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L’intégration verticale des réseaux maritimes

Dans le document La spatialité des réseaux maritimes (Page 124-127)

3. L’ancrage territorial des réseaux maritimes

3.4 Réseaux maritimes et multimodalité

3.4.2 L’intégration verticale des réseaux maritimes

On a vu plus haut dans le cas des réseaux maritimes comment ceux-ci ont fini par n’être qu’un maillon dans une chaîne de valeur multimodale. Le mot-clé récurrent dans la littérature scientifique sur les transports était bien celui de l’intégration : horizontale entre acteurs de même type ou verticale entre métiers différents. Connotée positivement, l’intégration devait permettre aux nœuds du système de transport de mieux fonctionner, de « passer d’une échelle de flux à une autre » plus facilement (De Roo, 1994), de réaliser des transferts intermodaux plus efficaces, bref, de livrer la marchandise au client plus vite et plus loin. Les termes de corridor intégré ou chaîne intégrée devenait des termes à la mode, en même temps que de nouveaux acteurs de la logistique, les « intégrateurs », avaient un rôle accru dans les circulations du fait de l’externalisation croissante du transport et de la logistique par les industriels ou « chargeurs » et de la libéralisation du secteur.

Il semblait alors crucial de pouvoir différencier les lieux en fonction de leur habilité à « intégrer » plus que d’autres, et ainsi d’apporter une lumière nouvelle à l’ancrage territorial du réseau maritime, cette fois sous l’angle des entreprises localisées dans des villes. Tout au plus disposait-on de mesures grossières au niveau étatique, comme le Logistic Performance Index (LPI) de la Banque Mondiale, mais rien au niveau plus fin. L’idée fut alors d’analyser le portefeuille d’activités d’environ 8000 établissements recensés par la base de données Kompass et situés dans un échantillon de 80 villes portuaires européennes. L’hypothèse était que les intégrateurs, plus communément appelés les transitaires (une variante française étant le « commissionnaire de transport »), étaient la clé de l’intégration, véritables architectes des chaînes d’approvisionnement, décidant de tout ou partie des circulations physiques de marchandises. Une typologie fut alors proposée sur la base de trois groupes d’entreprises et en fonction des fiches d’établissements : les transitaires (freight forwarders), les transporteurs monomodaux, et les transporteurs plurimodaux (Ducruet et Van der Horst, 2009). On montrait au passage l’utilité d’une analyse sur la base des agglomérations plutôt que des communes-centre, la plupart des aéroports et entrepôts logistiques étant bien souvent situés en milieu périurbain. La première analyse consista à mesurer la coprésence de diverses activités du secteur des transports et de la logistique dans les villes de l’échantillon. On observait que l’aérien et le ferroviaire étaient à dominante monomodale, tandis que le fluvial et l’entreposage étaient plutôt plurimodaux. Les transitaires s’exerçaient dans certains secteurs plutôt que d’autres, comme le maritime et le routier, en vertu notamment de l’intervention croissante des armateurs à terre (une compagnie maritime pouvant s’être libellée transitaire parmi d’autres activités). Une autre façon de mesurer l’intégration était de calculer le nombre de fois que deux activités étaient opérées par le même établissement (Figure 58), concluant à des sous-groupes d’activités comme le trio maritime-port-fleuve, ou à des isolats, comme l’aérien et le ferroviaire.

Ensuite, on s’intéressa à la répartition des trois grands types d’entreprises dans les villes de l’étude (Figure 59, gauche), une première manière de différencier l’espace européen. Une opposition apparaissait entre un Europe nordique plutôt plurimodale et une Europe méridionale plutôt monomodale, doublée d’une logique centre-périphérie avec une concentration de transitaires près du cœur continental européen. Plusieurs facteurs explicatifs étaient invoqués, comme l’importance du mode aérien (monomodal) dans les grandes villes du pourtour européen (Athènes, Lisbonne, Oslo, Helsinki), la fragmentation

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logistique des pays du Sud par opposition à la multimodalité légendaire des grands ports nordiques. La faiblesse de l’emploi en valeurs absolue des villes britanniques suggérait l’impact encore visible et toujours d’actualité de la privatisation du secteur des transports.

Figure 58 : Intégration verticale du secteur transport et logistique en Europe (Ducruet et Van der Horst, 2009)

Pour vérifier l’hypothèse de départ du rôle-clé des transitaires dans le niveau d’intégration des lieux, une seconde carte (Figure 59, droite) montra plutôt la part de ceux-ci dans la coprésence des activités au sein des établissements. On observait ainsi que ces transitaires étaient surreprésentés dans certains lieux, voire pays, et pas dans d’autres. Leur importance dans l’intégration verticale était prégnante surtout au sud et à l’est, à l’opposé d’un quart nord-ouest composé du Benelux, de la Scandinavie et des Iles Britanniques. Ainsi la France, la Roumanie, la Russie et les pays Baltes étaient-ils largement dépendant des transitaires pour réaliser leur intégration verticale en local. Ce résultat permettait d’invalider totalement l’hypothèse de départ. Et rejoignait sans encore le savoir des travaux ultérieurs sur les ports français et les problèmes liés à l’application différenciée de directives européennes sur la TVA à l’importation (Ducruet, 2014). En réalité, la trop forte dépendance aux transitaires était plutôt mauvais signe, ces derniers étant justement présents en grand nombre là où la chaîne logistique était finalement émiettée, faite d’entreprises monomodales ayant besoin des transitaires pour communiquer entre elles, surtout via des contrats et des bons de livraison. Dans le quart nord-ouest, l’intermodalité de fait, historique, et la plus grande libéralisation des transports se combinaient pour laisser la place à de grands intégrateurs prenant en mains les opérations physiques d’un mode à un autre, sans passer par les transitaires.

Il s’agissait pour conclure de voir en quoi les nouveaux indicateurs obtenus, au-delà des niveaux nationaux d’explication, entraient en résonnance avec les caractéristiques portuaires et urbaines des agglomérations, ainsi qu’avec la spécialisation modale de ceux-ci (Figure 60). On voyait ainsi que la diversité modale des agglomérations portuaires, tous transports confondus, avait la corrélation la plus forte avec le secteur portuaire, la surface urbanisée, et le nombre d’autoroutes. Si le niveau d’intégration verticale était significativement corrélé à l’emploi « transitaires », il l’était davantage avec le secteur de la logistique (distribution), mais aussi avec l’emploi dans le secteur routier, l’entreposage, et le port. La présence d’entreprises

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liées à la conteneurisation était nettement plus corrélée à l’intégration que le trafic conteneurisé lui-même, mais aussi à la présence de connexions autoroutières et ferroviaires. On ne pouvait qu’inciter les recherches futures sur ce thème à élargir l’échantillon de villes (ou de régions), ici constitué uniquement d’agglomérations littorales. Certaines villes intérieures (Paris, Lyon, Francfort) concentrant une grande partie des activités du secteur, la spécificité des villes portuaires par rapport aux villes continentales ne pouvait être lisible que par leur analyse conjointe.

Figure 59 : Emplois transports et intégration verticale des villes portuaires européennes (Ducruet et Van der Horst, 2009)

Figure 60 : Intégration verticale, spécialisation modale, et ancrage territorial (Ducruet et Van der Horst, 2009)

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