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CHAPITRE 4. LA PLACE ET LE RÔLE DES PRATIQUES ACCULTURANTES POUR ENTRER DANS L’ÉCRIT

12. Vers d’autres pratiques acculturantes pour un public NSA-UPE2A adolescent

12.2. Des genres et des pratiques à privilégier ?

12.2.1. Le conte, récit universel, à la frontière de l’oral et de l’écrit

Comme on l’a déjà évoqué plus haut, le rapport Lire écrire CP, dans la partie consacrée aux pratiques acculturantes, fait apparaître l’album comme support essentiel de lecture mais mentionne aussi la lecture de contes dont le support n’est pas un album. Le conte peut être aussi un support intéressant pour les UPE2A-NSA. Commençons par définir le genre. On peut dire simplement du conte que c’est un récit merveilleux, au schéma narratif simple, souvent amorcé par la formule « Il était une fois », qui se déroule en un temps et un lieu généralement non précisé, avec des personnages souvent stéréotypés, parfois dotés de pouvoirs magiques, et qu’il est généralement porteur d’une morale. Le conte est sujet à des variantes, mais, comme le soulignent S. Trottet et V. Amireault dans leur article sur les contes et légendes, il « se maintient sous une forme relativement stable » à travers les époques. (2013, p.63). En effet, elles rappellent que les contes, issus de la tradition populaire, sont des récits « que l’on pourrait qualifier de nomades, qui voyagent dans le temps et dans l’espace, oralement ou par écrit « et qu’ils sont parfois « rattachés à certains auteurs qui en ont proposé une version écrite devenue célèbre », comme C. Perrault, les frères Grimm ou Andersen. (Ibid. p.64). On peut retenir plusieurs éléments importants dans ces caractéristiques du conte : c’est un texte narratif plutôt simple, qui fait appel à l’imaginaire, il existe dans différentes sociétés, voyage à travers les cultures, et il est au carrefour entre tradition orale et écrite. Nous allons reprendre ces trois caractéristiques majeures pour voir en quoi le conte peut être un genre adapté et porteur en UPE2A- NSA.

Tout d’abord, la première caractéristique nous laisse supposer qu’il pourrait être proposé à des lecteurs de faible niveau : en effet, le schéma narratif simple le rend non seulement accessible à un large public, mais permet de travailler sur la logique du récit. Certains pourraient faire une objection quant au caractère « infantile » du conte proposé à un public de jeunes adultes mais on peut écarter ce préjugé : « bien sûr l’approche du conte avec un public adulte peut être ressentie comme une infantilisation, mais n’oublions pas que le genre du conte, genre populaire, fait aussi souvent l’objet d’adaptations, de remises au goût du jour » (Delbart et al. 2014, p.39-52). D’ailleurs les contes de Perrault ont bien

été au programme de TL24 et les élèves se sont régalés devant ces textes, sources d’interprétations et de niveaux de lecture multiples. Ajoutons que les contes font partie de notre univers d’enfant, évoquent les histoires qu’on nous a lues ou racontées et que les jeunes NSA n’ont souvent pas eu accès à ce type d’univers.

Ensuite, la seconde caractéristique citée indique que le conte est susceptible de toucher des apprenants de diverses origines et cultures, ces textes permettent à la fois de les faire accéder à notre patrimoine culturel littéraire mais sont aussi porteurs de valeurs universelles. On saisit tout ce que cela peut avoir d’intéressant en termes d’acculturation.

Enfin la troisième caractéristique rappelle qu’il permet de faire appel à l’oral dont on a déjà vu l’importance pour les jeunes qui ne maîtrisent pas l’écrit et pour lesquels « La langue orale représente beaucoup plus qu’une oralisation de l’écrit ; elle constitue plutôt un support pour l’écrit.» (Ibid. p.66). Dès lors comme le disent justement S. Trottet et V. Amireault, « Ces supports authentiques offrent la possibilité de partir de l’oral pour ensuite exploiter l’écrit, ou, vice versa, d’exploiter d’abord l’écrit pour favoriser un réinvestissement à l’oral » (ibid. p.68). Cette « hybridité discursive caractéristique des contes » offre la possibilité d’« inclure les dimensions orale et écrite afin d’exploiter l’ensemble des possibilités de la langue et ainsi de permettre aux apprenants de développer autant leurs habiletés à l’oral qu’en littératie. » (ibid. p.67). On peut en effet rappeler ici le rôle déterminant de l’oral pour entrer dans l’écrit : « (…) l’oral occupe une place primordiale non seulement pour faire apprendre à communiquer oralement mais, également, pour faire apprendre à lire (les rapports son -graphie) et pour faire apprendre à écrire (les structures écrites n’étant qu’une transposition, en début d’apprentissage d’une L2, des structures acquises tout d’abord à l’oral) (ibid. p.68). Le conte, par sa nature, s’inscrit donc dans cette articulation oral-écrit et selon S. Trottet et V. Amireault, « le passage entre ces deux modes de transmission est susceptible d’aider les apprenants à faire des liens, à approfondir leur compréhension d’une œuvre» (Ibid.).

Enfin, ces auteures évoquent une possibilité d’exploitation du conte qui nous semble intéressante pour le public concerné, la multi modalité : elles suggèrent en effet qu’ « Au-delà de la distinction oral/écrit, la musique peut parfois occuper une place aussi importante que le texte dans la narration de l’histoire, voire faire partie intégrante de cette narration » (p.67). Elles prennent pour exemple le conte musical Pierre et le loup, écrit et

composé par Prokofiev et expliquent que cette multi modalité présente un « intérêt certain dans l’exploitation didactique des contes et légendes, discours à la croisée des traditions orale et écrite, parfois escortés d’images et de musique » (ibid. p. 67). L’utilisation d’album peut trouver tout son sens ici avec le rôle clé des images pour favoriser la compréhension d’apprenants qui ne maîtrisent pas encore les codes de l’écrit.

Nous aimerions pour terminer ce point citer la démarche d’Hind Chalane, coordonnatrice départementale au CASNAV de Grenoble et formatrice, qui est venue cette année, dans le cadre du cours de Master FLES sur les élèves allophones, nous présenter et nous « faire vivre » son travail sur la lecture d’album en arabe littéraire. Elle considère que le conte est un genre à privilégier : d’une part il est universel et permet de partir de la culture des apprenants qui, même analphabètes, même peu scolarisés, ont pu entendre des histoires racontées dans leur famille ; d’autre part son schéma narratif est un schéma de pensée, utile donc de façon générale. Elle a utilisé comme support de travail un album de littérature jeunesse qu’elle a traduit en arabe et nous a placés en position d’apprenants qui ne connaissent pas du tout la langue (c’était le cas pour la plupart d’entre nous). Nous avons commencé par des activités à faire en amont du travail sur le conte. Une activité avec des étiquettes mots (en arabe) et de étiquettes illustrations à relier, nous a mis en difficultés. Ensuite elle a proposé une activité à l'oral : comment dire son prénom en arabe au cours de laquelle elle articulé, répété, joué sur l'intonation…Cette activité nous a permis ensuite d'identifier les prénoms écrits en arabe sur une feuille : discrimination visuelle, avec l’aide de couleurs, tâtonnement phonologique. Elle nous a ensuite lu l’histoire avec force gestuelle et variations dans l’intonation et au cours de la lecture nous avons reconnu les prénoms présents dans le conte, et saisi non pas toute l’histoire, certes, mais des éléments suffisants pour la comprendre dans sa globalité et enfin elle nous a conté l'histoire grâce aux illustrations. Après production orale répétée, nous avons réussi à relier le mot à la bonne illustration, à lire nos prénoms en arabe, à reconnaître certaines lettres.

Cette démarche nous semble vraiment intéressante en ce qu’elle montre combien le passage par l’oral est un passage clé pour entrer dans la lecture dans une langue inconnue et à terme dans l’écriture et combien le conte peut être un genre porteur.

Si on prend en compte ces différentes composantes du conte, on peut donc penser qu’il fait partie des œuvres littéraires à même d’être exploitées auprès d’élèves en UPE2A- NSA et capables de favoriser leur entrée en littératie. Un autre genre qui peut permettre d’articuler oral et écrit et d’utiliser la multi modalité, mais qui n’est pas peut-être pas à

priori celui auquel on pense pour notre public, est la poésie, à laquelle nous allons nous intéresser à présent.