2. Les solutions pour les jeunes : entre évolution de l’offre classique et émergence de nouvelles
2.3. L’habitat non-‐ordinaire, quelles alternatives à l’offre classique ? 65
2.3.2. Réflexions sur la notion de mode d’habiter 68
La réémergence récente de ces nouvelles formes d’habiter, qui ont toujours existé, ont toujours fait l’objet de multitudes d’études. Par exemple de nombreux auteurs ont « rappelé l’importance socio-‐ économique » des logements de passage et auto-‐construits comme les hôtels de célibataires et les garnis (Condro et Ascaride 2001, Faure et al 1999, Levy-‐Vroelant et Blin 2000) alors que d’autres recherches ont porté sur le relogement des populations dans les logements d’urgence comme les cités de transit, parcs de mobil-‐homes (Agier 2009, Bruneteaux 2006, 2007, Elliott et Pais 2006, Kroll 1996, Kusenbach 2007, Lae et Murard 1985, Nigg, Barnshaw, Torrest 2006 et Revet 2007) pour ne citer qu’eux113. Bien que ces nouvelles formes d’habiter étaient annoncées en voie de disparition à la
fin de la seconde guerre mondiale, elles s’inscrivent aujourd’hui dans une forme de rapport à l’espace radicalement différente des formes de logement classique.
La notion« mode d’habiter » est très ancienne et a déjà été utilisée par de nombreuses disciplines comme l’histoire, l’archéologie, l’urbanisme, l’architecture, l’ethnologie, la sociologie, la philosophie et la géographie. « Elle a permis d’opposer la sédentarité et le nomadisme, de rendre compte du statut de propriétaire, de locataire, d’hébergé » (Paquette, 2003). Dans un premier temps, l’expression de mode d’habiter signifiait le mode de logement (maison, pavillon,
113 BERNADOT, Marc ; LE MARCHAND, Arnaud ; SANTANA BUCIO, Catalina. Habitats non ordinaires et espace-‐temps de la
appartement…), mais dans les années 1990 l’expression s’élargit et fait référence à une notion d’e espace plus large que celui du domicile et du quartier.
En effet, Anne Marie Séguin (1997), en analysant les modes d’habiter des HLM de Québec décrit le mode d’habiter comme une « composante de mode de vie, celle liée à l’habitation, et un rapport à l’espace et à ses occupants qui diffèrerait grandement entre les ethnies ». 114 Le mode d’habiter
dépasse non seulement l’aspect de la cellule, du logement et prend une échelle plus importante, celui de son environnement, de son quartier par exemple. Les membres du LADYSS lors d’un colloque intitulé « Nouvelles urbanité, nouvelles ruralités » en 2000 ont articulé la notion autour de quatre dimensions : travailler, séjourner, circuler, vivre ensemble. Beaucoup de chercheurs ont traité de cette notion et sont arrivés à la conclusion que le mode d’habiter représentait pour l’habitant un ensemble, un tout, profondément ancré territorialement.
La notion de l’habiter, au fil des années et des recherches sur le sujet, en lien avec l’évolution de la société, s’écarte alors du rapport heideggérien de l’homme avec sa terre (Martin Heidegger, 1980) et s’élargit pour intégrer l’ensemble des lieux, mais aussi les rapports à la ville, à la campagne, à la nature. Et cette théorie semble se confirmer d’avantage et même se généraliser à d’autres aspects de la vie. La notion de « mode d’habiter » intégrerait un ensemble de pratiques spatiales qui comprendrait des pratiques spatiales non seulement liées à la résidence et au travail, mais également à la consommation, au loisir, au tourisme qui ferait une place plus ou moins importante aux représentations des lieux et des espaces115. En effet notre société contemporaine a fortiori notre
société urbaine contemporaine fait de nous humains pas uniquement des machines à travailler certes mais également une société cherchant à s’épanouir par la mobilité et le divertissement. Les jeunes en sont le parfait exemple, leur taux de mobilité, comme illustré précédemment, est très fort et la jeunesse prend l’habitude de souvent déménager, d’explorer de nouveaux horizons ou encore de voyager. Ceci remet en cause la définition du mode d’habiter, qui se base sur un objet fixe, qui est le logement avec son environnement direct. Les populations s’approprient leur environnement, leur habitat au fil des années. Toutefois la jeunesse déménage, la jeunesse bouge et la jeunesse explore, ce qui nécessite tout le temps une adaptation. Cette adaptation est absolument nécessaire pour la vie d’un jeune, qui doit s’intégrer de plus en plus vite mais s’attacher moins à son environnement et à son quartier que ses aînés. Cet argument n’est pas généralisable à tous les jeunes, tant cette catégorie est diverse, certains jeunes ne pouvant justement se détacher de leurs quartiers. Mais pour ceux qui y arrivent, ces étudiants, jeunes actifs en mobilité, leur capacité d’attachement à un lieu se réduit, avec une propension toujours élevée à bouger en fonction des opportunités.
Ainsi, un ancrage territorial réduit et une propension forte à se mouvoir soulèvent la question de la manière dont l’habitant (temporaire) intègre l’espace local. Le développement de l’offre transitoire mène à un véritable tournement des populations, qui se succèdent sans cesse, sans que le quartier
114 STOCK, Mathis. « Faire avec de l’espace » : pour une approche de l’habiter par les pratiques, dans FRELAT-‐KAHN, Brigitte ;
LAZZAROTTI, Olivier (dir.), Habiter , vers un nouveau concept ?, Paris, Armand Colin Recherches, 2011, 328p, pp 57-‐77
115 STOCK, Mathis. « Faire avec de l’espace » : pour une approche de l’habiter par les pratiques, dans FRELAT-‐KAHN, Brigitte ;
ne se crée, ne se développe, ou ne conserve une véritable identité. Ce nouveau rapport à l’habiter amène à se questionner également sur l’implication dans son espace local concernant l’aménagement et le développement territorial ; un habitant temporaire ne s’investira pas autant qu’un habitant propriétaire de son logement depuis de nombreuses années.
Mathis Stocke est également un chercheur s’étant opposé à la vision heideggériennes de l’habitat, qu’il juge « trop sédentaire », trop axé sur l’ancrage local. Il admet par la suite que cette société mobile dont nous faisons partie devient plus autonome par rapport à l’espace et s’émancipe en choisissant pour lui les lieux les plus adaptés pour ses pratiques116. Dans le cas de nombreux jeunes,
cela serait le centre-‐ville d’une grande agglomération. Ainsi, Mathis Stock définit le mode d’habiter comme « l’articulation des pratiques des lieux des individus ».
Ainsi le concept du mode d’habiter et la mobilité deviendrait indissociable à travers des processus de sociabilisation, notamment dans les sociétés métropolitaines. Enfin, l’expression « mode d’habiter » répond à de nouveaux besoins, non seulement celui du dépassement du logement et l’acte de se loger, mais également « d’interroger les interactions entre les lieux, les espaces et les modes de vie dans un contexte de sociétés métropolitaines, mobiles et connectés au (à un certain) monde via les technologies de l’information et de la communication ».117