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Nouveau ministre, nouveau projet ?

Partie II — La formalisation administrative du projet de loi

5. Le projet Bachelot : un exercice de différenciation politique

5.1. Nouveau ministre, nouveau projet ?

Si le gouvernement décide de poursuivre le travail de rédaction d’une loi sur les risques industriels, il n’entend cependant pas le faire sur les bases de son prédécesseur. Dès lors, le cabinet passe commande aux services de trouver de « nouvelles idées ».

« Arrivent un nouveau gouvernement, la nouvelle ministre, un nouveau cabinet. (…) On était encore très

proche de l’après AZF. Il y avait le projet de loi dans les cartons et la question qui se pose très vite, politiquement, c’est : qu’est-ce que le nouveau gouvernement, surtout avec une majorité différente, fait de ce projet de loi préparé par le gouvernement d’avant ? Ce qui a pas mal joué, c’est que le rapport Loos - Le Déaut était un rapport qui avait été approuvé par tous les partis politiques. Il a été adopté à l’unanimité, enfin bon… (…) Ils ont fait l’état des lieux, ils ont regardé : alors là où vraiment c’est devenu difficile pour moi, pour nous, c’est que le nouveau gouvernement, la nouvelle ministre voulait se démarquer de ce qui avait pu être fait avant. Donc il fallait à tout prix trouver… Donc ils voulaient à tout prix qu’on trouve du neuf et de nouvelles idées. Alors nous, ça faisait des mois qu’on bossait, débat

national, nanana et fallait qu’on trouve… Alors là j’ai dit : c’est mission impossible !157 »

A la manière des secrétaires généraux de mairie étudiés par Olivier Roubieu, les fonctionnaires de la DPPR sont alors « pris » dans la politique et les finalités que les élus assignent à leurs activités158. Si, après la catastrophe, les agents du ministère de l’environnement se sont efforcés d’aider le Premier ministre qui allait à Toulouse, ils vont, de la même façon, construire de la différenciation politique pour R. Bachelot. Paradoxalement, trouver de nouvelles idées ne repose pas sur l’hypothèse qu’il existe une politique de prévention des risques industriels de droite, qui se distingue de l’approche des verts et des socialistes.

« Evidemment, l’Etat est dans sa continuité. On est … on remanie profondément l’avant-projet. Le projet

que nous sortons n’a évidemment rien à voir. Je le remanie à ma sauce, mais du passé je ne fais pas table rase, de la même façon que le projet de loi de sûreté nucléaire que j’avais proposé et qu’on trouve sur le site Internet doit beaucoup à Yves Cochet. Je pense qu’Yves Cochet aurait été un bon ministre de l’Environnement s’il avait pu être aux affaires un peu plus longtemps. (…) Je pense qu’il n’y a pas une appréhension des risques qui est de droite ou de gauche. J’ai du mal à le voir en tout cas.159 »

« Je crois que politiquement, on ne peut pas dire que les choses étaient très éloignées. Vous savez, c’est

un sujet assez technique, c’est pas comme le nucléaire. Il n’y a pas de grandes divergences entre les Verts, la Gauche, la Droite sur ce sujet-là. Tout le monde est pour renforcer la sécurité autour des industries, éviter qu’elles n’explosent.160 »

La ministre et ses conseillers sont donc conscients d’inscrire leur travail dans la continuité d’un projet existant, mais il leur est politiquement impossible de le reconnaître et de simplement faire voter un texte préparé par le gouvernement précédent. Dès lors, la réflexion s’oriente sur les voies par lesquelles la ministre pourrait rendre un tel projet « présentable ». Après AZF, c’est finalement une deuxième catastrophe, celle des inondations du Gard au mois de septembre 2002, qui permet de relancer le projet de loi. Lors d’un discours prononcé à Nîmes, une quinzaine de jours après les événements, R. Bachelot annonce que le projet de loi sur les risques comprendra un titre II sur les risques naturels.

« Comme vous le savez, je vais bientôt proposer la discussion devant la représentation nationale d'un

projet de loi sur les risques. Il doit comporter un titre II sur les risques naturels qui n'était pas prévu à l'origine, qui contient de nombreuses dispositions nouvelles, jamais examinées, et qui constitue à mes yeux le franchissement d'un cap en matière de prévention des risques naturels161. »

Les inondations permettent à la ministre et à son équipe de rassembler des mesures de prévention des risques naturels et industriels, ce qui constitue une première rupture par rapport au projet de loi Cochet. Ces événements permettent également d’inscrire l’élaboration de cette « grande loi sur les

risques » dans le cadre global des « politiques de sécurité », que le gouvernement s’est donné comme

priorité après des élections focalisées sur le thème de l’insécurité. La ministre et ses services opèrent ainsi un double décalage vis-à-vis du projet précédent qui suffit à le rendre à nouveau politiquement défendable162. De plus, cet assemblage des risques naturels et technologiques permet de présenter sous

157 Entretien DPPR, novembre 2004.

158 Roubieu O., « Des "managers" très politiques. Les secrétaires généraux des villes », in V. Dubois, D. Dulong, La question

technocratique, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1999, p. 217-231.

159 Entretien avec R. Bachelot, décembre 2004. 160 Entretien cabinet de R. Bachelot, janvier 2005.

161 Discours de R. Bachelot pour la présentation du dispositif national de prévention des inondations, 24 septembre 2002. En

ligne : www.ecologie.gouv.fr/Presentation-du-dispositif.html (consultation du 12 juin 2007).

une politique globale et cohérente des mesures diverses qui auraient pu, sinon, paraître éparpillées. Car le contexte n’est pas très favorable à la ministre, critiquée pour ses déclarations pro-nucléaires163 et pour ne pas s’être immédiatement rendue sur les sites touchés par les inondations, dans le Gard. Selon un de ses conseillers, il fallait donc « structurer l’action politique de Mme Bachelot, lui donner un peu

de visibilité164 ».

La décision d’élaborer un projet de loi commun aux risques technologiques et naturels constitue donc une présentation habile pour résoudre des problèmes de nature et d’importance diverses. Dans les services, le travail peut reprendre, en intégrant les subtilités d’un transcodage politico-technique nouveau :

« Il y a quand même quelques petits changements qui se sont opérés. Et en particulier la manière… Sur le

fonds, sur les objectifs et les priorités, tout est resté semblable. Ce qui a complètement changé, c’est la manière… C’est la lecture faite de la manière de concevoir et de mettre en œuvre la réglementation. Je m’explique : intégrer plus d’évaluation économique et de vision de développement dans la réglementation. C’est-à-dire la réglementation, on va pas juste entre guillemets "interdire", "réglementer", éventuellement "aider à financer", mais plutôt "aider à promouvoir" ! Et ça, ce n’est pas évident.165 »

Pour la partie du texte consacrée au risques industriels (titre I), cette opération de transcodage suppose de repasser l’intégralité des articles selon ce filtre, qui consiste à écarter les dispositions qui pourraient être perçues comme trop contraignantes ou répressives, tout en promouvant les propositions plus mesurées présentant un caractère davantage incitatif.