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A. Les différentes conceptions de l'animal domestique

Qu'est-ce qu'un animal domestique ? Ni le Code civil, ni le Code rural ne fournissent de définition de cette expression. Une recherche dans le dictionnaire nous propose la définition suivante :

Domestique = " se dit d'un animal qui vit dans l'entourage de l'homme après avoir été dressé (contr. sauvage)".

Cette définition, large et peu précise, n'est pas la seule que l'on peut attribuer à l'animal domestique. Comme le souligne Bertrand Denis [9], différentes acceptions du terme peuvent être retenues.

Nous présenterons brièvement la conception zoologique classique, les conceptions dérivées élargies et enfin la conception du législateur.

A1. La conception zoologique classique

Plusieurs conditions doivent être réunies pour considérer un animal comme domestique :

• un certain degré d'apprivoisement,

• un contrôle de la reproduction par l'Homme,

• une utilisation de l'animal.

De ce fait, on distingue des espèces domestiques et des espèces sauvages.

Les espèces pour lesquelles le qualificatif de "domestique" ne peut être contesté sont au nombre d'une trentaine.

L'apprivoisement s'appuie sur des rapports sociaux. Les insectes, mollusques et poissons ne peuvent être considérés comme des animaux domestiques car on ne peut établir de rapports sociaux avec ces animaux.

La conception zoologique classique admet qu'il existe une certaine aptitude à la domestication. De ce fait, n'importe quelle espèce ne peut être domestiquée.

Le processus de domestication a commencé à des époques très variables suivant l'espèce : -12000 ans pour le chien, au Moyen Age pour le lapin. C'est un processus très long et son corollaire l'est également : une espèce domestique ne retourne pas instantanément à l'état sauvage si l'homme cesse la domestication.

L'origine de la domestication est plurielle : une fin utilitaire est invoquée, le contexte religieux (animaux sacrifiés ou divinisés) ou l'envie humaine de séduire et posséder.

A2. Des conceptions élargies

La conception de Digard, présentée au colloque de la Société d'Ethnozootechnie et de la Société zoologique de France en 2003 [10] admet une définition plus large de la domestication : c'est "l'action que les hommes exercent sur les animaux qu'ils possèdent, ne serait-ce qu'en les élevant".

Digard n'accepte pas la notion d'espèce domestique : le qualificatif "domestique" doit être attribué directement aux animaux. La limite sauvage/domestique peut se situer au sein d'une même espèce.

L'action "domesticatoire" est continue. L'Homme doit assurer :

• une protection contre les agressions,

• l'apport alimentaire,

• la gestion de la reproduction des animaux domestiques

L'origine de la domestication serait pour lui "une compulsion mégalomaniaque de dominer les êtres et la nature, de se les approprier, de les transformer" ainsi qu'une curiosité intellectuelle gratuite et un besoin de relever des défis.

L'utilisation des animaux découle d'une logique économique (animaux de rente), mais pas seulement : l'utilisation peut être sportive, ornementale ou pour la compagnie. Dans certains cas, l'Homme "joue à domestiquer" : c'est le cas de la tauromachie (jeu dramatique) ou de certains chiens et chats "sur-domestiqués" (comédie sentimentale).

Pour Sigaut [3], il existe plusieurs catégories de relation entre l'Homme et l'animal. 3 critères sont à prendre en compte : l'appropriation, l'apprivoisement et l'utilisation. Différentes catégories sont alors définies à partir de ces critères :

• animaux appropriés, non apprivoisés, non utilisés : c'est le cas du gibier;

• animaux appropriés, apprivoisés, non utilisés : c'est le cas des animaux familiers;

• animaux appropriés, non apprivoisés, utilisés : c'est le cas, par exemple, de la belette, utilisée pour la chasse aux rats et aux souris;

• animaux appropriés, apprivoisés, utilisés : il s'agit des animaux domestiques classiques (vache, cheval).

A3. La conception du législateur

La première définition de l'expression "animal domestique" date du 14 mars 1861. La Cour de cassation définit les animaux domestiques comme "les êtres animés qui vivent, s'élèvent, sont nourris, se reproduisent sous le toit de l'homme et par ses soins". Cette définition s'appuie sur l'étymologie du mot "domestique" issu de "domus", la maison.

Le Code rural définit quant à lui les espèces animales non domestiques :

" Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n'ont pas subi de modification par sélection de la part de l'homme" (Art R 211-5 du Code rural). De cette définition d'espèces "non domestiques", on peut déduire une définition des espèces domestiques : "celles qui ont fait l'objet d'une pression de sélection continue et constante" [11]. Cette définition est plus large que celle donnée par la Cour de cassation.

D'un point de vue législatif, ce n'est pas au niveau de l'espèce qu'il faut attribuer le caractère de domestique ou non domestique. En effet, prenons le cas du lapin (Oryctolagus cuniculus) : il y a à la fois des lapins domestiques et des lapins sauvages.

L'animal est un sujet délicat. Les opinions sont très variées. De plus, il n'y a pas qu'une seule sorte de relation homme-animal mais plusieurs.

L'étude de l'expression "animal domestique" nous permet de mettre en avant une préoccupation sociale actuelle : la place de l'animal auprès de l'homme. Elle permet également d'aborder un sujet juridique : quel statut doit-on accorder à l'animal ?

B. Droit romain et recherche d'une qualification juridique de l'animal

En droit français, la première dichotomie divise les personnes et les biens. Le Code civil de 1804 classe l'animal parmi les biens. En effet, dans une France essentiellement agricole, l'animal était surtout considéré comme un objet utile; la part affective de la relation homme-animal était négligée. Actuellement, l'utilité de l'animal diminue alors que la relation affective entre le maître et l'animal s'accroît. Le classement du Code civil apparaît aujourd'hui obsolète et nécessite une actualisation. En 2004, Monsieur Dominique Perben, Garde des Sceaux, a rappelé que "fêter le bicentenaire du Code civil est aussi s'engager dans sa modernisation pour qu'il soit toujours la référence vers laquelle se tourner […] " [12]. Une réforme du Code civil semble, à cet égard, nécessaire.

C. Les avis émis

C1. Avis des fondations et associations

Les associations et les fondations de protection animale ont été consultées dans le cadre d'un rapport sur le régime juridique de l'animal, rédigé par Madame Suzanne Antoine, Présidente de Chambre honoraire à la Cour d'appel de Paris et trésorière de la Ligue française des droits de l'animal, et édité le 10 mai 2005 [13]. Une rencontre, organisée le 18 octobre 2004 dans les locaux du Ministère de la Justice, a réuni neuf organismes de protection animale :

• l'Association française d'information et de recherche sur l'animal de compagnie

• Confédération nationale des SPA

• Société Protectrice des Animaux

• Fondation Brigitte Bardot

• Fondation Assistance aux Animaux

• Fondation 30 millions d'amis

• Fondation Ligue française des droits de l'animal

• Ligue pour la protection du cheval

• Œuvre d'Assistance aux bêtes d'abattoir

Ces associations souhaitent la création d'un nouveau statut pour l'animal, hors de la catégorie des biens.

La Fondation 30 millions d'amis insiste sur l'aspect affectif de la relation moderne homme-animal de compagnie. De plus, elle constate que, si le Code civil maintient l'animal dans la catégorie des biens, le Code pénal quant à lui, sépare infractions à l'encontre d'un animal et infractions par rapport à un bien. Ainsi, dès 1962, la Cour de cassation admet l'indemnisation du préjudice moral provoqué par le décès prématuré d'un animal en raison des agissements d'autrui.

La Fondation Assistance aux Animaux souhaite intégrer une définition de l'animal : "un être vivant, sensible, ayant des capacités cognitives, auquel sont rattachés des droits et des responsabilités exercées par l'homme pour sa protection". Cette définition permet de sortir l'animal de la catégorie des biens et insiste sur la responsabilité du détenteur.

La Confédération nationale des SPA de France propose la définition suivante : être vivant organisé doué de mobilité, se nourrissant de substances organiques, et doté d'une sensibilité psychoaffective.

La Fondation Ligue française des droits de l'animal propose d'attribuer à l'animal une "personnalité" juridique : "placée à côté de la personne physique et de la personne morale, la "personne animale" permettrait de défendre des droits essentiels, tel celui de la non souffrance par la faute de l'homme, et ce par le truchement d'une

Par ailleurs, la personnalisation juridique de l'animal est éthiquement et scientifiquement justifiée, eu égard à sa nature d'être vivant doué de sensibilité". La Fondation insiste sur la nécessité d'inclure une définition juridique de l'animal dans le Code civil. Elle déplore l'oubli de l'animal sauvage : aucun texte ne spécifie sa qualité d'être sensible.

C2. Consultation des juristes

Les avis de plusieurs juristes ont été recueillis.

Monsieur Jean-Marie Coulon, Premier Président honoraire de la Cour d'appel de Paris souhaite un régime juridique qui tiendrait compte de la sensibilité animale et donc de sa capacité à souffrir. Il faudrait pour cela, retirer l'animal du droit des biens. De plus, il souhaite l'introduction de la notion de "dignité animale".

La notion de "bien protégé" serait une première modification envisageable.

Madame Françoise Ringel, Maître de Conférence à l'Université de la Réunion, envisage une catégorie sui generis pour les animaux, située entre les sujets de droits et les biens. Le principe de sensibilité animale doit apparaître dans le Code civil et doit servir de base à la jurisprudence qui déterminera le statut de l'animal et les conséquences juridiques des liens affectifs entre êtres humains et animaux familiers.

Monsieur Emmanuel Putman, professeur à l'Université d'Aix-Marseille II, considère que la protection animale est celle d'une forme de vie, non humaine, mais digne de

respect. Selon lui, l'animal ne devrait pas être classé parmi les biens car c'est le

caractère "appropriable" qui prédominerait. Or ce sont ses qualités d'être sensible qu'il faut mettre en avant.

Monsieur Jean-Pierre Marguénaud, Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges estime que "l'appartenance des animaux à la catégorie des biens, n'est rien d'autre que la transposition juridique de la décadente conception cartésienne des animaux-machines". La modification du Code civil peut être réalisée soit par une méthode implicite, soit par une méthode explicite.

La méthode explicite consiste à affirmer que "les animaux ne sont pas des choses, tout en précisant que, sauf dispositions contraires, les règles applicables aux choses sont encore applicables aux animaux".

La méthode implicite consiste à ne plus classer les animaux dans la catégorie des biens. Le Livre deuxième, actuellement intitulé "Des biens et des différentes modifications de la propriété", divisé en quatre Titres, s'appellerait désormais "Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété", et serait divisé en cinq Titres dont le premier, entièrement nouveau, serait intitulé "Des animaux". Le nouveau Titre Premier devrait "permettre de faire apparaître dans le Code civil tous les éléments de la nature propre des animaux qu'il convient de respecter; de préciser la nature et l'étendue des droits que le maître pourra continuer à exercer sur

D. Les propositions

Pour parvenir à un régime juridique cohérent, mettant l'accent sur la sensibilité de l'animal, madame Suzanne Antoine envisage deux solutions.

Première proposition :

LIVRE DEUXIEME : DES ANIMAUX, DES BIENS ET DES DIFFERENTES MODIFICATIONS DE LA PROPRIETE

TITRE PREMIER : DES ANIMAUX Article 515-9

Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. En toutes circonstances, ils doivent bénéficier de conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien- être.

Article 515-10

L’appropriation des animaux s’effectue conformément aux dispositions du Code civil sur la vente, et aux textes spécifiques du Code rural.

Les dispositions relatives au contrat de louage sont applicables aux animaux. Article 515-11

Constituent des accessoires non détachables d’une exploitation agricole :

- les animaux attachés à la culture, que le propriétaire du fonds y a placés pour le service et l’exploitation du fonds ;

- les animaux que le propriétaire livre au fermier ou au métayer pour la culture, estimés ou non, tant qu’ils y demeurent par l’effet de la convention ;

- les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les abeilles des ruches à miel, les poissons des eaux non visées à l’article 402 du Code rural, et des plans d’eau visés aux articles 432 et 433 du même code.

TITRE II : DE LA DISTINCTION DES BIENS Articles 516, 517, 518, 519, 520, 521 : sans changement

Article 522 : abrogé

Article 523 : sans changement

Article 524 : « Sont immeubles par destination, quand ils sont placés par le propriétaire pour le service et l’exploitation du fonds :

- les ustensiles aratoires

Articles 525,526 ,527 : sans changement

Article 528 : « Sont meubles par leur nature les corps qui peuvent être transportés d’un lieu à un autre. »

Articles 529 à532 : sans changement

Article 533 : les mots « chevaux, équipages » sont supprimés.

TITRE III : DE LA PROPRIETE Article 544 : L’alinéa suivant est à ajouter :

La propriété des animaux est limitée par les dispositions légales qui leur sont propres, et notamment par celles des articles L.214-1 à L.214-25 du Code rural.

Article 564 : Les mots « au propriétaire de ces objets » sont remplacés par «au propriétaire de ces animaux ».

TITRE IV : DE L’USUFRUIT, DE L’USAGE ET DE L’HABITATION