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Réformer c’est faire du neuf avec du vieux

Partie II — La formalisation administrative du projet de loi

3. Des orientations de réforme qui échappent au ministère de l’environnement

3.3. Réformer c’est faire du neuf avec du vieux

Même si elles « surprennent » les représentants du ministère de l’environnement, les mesures annoncées ne sont cependant pas des inconnues en matière d’instruments d’action publique : en effet, les CLI existent autour des centrales nucléaires, alors que les plans de prévention des risques (PPR) constituent un dispositif clé de la prévention des risques naturels. On doit donc constater l’importance du « déjà-là » administratif dans les propositions qui émergent à ce moment-là : il s’agit essentiellement du transcodage d’idées qui appartiennent déjà à la culture des risques (CLI) voire pour

114 Sur la place que L. Jospin accorde à la communication en période de cohabitation, voir Schrameck O., Matignon, rive

gauche, Paris, Seuil, 2001, p. 67 et suivantes. Selon son directeur de cabinet, les très nombreuses interventions médiatiques

de L. Jospin s’expliquent par le contexte de cohabitation et la nécessité d’une présentation régulière de la ligne politique du gouvernement, commentée par le chef de l’État. La communication politique en période de cohabitation est analysée par J. Gerstlé, La communication politique, Paris, Armand Colin, 2004, p. 208-210.

115 Entretien DPPR, novembre 2004. 116 Entretien DPPR, novembre 2004.

117 Dobry M., Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1982. Pour une mise en perspective de ces travaux

à partir des situations de crise, cf. Dobry M., « Réflexions à partir d’une analyse sociologique des crises politiques : point de vue de Michel Dobry » in Actes de la troisième séance du séminaire Programme Risques collectifs et situations de crise, Grenoble, CNRS, 1995.

lesquelles la DPPR a une expérience (PPR)118.

« Les PPRT, on en a parlé au cours de la semaine. J’ai souvenir qu’au cours des mois qui avaient

précédé, on avait déjà évoqué l’idée de faire des plans de prévention pour les risques technologiques parce qu’il y avait eu un gros travail de fait sur les plan de prévention des risques d’inondation. P. Vesseron connaissait ça. C’était son directeur de la prévention des risques majeurs qui s’était occupé des PPRI et puis de temps en temps… Il nous était déjà arrivé de nous dire : "tiens, pourquoi pas en matière de risques technologiques faire le même type de plan, c’est-à-dire avec des contraintes d’urbanisation étagée en fonction des zones, etc.". Dans la mesure où la notion de zonage et de cartographie, ça existe déjà en matière de prévention des risques. Puisque la maîtrise de l’urbanisation repose sur des zones Z1, Z2, centrées sur les lieux d’accidents possibles. Cela dit, avant l’accident de Toulouse, on n’avait pas du tout l’idée de proposer des PPRT en tant que tels. Et en même temps, comme c’était en toile de fonds, c’était un petit peu dans notre subconscient, c’est assez naturellement lors de cette réunion interministérielle qu’on a évoqué les PPRT.119 »

Dans la semaine qui suit l’explosion, sous l’impulsion des services et des conseillers du Premier ministre qui veulent que ce dernier ait quelque chose à annoncer lors de son déplacement à Toulouse, émergent donc des propositions que la catastrophe rend possible et qui attestent de la volonté de trouver, dans un répertoire d’instruments caractéristiques des politiques du risque, ceux qui pourraient modifier la donne en matière d’installations classées de type Seveso.

« Pour ce qui est CLIRT et PPRT, qui sont les principaux points de la loi concernant le ministère de

l’environnement, (…) je dirais que c’étaient pas du tout des idées révolutionnaires. C’était dans la continuité des dispositifs qui existaient auparavant. Simplement, c’est des choses qu’on n’aurait pas forcément pu mettre en place sans l’accident qui a donné un coup de fouet. (…) Donc ce n’est pas du tout une innovation, mais c’est quelque chose qui n’aurait pas pu se faire sans AZF. Ça, c’est certain. Parce que ça contrecarre trop d’intérêts, au niveau des industriels, au niveau des collectivités locales, etc.120 »

Après le discours du Premier ministre du 28 septembre, les orientations de la réforme législative sont donc clairement fixées. Elles n’évolueront plus par la suite. Dès lors, les services du ministère vont partager leur temps entre la sortie de crise, le suivi des tables rondes régionales qui débutent courant octobre et la préparation d’un projet de texte de loi qui puisse être rapidement soumis aux partenaires habituels du ministère121 en vue d’un dépôt au Parlement début 2002. Politiquement, il est en effet important que ce projet puisse être présenté avant la fin de la cession parlementaire et le début de la campagne officielle pour les élections présidentielles, car à cette époque personne ne peut sérieusement envisager qu’un tel texte puisse être voté avant cette échéance. Les services du ministère de l’environnement se mettent donc au travail, selon un calendrier très serré, qui les conduit à diffuser une première version du projet fin décembre 2001 et à mener une première consultation le 7 janvier 2002, soit un peu plus de 3 mois après la catastrophe.

118 Par le biais de sa sous-direction à la prévention des risques majeurs (SDPRM) notamment, qui conduit la politique

publique de prévention des risques naturels et la mise en œuvre des PPRN créés par la loi Barnier de 1995. Sur cette politique sectorielle et ses conditions d’application au niveau local, cf. Bayet C., Le Bourhis J.-P., Écrire le risque. Etude des

mécanismes d’inscription du risque-inondation au niveau local, rapport pour le MEDD, Paris, CEVIPOF-CNRS, 2002.

119 Entretien DPPR, novembre 2004. 120 Entretien DPPR, novembre 2004.

121 Selon la logique de l’accommodation qui prévaut en général dès lors qu’il s’agit de préparer un nouveau texte

réglementaire susceptible d’avoir des conséquences pour les industries concernées, les collectivités locales ou les associations. Pour un exemple très parlant de la façon dont s’organisent ces consultations et ces arrangement préalables entre producteurs de réglementation et futurs assujettis, cf. Padioleau J.-G., L’Etat au concret, Paris, PUF, 1982 (notamment chapitre 4 : p. 113-136).

Pour les rédacteurs du projet de loi, le chantier qui s’ouvre fin 2001 est très vaste. La création des comités locaux de prévention des risques, des PPRT et les réformes portant sur les CHSCT imposent en effet de modifier trois codes : environnement, urbanisme et travail. La mise en forme du texte nécessite donc d’associer les cabinets et les services administratifs des ministères concernés, en particulier la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC) du ministère de l’équipement et la direction des relations du travail (DRT) du ministère de l’emploi et des solidarités. A la DPPR, le travail de rédaction et le suivi quotidien du dossier sont confiés au binôme constitué par le conseiller « risques » du cabinet et le chef du bureau des risques, avec l’appui ponctuel de tel ou tel responsable hiérarchique (chef du SEI ou directeur). Il en sera de même après le remplacement d’Y. Cochet par R. Bachelot. Une différence notable est cependant perceptible dans le travail des équipes à l’une ou l’autre période : le but du cabinet Cochet est d’aboutir à un projet de loi susceptible d’être déposé au Parlement, alors que celui du cabinet Bachelot consiste à faire voter une loi. En conséquence, l’équipe d’Y. Cochet n’a pas à se soucier du processus parlementaire et de convaincre les députés, alors que c’est une perspective déterminante pour celle de R. Bachelot, d’autant qu’il faut faire voter à des députés de droite un projet de loi initié par un ministre vert. Ces objectifs divergents se traduisent notamment par la place très dissemblable accordée aux consultations. L’équipe Cochet est concentrée toute entière sur les arbitrages interministériels et rencontre donc principalement ses équivalents dans les autres ministères. Lors du ministère de R. Bachelot, les négociations interministérielles sont complétées par un très intense travail de consultation, qui suppose l’intervention des groupes de pression et la sensibilisation des parlementaires. Il s’agit alors d’enrôler au service du projet de loi, au-delà des interlocuteurs administratifs nécessairement partie prenante.

4. L’avant-projet Cochet : un texte de portée symbolique, reflet des difficultés d’un