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Atomes et photons en cavité

I.4.2 Régimes d’interaction

Figure I.17 – Énergie des états habillés de la ne multiplicité en fonction du désaccord atome/champ δ ramené à la pulsation de Rabi Ωn.

Les énergies des états habillés sont représentées à la figure I.17 en fonction du désaccord et de la pulsation de Rabi. Nous nous intéressons d’abord aux deux régimes apparaissant clairement sur cette figure :

Interaction résonante

Dans la limite δ ≈ 0, l’effet du couplage est maximal : le spectre d’énergie montre un anticroisement des niveaux d’énergie découplés, et les états habillés sont des états maximalement intriqués de l’atome et du champ. Le hamiltonien Hn est alors analogue à celui d’un spin 1/2 placé dans un champ porté par uy. Cette analogie a déjà été rencontrée au parapgraphe I.3.2.b dans la description du couplage de l’atome à un champ classique résonant, et l’on peut donc en déduire simplement l’évolution temporelle. Un système initialement dans l’état |e, ni effectue des oscillations entre les états |e, ni et |g, n + 1i à la fréquence Ωn, appelées oscillations de Rabi quantiques (d’où le nom donné à Ω0 de pulsation de Rabi du vide). En particulier, pour un temps d’interaction correspondant à une demi-période (impulsion π), l’atome et le champ échangent exactement un quantum d’excitation.

Interaction dispersive

Dans la limite où δ ≫ Ωn, les états propres et énergies propres du système rejoignent asymptotiquement leur valeur pour le système non-couplé, comme le montre la figure I.17.

On a donc (selon le signe de δ) :

|+, ni ≃ |e, ni et |−, ni ≃ |g, n + 1i pour δ > 0, (I.78) |+, ni ≃ |g, n + 1i et |−, ni ≃ |e, ni pour δ < 0, (I.79) On peut effectuer un développement au second ordre en Ωn

δ des énergies propres asso-ciées, qui s’écrivent alors :

Ee,n = Ee,n0 + ~ 2 0(n + 1), (I.80) Eg,n = Eg,n0~ 2 0n. (I.81)

où l’exposant 0 dénote la valeur en l’absence de couplage. Dans ce régime, le hamiltonien de Jaynes-Cummings peut donc se mettre sous la forme approchée21 :

HJCdisp= Hcav +~ 2  ωat+ 2 0 2δ  aa +1 2  σz, (I.82) dont les états découplés sont des états propres. Sous cette forme, l’interaction dispersive entre l’atome et le champ apparaît comme un effet de déplacement lumineux : la fréquence de transition atomique se trouve modifiée en présence d’un champ contenant n photons d’une quantité : ∆ωat(n) = 2 0 2δ  n + 1 2  . (I.83)

Il y a en particulier une modification de cette fréquence due au couplage avec la cavité ne contenant aucun photon : c’est le déplacement de Lamb [98].

Par conséquent, l’interaction dispersive de l’atome avec le champ contenant n photons pendant un temps tint conduit à l’accumulation d’une phase relative entre états |ei et |gi, qui s’écrit : ∆φ(n) = φ0  n + 1 2  ≡ φ0 2 + φ(n), (I.84) avec φ0 = 2 0tint, (I.85)

où nous avons séparé le terme lié au déplacement de Lamb φ0

2 du terme purement linéaire φ(n) = nφ0. Le déphasage élémentaire φ0sera appelé dans ce qui suit déphasage par photon.

21. On omet dans cette réécriture un terme constant valant 20

8δ, ce qui revient à redéfinir l’origine des énergies.

Figure I.18 – Évolution du spin atomique lors de l’interaction dispersive avec le champ quantique préparé dans un état de Fock |ni, dans le référentiel tournant à ωat. Le déplace-ment φ0/2 commun à tous les états nombre n’est pas représenté.

Cet effet peut être visualisé sur la sphère de Bloch représentée figure I.18 : dans le référentiel tournant à la pulsation ωat, une superposition atomique (|ei + |gi)/2 effectue lors de son interaction avec le champ une rotation d’un angle nφ0 (en omettant le terme de déplacement de Lamb commun à tous les nombres de photons). On a donc, à une phase globale près, l’évolution :

1 √

2(|ei + |gi) 7→ √1

2 |ei + eiφ(n)|gi , (I.86) qui est (intentionnellement) réminiscente de l’action de l’élément déphasant évoqué dans le cadre de l’interféromètre de Ramsey (section I.3.3).

Interaction effective : Nous avons considéré dans la discussion précédente que l’atome est au centre du mode |f(r)| = 1. En pratique, les atomes de vitesse v traversent le profil gaussien du mode, et le couplage au champ varie au cours du trajet atomique, comme Ω0(x) = Ω0exp(−(vt)2/w2

0) où w0 est le waist du mode. Cette variation peut être intégrée et conduit à la définition d’un temps d’interaction effectif [13] : on peut considérer que le couplage est constant, de valeur Ω0, et le temps d’interaction correspondant à la traversée du mode est donné par :

teff =r π 2

w0

v . (I.87)

Nous avons donc à notre disposition deux façons de modifier le déphasage par photon : varier le temps d’interaction effectif via la vitesse des atomes (pour les atomes à 250 m/s utilisés ici, teff ≈ 30 µs), ou bien varier le désaccord entre transition atomique et cavité.

Adiabaticité : En toute rigueur, les probabilités de présence des états habillés dans le régime dispersif sont aussi modifiées au second ordre. Cependant, la variation du couplage liée au profil du champ permet en fait l’existence d’un régime dispersif, i.e. sans échange d’énergie entre atome et champ, jusqu’à des désaccords de l’ordre de Ω0 [68]. En effet, loin du centre de la cavité le couplage est négligeable, et les états propres sont les états découplés. En entrant dans le mode, l’état découplé suit adiabatiquement l’état habillé correspondant : l’état atome – champ évolue, et peut alors être intriqué au centre de la cavité, où le couplage est important. En quittant le mode, le couplage diminue, et l’état habillé revient à l’état découplé : pour δ ∼ Ω0 et la vitesse considérée, des simulations ont montré un taux de transfert parasite de 2 · 10−7 [68] seulement. Le seul effet sur l’état final est donc la phase supplémentaire accumulée entre |ei et|gi.

Lorsque δ ≈ Ω0, le déphasage n’est par contre plus linéaire en fonction du nombre de photons (ce qui requiert Ωn ≪ δ). Les valeurs exactes des énergies propres doivent alors être employées, et le déphasage calculé à partir des déplacement lumineux sur les états |ei et |gi en présence de n photons (donnés ici pour δ > 0) :

∆Ee,n = ~ 2  pΩ2 n+ δ2− |δ|, ∆Eg,n =−~ 2 q2 n−1+ δ2− |δ|  . (I.88)

Passage adiabatique rapide

Nous terminons cette discussion en décrivant la technique de passage adiabatique rapide, qui est une méthode efficace pour absorber les éventuels photons contenus dans la cavité, utilisée notamment dans nos expériences pour «initialiser» la cavité dans le vide de photons. Considérons donc une situation où le désaccord δ est varié continûment lors du passage d’un atome, initialement dans l’état |gi, à travers la cavité contenant n photons. Ceci peut être réalisé en variant le potentiel appliqué aux miroirs de la cavité, ce qui désaccorde la transition atomique par effet Stark. Si on a initialement δ ≫ Ωn, l’état propre du système est l’état découplé |g, ni. Si le potentiel est varié de façon à traverser la résonance lors du passage de l’atome pour atteindre un désaccord final négatif −δ ≫ Ωn, l’état du système suit adiabatiquement l’état habillé correspondant à l’état de départ (voir la figure I.19) : l’état final est l’état découplé |e, n − 1i. On a alors enlevé un photon à la cavité.

La figure I.20 montre la variation de potentiel typique appliquée aux miroirs pour réaliser le passage adiabatique : la forme en est ajustée (l’effet Stark sur la transition étant quadratique) pour réaliser la variation linéaire du désaccord également représentée. La résonance est traversée au moment où l’atome est au centre de la cavité.

Cette méthode est robuste, car indépendante du nombre de photons pour des valeurs de désaccord limites assez grandes22

. Une série d’atomes préparés dans |gi et interagissant de cette façon avec la cavité absorbera un à un les photons pour amener la cavité dans le vide

22. De sorte que δ ≪ Ωn pour tous les nombres de photons présents. Par contraste, une interaction purement résonante permet d’absorber un photon, mais nécessite un ajustement du temps d’interaction au nombre de photons

Figure I.19 – Transition adiabatique de |g, n + 1i à |e, ni. δ0 et E0 sont respective-ment les désaccord et champ électrique ini-tiaux, correspondant à ceux utilisés pour les sondes Ramsey.

Figure I.20 – Modification du désaccord atome – champ pour les atomes absorbeurs par effet Stark quadratique. L’origine des temps correspond au passage du centre du nuage atomique par le centre du mode de la cavité.

de photons |0i. C’est cette méthode que nous avons utilisée pour réaliser la spectroscopie de la cavité (paragraphe I.2.1.c). Nous appelons communément une telle série d’atomes absorbeurs atomes serpillères, pour des raisons évidentes.

Conclusion

Ce chapitre nous a permis de présenter les deux protagonistes de nos expériences : le champ quantique que nous voulons étudier, et les atomes qui nous servent de sondes. Le champ, piégé dans une cavité Fabry-Pérot de grande surtension et de faible volume, a un temps de vie de 65 ms pendant lequel nous pouvons le faire interagir avec de nombreux atomes. Les atomes de Rydberg utilisés nous permettent quant à eux de réaliser un sys-tème à deux niveaux quasi-idéal, possédant un long temps de vie et un très grand dipôle électrique. Ceci permet d’atteindre le régime de couplage fort entre l’atome et le champ : nous nous sommes intéressés plus particulièrement au régime dispersif, ou l’interaction atome – champ se fait sans échage d’énergie, et résulte simplement en un déphasage du dipôle atomique en fonction du nombre de photons.

Nous avons également pu présenter les différents outils nous permettant de contrôler avec précision les deux systèmes. Nous pouvons modifier la fréquence du mode comme la fréquence de transition atomique. Nous pouvons initialiser le mode dans le vide de photons

ou y injecter un état cohérent. Enfin, l’état atomique peut être manipulé à l’aide de sources classiques, ce qui permet la réalisation d’un interféromètre de Ramsey.

Nous avons donc tous les éléments permettant de réaliser une mesure quantique non-destructive de l’état du champ, par la mesure de l’effet dispersif à l’aide de l’interféromètre de Ramsey. C’est l’objet du prochain chapitre.

Mesure quantique non destructive du