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CHAPITRE 4. LA PLACE ET LE RÔLE DES PRATIQUES ACCULTURANTES POUR ENTRER DANS L’ÉCRIT

3. Quelques réflexions pour enrichir ces pratiques…ou en proposer d’autres

3.1. Un espace dédié à la lecture

On a remarqué l’absence de coin lecture dans les classes observées, indicateur de classe acculturante selon le Rapport lire- écrire CP(2012). On a noté la présence positive des livres de lecture suivie dans la classe de Julia et d’ouvrages dans la salle attenante à celle de Sarah. Cela mériterait d’être développé. J. Giasson qui pose la question « A quoi ressemble une salle de classe dans laquelle la lecture est à l’honneur ? » (2007, p. 44) se dit favorable à un aménagement de la classe qui favorise l’approche de la lecture, pour encourager les élèves à lire : matériel « facilement accessible, livres placés en évidence et de manière attrayante ». Pour elle, l’organisation matérielle de l’espace reflète les choix (conscients ou inconscients) de l’enseignant. C’est aussi le point de vue de C. Frier & A. Vadcar dans leur article sur le coin lecture déjà cité. Cet espace, selon J. Giasson, ne doit pas être seulement un lieu appoint destiné à accueillir les élèves qui ont terminé un travail, mais un espace d’invitation, où l’élève peut développer un rapport personnel à la lecture. Cependant notons que certaines des préconisations de ces auteures ne sont pas applicables telles quelles aux jeunes de NSA, qui ne peuvent pas lire seuls. Elles paraissent cependant transposables, rien n’empêche que dans la classe des NSA soit aménagé un coin avec par exemple d’autres albums que ceux étudiés, des livres de différents formats, différentes typographies, avec ou sans images, divers types d’écrits, un éventail qui attise la curiosité des jeunes. Feuilleter, regarder, se laisser attirer par telle ou telle illustration, sans lire, est déjà une entrée dans le monde de l’écrit et peut favoriser la construction du sujet lecteur.

En lien avec cet espace lecture, on pourrait aussi préconiser des visites au CDI régulières et un travail avec l’enseignante documentaliste. Sarah m’a dit aller au CDI avec ses élèves, et d’après ce que j’ai pu entendre de cette dernière, des groupes d’UPE2A y vont, je n’ai pu savoir exactement comment ils y travaillaient, mais je ne pense pas que ce soit le cas des NSA. Pourtant c’est un bon moyen d’entrer dans l’univers de l’écrit, et cela peut en outre suppléer à l’absence du coin lecture s’il est difficile de l’aménager dans la

classe. Pour les NSA on peut imaginer une découverte-repérage dans l’espace du CDI, avec ses différents secteurs, pour découvrir la diversité du livre et utiliser le visuel pour « classer » divers types d’écrits.

3.2. Place à l’émotion

On avait noté dans le travail de Charlotte sur Pierre et le loup un manque de place laissé à l’émotion, à la sensibilité des apprenants et dans celui de Julia sur Qui a tué Minou Bonbon des questions de compréhension qui ne semblaient pas laisser assez d’espace à l’émotion générée par le texte. Sarah laisse davantage s’exprimer cette sensibilité via les pratiques artistiques qui s’y prêtent particulièrement. Il nous semble qu’en NSA encore plus que pour les autres niveaux, il est important de favoriser le plaisir, l’émotion, et pas seulement se soucier de la compréhension. Cela peut être un moyen d’accéder au sens du texte par d’autres voies que l’interprétation « intellectuelle » et de donner de ce fait envie aux jeunes de découvrir d’autres histoires. Ainsi les pratiques autour de la chanson, du cinéma, de la peinture peuvent offrir à tous les groupes d’UPE2A et encore plus aux NSA des moyens d’exprimer leur sensibilité avant de pouvoir la dire en mots, et permettraient aussi de fournir plus facilement des ponts entre leur culture et celle qu’ils découvrent.

3.3. Favoriser l’interculturalité

Comme on l’a dit les jeunes d’UPE2A sont entre deux (ou plusieurs) cultures. Or on avait noté que l’accès au patrimoine culturel représenté par nos contes aurait pu s’accompagner de lectures de contes appartenant aux cultures des apprenants, d’autant que le conte s’y prête parfaitement comme on l’a déjà dit, en tant que récit universel. Même si ces jeunes n’ont pas été scolarisés, on leur a peut-être raconté des histoires dans leur enfance, et même s’ils ne sont pas encore capables de les raconter, cela fournit un point d’appui pour faire le lien entre les cultures. Il nous semblerait donc intéressant de raconter d’abord des histoires appartenant à leurs cultures avant de leur lire nos contes de sorte que cette « nouvelle culture » soit perçue à travers le prisme de la leur. Charlotte avait l’intention de leur lire des contes africains, L’oiseau de pluie (M. Bermond, 1971), et Epaminondas (O. Weurlesse, 2018) ; mais tenait d’abord à leur faire partager notre patrimoine car selon elle « ils ont soif d’ici ». C’est une autre manière de voir les choses, qui me semble défendable aussi, il n’y a pas de « recette » unique. Sarah accorde dans les découvertes culturelles une place à la culture de ses apprenants, comme on l’a vu par exemple avec le travail sur la musique, pratique que je généraliserais pour favoriser les

liens entre cultures et inciter les jeunes à s’exprimer sur des domaines qu’ils connaissent bien.

Sachant que l’association de l’image et du son est un outil précieux pour ce public, je pense qu’il serait intéressant aussi de leur montrer des films d’animation comme Kirikou et la sorcière, réalisé par Ocelot (1998), adapté d’un conte africain, ou encore Azur et Asmar (2006) du même réalisateur, qui prend place dans la civilisation islamique du Moyen âge et mêle langue française et arabe. Les deux films touchent à des sujets porteurs, comme la xénophobie, la violence, la tolérance, la différence, et sont particulièrement riches d’interculturalité. Ce genre de support est susceptible de déclencher chez les jeunes des réactions et un désir de s’exprimer, première clé pour entrer dans la langue.

3.4. Favoriser la créativité et mettre en valeur les compétences

La démarche de Sarah qui s’inscrit dans une pédagogie de projet est intéressante non seulement en ce qu’elle donne aux apprenants une motivation pour progresser, avec un enjeu de taille si on pense au spectacle, mais aussi en ce qu’elle les invite à montrer leurs réalisations, comme j’ai pu le voir avec des expositions en salle polyvalente ou simplement déjà dans la salle de classe avec l’affichage de leurs dessins. Cela permet de renforcer l’engagement des jeunes, et de valoriser les compétences travaillées. Pour des élèves moins à l’aise, pour les NSA en particulier, on pourrait aussi imaginer de proposer un carnet d’écriture et de lecture, dans lequel ils pourraient recenser toutes leurs productions, un objet personnel donc qui rendrait manifeste leur entrée dans l’écrit. On avait vu que Soulaymane par exemple se plaisait à recopier chez lui l’histoire du Petit chaperon rouge et ces écrits pourraient ainsi être rassemblés et par là même faire état de ses progrès.

Après ces réflexions un peu générales, j’aimerais revenir à ce qui a déclenché mes recherches et orienté mon travail pour ce mémoire, à savoir d’une part la question de l’entrée dans l’écrit, et d’autre part la littérature, et terminer par une réflexion sur les textes et les ouvrages possibles en UPE2A pour voir comment /si entrée en littératie et en littérature peuvent aller de pair.

4. Quels supports et quel type de lecture proposer aux jeunes d’UPE2A-