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Régions maritimes et échelles différenciées des flux

Dans le document La spatialité des réseaux maritimes (Page 56-59)

2. Les structures et dynamiques spatiales des réseaux maritimes

2.2 L’analyse régionale des réseaux maritimes

2.2.1 Régions maritimes et échelles différenciées des flux

Une grande partie des analyses régionales de réseaux maritimes portèrent sur les réseaux conteneurisés et sur une région en particulier. Le bassin caribéen attira l’attention de plusieurs chercheurs de par sa position de carrefour entre grandes lignes maritimes, entre échelle locale et mondiale (McCalla, 2004 ; McCalla et al., 2005 ; Veenstra et al., 2005). Les auteurs mobilisaient la théorie des graphes et celle des lieux centraux via une réflexion sur les échelles des flux (ex : connections intra- et extrarégionales), la concurrence portuaire, le rôle des grands armateurs et de leurs alliances, enfin le développement des hubs, comme celui de Kingston en Jamaïque (McCalla, 2008a, 2008b), questionnant l’influence du site et de la situation du hub sur son activité de transbordement, en rapport avec des travaux plus théoriques sur les hubs (Fleming et Hayuth, 1994 ; Fleming, 2000). Des glissements de centralité s’opèrent entre les différentes sous-régions du bassin du fait des alliances et de la croissance de l’activité de transbordement, d’où une différentiation géographique et fonctionnelle du réseau, au-delà de sa seule topologie. L’importance accordée aux acteurs, comme décrit dans la partie précédente, a malgré tout tendance à accorder les pleins pouvoirs aux compagnies maritimes, qui semblent se jouer de l’espace et des lieux dans l’édification de leurs réseaux, reflétant par-là une conception somme toute plutôt « top-down » des réseaux maritimes. Il est cependant indéniable qu’au niveau mondial, les alliances entre grands armateurs ont par exemple accru le nombre de ports au sein de leurs réseaux, comme observé par Slack et al. (2002) sur la période 1989-1999, tandis que le nombre total de ports desservis par les lignes conteneurisées toutes confondues est resté stable. La région maritime devenait région fonctionnelle, faîte de pôles plus ou moins hiérarchisés et se livrant bataille pour asseoir leur domination sur le système, au service des grands armements.

Cette échelle d’analyse fut aussi un terrain propice pour l’analyse comparative de régions maritimes, toujours sous l’angle des réseaux conteneurisés, comme les Caraïbes et la Méditerranée (McCalla et al., 2004) (Figure 20), la Méditerranée et le nord européen (Ducruet, 2010), mais aussi les Caraïbes, la Méditerranée, et l’Asie orientale (Mareï et Ducruet, 2015). L’approche comparative permettait alors de dépasser la monographie par une interrogation sur la différentiation régionale des logiques globales, mais le territoire restant en toile de fond. Si McCalla et al. (2004) avaient en commun avec les travaux précités de ne citer que des références sur le transport maritime et aucune sur l’espace considéré, leur article s’ouvrait néanmoins sur quelques éléments socio-économiques de cadrage, comme la surface, la

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longueur de côtes, le nombre de pays, la population, et le Produit National Brut des deux bassins. L’apport des comparaisons tenait davantage dans la mise en valeur de structures plus ou moins centralisées et de l’importance variables des différentes échelles de flux d’un espace à un autre, dans une perspective dynamique à deux ou trois dates-clé, avant et après la formation des grandes alliances, l’émergence des grands hubs, la rationalisation et la massification des services. L’interprétation des structures observées renvoie non seulement aux logiques d’acteurs mais aussi aux territoires : le réseau caribéen est plus instable qu’en Méditerranée car moins mature économiquement et plus en proie aux alliances (McCalla et al., 2004) ; l’Europe méridionale est bien plus polycentrique que l’Europe nordique, entièrement polarisée par seulement Hambourg et Rotterdam, ce qui s’explique surtout par le morcellement géographique des arrière-pays au Sud et la plus forte intermodalité au Nord (Ducruet, 2010) ; l’Asie orientale apparaît comme « plus intégrée » que les autres de par sa plus forte proportion de flux mixtes, c’est-à-dire de trafic sur des ports ou des liens combinant à la fois circulations intra- et interrégionales (Mareï et Ducruet, 2015), ces deux échelles étant de plus en plus associées aux mêmes ports et liens dans les trois régions, entre 1996 et 2011. L’un des résultats marquants est que la multiplication des relations maritimes au sein d’un espace donné peut signifier une dynamique d’intégration régionale mais aussi l’émergence d’un hub, point de transfert des conteneurs.

Figure 20 : Réseaux conteneurisés caribéen (haut) et méditerranéen (bas) en 1994 (gauche) et 2002 (droite) (McCalla et al., 2004)

Toujours au niveau transnational, Plasschaert et al. (2011) proposèrent de valider la dimension systémique d’une façade maritime, choisissant le cas d’école de la rangée nord-européenne du Havre à Hambourg, en référence aux travaux fondateurs d’André Vigarié (1964) et à ceux plus récents d’Arnaud Lemarchand et Olivier Joly (2009) l’intégration régionale et les dynamiques portuaires. A partir de la base Alphaliner sur les services conteneurisés, les auteurs concluent principalement que des ports britanniques comme Tilbury ou Felixstowe devraient être inclus dans cette « entité économico-géographique

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intégrée », mais sans proposer de visualisation. Les connexions conteneurisées entre les ports d’Afrique australe (Fraser et al., 2016) ainsi que des Canaries (Tovar et al., 2015) jetèrent plutôt leur dévolu sur la hiérarchie portuaire en termes de connectivité et de polarisation avec une mise en perspective globale mais plus centrée sur les ports que sur les acteurs maritimes ou le territoire régional. Le travail de Tran et Haasis (2015) se démarque des autres par l’originalité du cadre géographique choisi, le corridor circumterrestre Est-Ouest, et la multiplicité des mesures et méthodes employées pour décrire l’évolution du réseau de 1995 à 2011 (Figure 21). Les auteurs concluent à la croissance rapide du réseau étudié en termes de ports, arcs, navires et services déployés, mais aussi à l’allongement des liens, la déconcentration du trafic, et à une différenciation des constituants régionaux du système en termes de rythmes de croissance inégaux.

Figure 21 : Evolution du corridor maritime Est-Ouest de 1995 à 2011 (Tran et Haasis, 2015)

On pouvait, sur la base de ces travaux, envisager une typologie des régions maritimes, des plus centralisées ou polarisées aux plus homogènes ou intégrées, en passant par la configuration polycentrique intermédiaire. Le milieu des années 1990, qui avait vu s’accélérer la course au gigantisme des porte-conteneurs et la mise en place des configurations régionales en hub-and-spokes, semblait être le point de rupture. Pour autant, la plupart des travaux précités n’arrivaient pas à valider empiriquement le passage de l’homogène au centralisé, c’est-à-dire à conclure de façon nette sur les impacts, en théorie énormes, des stratégies des grandes compagnies maritimes sur la hiérarchie portuaire régionale (voir Cullinane et Khanna, 2000). Une partie des flux leur échappait, comme le cabotage, le transport maritime de courte distance, hors des grands corridors et nœuds gordiens du système. Ainsi des forces contraires s’exerçaient simultanément sur les flux pour lisser les résultats, celles du haut (les grands acteurs économiques) et celles du bas (les territoires). Le global ne l’emportait pas sur le local. En y regardant de plus près, on s’apercevait même que réseaux maritimes et espaces régionaux entretenaient des relations bien plus subtiles qu’une simple différentiation de niveaux de circulation, à travers plusieurs travaux complémentaires sur l’émergence des hubs de transbordement.

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