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Conclusion : les réseaux maritimes à l’épreuve des territoires

Dans le document La spatialité des réseaux maritimes (Page 85-90)

2. Les structures et dynamiques spatiales des réseaux maritimes

2.5 Conclusion : les réseaux maritimes à l’épreuve des territoires

De l’intégration régionale aux effets de barrière et à l’articulation changeante d’un archipel de méga-ports, le réseau maritime se prête comme tout autre flux à une interprétation de sa répartition, densité, et morphologie, en lumière des structures et dynamiques spatiales qu’il reflète et contribue en partie à façonner. Cette lecture des évolutions locales, régionales et mondiales au prisme des réseaux maritimes met en exergue la difficulté de séparer logique économique et logique territoriale. L’offre et la demande se combinent de façon inégale pour produire des configurations réticulaires variées dans l’espace et le temps.

Le résultat marquant de cette partie est la divergence croissante entre espace topologique et espace géographique. En d’autres termes, la fonction de transit (intermediacy) entre plusieurs systèmes ou échelles de circulation se sépare progressivement de la fonction de desserte locale (centrality) pour in fine garantir la circulation optimale, on l’a vu, au sein du réseau mondial (voir Fleming et Hayuth, 1994) mais aussi au sein des « régions ». Certes ces deux fonctions existent depuis toujours et continuent de se combiner au sein de chaque port, mais l’époque récente reste unique de par la spécialisation accrue sur l’une ou l’autre fonction, qui se traduit par une division spatiale des fonctions portuaires. Dans un monde sans avions ni poids lourds mais à la majorité de navires portés par le vent, routes commerciales et routes maritimes étaient confondues en une seule logique concentrant des échanges de toutes sortes (hommes, biens, idées), et matérialisant assez fidèlement les jeux de pouvoir à l’œuvre entre nœuds et territoires connectés par ces flux. L’évolution technologique du monde maritime avait au fil du temps rendu cette logique relativement floue, ne sachant plus bien distinguer entre diverses influences.

Pour autant, les acteurs territoriaux étaient-ils absents de la configuration des flux ? André Vigarié (1995) rappelait à juste titre qu’une “opération commerciale a toujours une certaine signification politique. Les produits ou les activités économiques commerciales sont rarement neutres. Ils portent l’empreinte de leur société d’origine, qui possède ses propres règles et relations extérieures, ses formes et ses domaines de production ; ils véhiculent leurs caractéristiques linguistiques et culturelles ; ils sont les témoins d’une forme de civilisation ; ils sont l’expression d’intérêts qui ne sont pas totalement partagés par tous les partenaires ; ils expriment une politique, qui signifie une dynamique d’insertion dans le monde : libérale, socialiste … Le commerce est ainsi l’expression d’un certain comportement ; et la mer, avec ses ports, constitue l’un des plus importants vecteurs de transmission de cet héritage culturel, économique et politique ». En créant des détours par des hubs de transit, on dissociait le « space of places » du « space of flows » (Castells, 1996) pour des gains économiques allant autant à l’entreprise qu’au territoire, mais au prix d’un renforcement des inégalités d’accès au réseau. On pouvait même se poser la question de savoir si l’archipel mondial des grands hubs n’était pas lui-même un gigantesque appareil à récolter de l’information sur les flux et par-là sur leurs origines et destinations, la centralisation favorisant le contrôle. Le fossé entre matériel et immatériel n’était pas si profond. Ainsi, les hubs actuels ne seraient-ils pas non

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plus au service d’une centralisation de l’information, placés stratégiquement sur le globe de façon à la faire remonter au plus vite vers des centres de contrôle distants ? Connaître les origines et destinations des conteneurs est d’une importance capitale au niveau sécuritaire, comme en a témoigné l’expérience, même avortée, de la 100% Scanning Law aux USA (Carluer et al., 2008). L’information remonte d’autant plus vite qu’elle est concentrée en quelques points de passage. Pourquoi Shanghai, malgré les immenses volumes manutentionnés, n’est-il pas le nouveau hub de l’Asie ? Pourquoi Singapour ou encore Dubaï continuent-t-n’est-il d’investir dans l’agrandissement de leurs terminaux, alors même que la valeur ajoutée socio-économique du trafic de transit est par ailleurs très limitée ? Pourquoi 60% du commerce extérieur français passait-il par Anvers ?

On ne pouvait pas non plus négliger l’hypothèse selon laquelle la rationalisation du réseau maritime pouvait tout aussi bien être un phénomène somme toute « naturel », en réaction à la croissance du commerce et au vieillissement des nœuds anciens, sorte d’auto-organisation du système dynamique (Pumain et al., 1989 ; Sanders, 1992 ; Pumain, 2014). Des indices abondaient dans ce sens, puisque rien ne laissait supposer dans nos résultats sur l’analyse du temps long que la conteneurisation avait initié le phénomène de concentration, contrairement aux dires d’une majorité de chercheurs. Apparue en 1956 aux Etats-Unis, la conteneurisation ne s’était diffusée qu’à la fin des années 1960 dans quelques grands ports européens puis au Japon, se généralisant au reste du monde dans les années 1980 et 1990. La conteneurisation participait ainsi de la tendance observée mais n’en était pas la cause première. Si de plus amples recherches étaient nécessaires sur l’évolution des types de navires, le passage d’un réseau maillé à un réseau centralisé semblait malgré tout s’expliquer par des évolutions plus profondes, comme la mondialisation accrue, la décolonisation, l’émergence de la Triade, etc.

Que l’évolution profonde du réseau maritime s’explique plus par l’espace géographique, économique, ou politique, toujours est-il que toujours plus de navires sillonnent les mers de nos jours, pour connecter toujours plus de ports. On verra en troisième partie à quel point la modification du réseau a été jusqu’à remettre en question son ancrage même, dans les territoires littoraux, témoins au premier plan des mutations économiques et logistiques contemporaines.

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Troisième partie

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