• Aucun résultat trouvé

3. Contrôle neural de la respiration

3.1 Localisation des neurones respiratoires

3.1.3 Distribution des neurones respiratoires chez les ectothermes

Comme il a été mentionné précédemment, la rythmogenèse respiratoire est une fonction phylogénétiquement ancienne et fortement conservée chez les vertébrés (Hedrick 2001, Hedrick 2005, Vasilakos, Wilson et al. 2005, Kinkead 2009). Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas certaines distinctions au niveau de l'organisation du réseau neuronal responsable de la rythmogenèse respiratoire entre les différents groupes de vertébrés. Par exemple, chez les lamproies adultes, de multiples enregistrements électrophysiologiques in vitro et in situ ont mis en évidence l’existence de deux rythmes respiratoires distincts : un rythme «·rapide·», correspondant à la principale commande motrice produisant le mouvement de l’eau à travers les fentes branchiales, et un rythme «·lent·», associé à de fortes contractions de la musculature entourant le panier branchial soupçonnées de servir à déloger des particules s’étant accumulées sur les branchies (Rovainen 1979, Kinkead 2009). Plusieurs évidences supportent l’hypothèse selon laquelle chacun de ces deux rythmes seraient générés par une différente paire d’oscillateurs centraux distribués bilatéralement. Le rythme «·rapide·» seraient généré dans la partie rostrale du rhombencéphale, plus précisément dans une région rostrolatérale au noyau trijumeau (nT) (Martel, Guimond et al. 2007, Milsom 2010a) nommée le groupe respiratoire paratrijumeau (GRpT) (Mutolo, Bongianni et al. 2007, Kinkead 2009), alors que le rythme «·lent·» serait produit dans une région du bulbe rachidien contenant les noyaux moteurs facial (nMF), glossopharyngien (nMG) et vague (nMV) (Kawasaki 1984, Rovainen 1996, Martel, Guimond et al. 2007, Kinkead 2009, Milsom 2010a). Bien qu’elle soit encore mal comprise, il a été démontré qu’il existe une interaction substantielle entre ces deux générateurs de rythme et que ces derniers sont modulés par des afférences sensorielles en provenance des branchies (Martel, Guimond et al. 2007, Kinkead 2009). Cela n’est pas sans rappeler les interactions entre le CPB et le GRpF des mammifères (Onimaru et Homma 2003, Duffin 2004, Milsom 2010a).

Pour ce qui est des poissons, on sait très peu de chose sur la localisation et la physiologie des circuits rythmogéniques chez cette classe de vertébrés (Kinkead 2009). Les quelques rares études consacrées à ce sujet suggèrent que le réseau respiratoire serait distribué de manière diffuse à l’intérieur du tronc cérébral, du moins chez certaines espèces (Shelton 1961, Duchcherer, Kottick et al. 2010). Ceci contraste fortement avec les réseaux nucléés

23 que l’on retrouve chez les amphibiens (Vasilakos, Kimura et al. 2006) et les mammifères

(Rekling et Feldman 1998). En effet, l'existence de «·nœuds vitaux·» essentiels à la rythmogenèse respiratoire, à l’instar du CPB chez les mammifères, reste encore à être démontrée chez les poissons. (Shelton 1961, Duchcherer, Kottick et al. 2010). Or, il serait prématuré de tirer une quelconque conclusion à ce sujet avant qu’un plus grand nombre d’études sur la neurologie respiratoire des poissons aient été effectuées. Wilson et al. (2000) ont démontré que la préparation in vitro du tronc cérébral isolé d’un lépisosté osseux (Lepisosteus osseus), un actinoptérygien pratiquant une forme primitive de respiration bimodale, produit deux patrons de décharges motrices distincts, l’un pouvant être associé à la respiration branchiale et, l’autre, à la respiration pulmonaire. Quoique limitées, ces données suggèrent que l'apparition du premier générateur de rythme respiratoire associé à la respiration aérienne date d'avant la divergence des sarcoptérygiens et des actinoptérygiens (Wilson, Harris et al. 2000, Kinkead 2009). Cependant, on ignore toujours si les neurones produisant le rythme branchial sont différents de ceux produisant le rythme pulmonaire (Kinkead 2009).

En revanche, chez les amphibiens, on sait que les circuits générant le rythme de haute fréquence et de faible amplitude associé à la ventilation branchiale (chez les têtards) ou buccale (chez les adultes) et le rythme de basse fréquence et de haute amplitude associé à la respiration pulmonaire sont fonctionnellement distincts (Galante, Kubin et al. 1996, Kinkead 2009). Une étude développementale a démontré que, chez les têtards pré- métamorphiques, les circuits générant le rythme respiratoire pulmonaire semblent être situés dans une région légèrement caudale au nerf vague alors que, après la maturation, les sites dominants de la génération du rythme respiratoire pulmonaire semblent être relocalisés dans une région plus rostrale du tronc cérébral, située entre les nerfs crâniens V et X (Torgerson, Gdovin et al. 2001b, Kinkead 2009). Ces résultats s’accordent avec ceux d’une autre étude, effectuée sur des grenouilles adultes, suggérant que la génération du rythme respiratoire pulmonaire prend naissance dans une région située entre les nerfs crâniens VIII et IX (McLean, Perry et al. 1995, Wilson, Vasilakos et al. 2002, Kinkead 2009), à proximité du nMF, du nMG et du nMV (Wilson, Vasilakos et al. 2002, Milsom 2010a). Pour sa part, le réseau responsable de la génération du rythme respiratoire branchial semble occuper une position plus rostrale, au niveau du nerf crânien X (Wilson, Vasilakos

24

et al. 2002, Kinkead 2009). Il existe un nombre important de similarités entre le générateur du rythme respiratoire pulmonaire de la grenouille et le CPB du rat : 1) ces deux circuits ne semblent pas dépendre de l’inhibition postsynaptique pour générer une activité rythmique pouvant être associée à la ventilation des poumons (Galante, Kubin et al. 1996, Shao et Feldman 1997, Wilson, Vasilakos et al. 2002), 2) ils sont tous deux situés dans la moelle ventrolatérale, entre les nMF et les nMG (Wilson, Vasilakos et al. 2002) et 3) chacun de ces sites semblent chémosensible au CO2-H+ (Torgerson, Gdovin et al. 2001a, Wilson, Vasilakos et al. 2002). Ainsi, il y a de fortes chances que ces deux circuits soient homologues (Vasilakos, Wilson et al. 2005, Kinkead 2009). Il existe également des similarités intéressantes entre les rythmes respiratoires buccal et pulmonaire des amphibiens et les deux rythmes respiratoires retrouvés chez les lamproies. Par exemple, la fréquence du rythme respiratoire buccal des amphibiens se situe entre 30 et 60 respirations/minute (Wilson, Vasilakos et al. 2002), ce qui est comparable à la fréquence du rythme respiratoire «·rapide·» des lamproies (Martel, Guimond et al. 2007), alors que les décharges pulmonaires se produisent en moyenne une fois par minute chez les amphibiens (Wilson, Vasilakos et al. 2002), une période semblable à celle du rythme «·lent·» des lamproies (Martel, Guimond et al. 2007). De plus, les décharges pulmonaires peuvent survenir seules ou en groupe (Wilson, Vasilakos et al. 2002) comme celles du rythme «·lent·» des lamproies (Martel, Guimond et al. 2007). Toutefois, les décharges buccales et pulmonaires de la grenouille sont approximativement de la même durée alors que, chez les lamproies, les décharges du rythme «·rapide·» sont beaucoup plus courtes que celles associées au rythme «·lent·» (Martel, Guimond et al. 2007).

Certaines évidences suggèrent que tous les sites majeurs mentionnés ci-dessus (le GRpT, le GRpF et le CPB) sont capables, sous les conditions appropriées, de générer un rythme indépendant chez toutes les espèces (St. John et Bledsoe 1985, Smith, Ellenberger et al. 1991, Onimaru et Homma 2003, Milsom 2010a). Cela implique que l’évolution du système de contrôle de la respiration est caractérisée par un déplacement caudal des sites prédominants où s’effectue la génération du rythme respiratoire à l’intérieur du tronc cérébral (Milsom 2010a).

25