association avec plusieurs des multiples origines indépendantes de la respiration aérienne chez les poissons (Gilmour 2001, Milsom et Burleson 2007, Milsom 2010a). De plus, la présence de plusieurs sites centraux sensibles au CO2/H+ chez les amphibiens et les mammifères implique qu’en plus d’être apparus plusieurs fois chez différentes espèces, ces récepteurs centraux seraient aussi apparus de multiples fois chez une même espèce (Nattie 1999, Torgerson, Gdovin et al. 2001a, Perry et Gilmour 2002, Milsom 2010a). Les mécanismes de chémotransduction du CO2/H+ seraient aussi variés que les différents groupes de récepteurs impliqués (Gilmour 2001, Milsom 2002, Milsom 2010a).