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CHAPITRE 4. LA PLACE ET LE RÔLE DES PRATIQUES ACCULTURANTES POUR ENTRER DANS L’ÉCRIT

3. Analyse du scénario

3.2. Du côté de l’enseignante : le rôle de l’adulte passeur de culture

J’ai rencontré des enseignantes toutes animées d’une volonté commune, aider les jeunes à s’intégrer, faire en sorte qu’ils « puissent vivre avec nous » pour reprendre les termes de Charlotte, et d’une conviction commune : « On ne peut pas demander à quelqu’un d’apprendre une langue sans le relier à ce qui fait cette langue, à savoir la dimension culturelle » selon Macla. Cette dernière estime que « surtout avec des NSA, la représentation et la confrontation avec un objet culturel permet de faire le lien entre leur histoire et la nôtre » ; et d’une certitude commune : la capacité de ces jeunes à entrer dans cette culture et l’efficacité de ces pratiques acculturantes pour entrer dans l’écrit. Je prendrai appui sur des notions rencontrées cette année dans le cours Agir professoral pour analyser la pratique de l’enseignante et j’étudierai la façon dont Charlotte met en œuvre ce rôle de médiatrice. Nous allons donc à présent analyser les intentions et les pratiques de Charlotte en matière d’acculturation.

Tout d’abord on peut rappeler que la formation et la personnalité de l’enseignant influence nécessairement ses pratiques de transmission, son style d’enseignement. Cicurel, dans un de ses ouvrages sur les interactions et l’agir professoral en classe de langue, explique que « chaque professeur a ses façons de faire, ses manières, et parfois ses ‘manies’, il agit dans un certain style » (2011, p.148). Outre la formation et la personnalité, c’est aussi l’expérience de l’enseignant qui influence sa pratique : « un enseignant entre dans une classe avec un passé, une expérience, des doctrines personnelles sur l’enseignement » (Cicurel p.15). Tout cela influence donc le style d’enseignement. Celui-ci se caractérise par exemple, selon Cicurel, par la façon d’accorder la parole aux élèves, de les corriger, de les faire participer à la découverte du sens, mais inclut aussi les déplacements de l’enseignant dans la classe, le recours à son vécu ou encore les plaisanteries. On a déjà dit que l’objectif de Charlotte, lié en partie à son parcours, est que ces jeunes qui lui sont confiés puissent s’intégrer dans notre société, vivre avec nous. Elle installe dans sa classe un climat de confiance et de bonne humeur que j’ai perçu dès la première séance, pourtant tôt dans l’année, qui permet aux apprenants de trouver leur place dans cette micro société qu’est la classe. J’ai décrit plus haut l’attitude de l’enseignante allant s’assurer que chaque groupe, chaque élève, avait bien compris les consignes et parvenait à réaliser la tâche demandée, tout en prodiguant force encouragements et compliments : cette attention de chaque instant est un élément clé dans le rôle de l’adulte pour permettre à chacun, à son rythme, d’aller vers cette culture qui, si elle leur est offerte,

une relation humaine qui s’instaure, avec une enseignante à l’écoute des questions, des problèmes personnels qui peuvent empêcher les jeunes d’entrer dans l’apprentissage s’ils prennent trop de place, comme c’est souvent le cas pour ces jeunes MNA et comme on en a vu des exemples. Cela est perceptible aussi dans la capacité de l’enseignante à s’adapter, à prendre le temps nécessaire pour que chaque apprenant comprenne même si cela ne correspond pas à ce qu’elle avait prévu, à sa planification, comme on l’a vu avec Pierre et le loup : c’est bien l’apprenant qui est au centre des préoccupations. Tous ces critères, quoique généraux et transposables à tout enseignement, sont autant de facteurs favorables à l’entrée des jeunes NSA dans l’apprentissage, dans la culture de l’écrit, et peuvent donc être reliés au rôle de l’enseignant passeur de culture.

Voyons comment Charlotte s’efforce de faire entrer chaque apprenant dans l’univers du conte et quelles réflexions nous inspire sa pratique. Elle procède à cette lecture offerte si importante, on l’a vu, considérée comme pivot de l’acculturation à l’écrit pour les enfants de CP et d’autant plus centrale pour ces jeunes qui ont besoin de l’oral pour entrer dans l’écrit. Elle essaie de susciter la parole des apprenants, comme on l’a vu avec les lectures dialoguées, les questions de compréhension, qui les entraînent à l’écoute, à la concentration, et les incite à s’exprimer. Elle a recours régulièrement à l’image comme support pour permettre à tous, d’accéder au sens du texte. Le choix du conte musical est révélateur d’une volonté de les faire accéder aussi à d’autres volets culturels, en l’occurrence la musique, sur laquelle elle a passé beaucoup de temps. Les intentions de cette enseignante en matière d’acculturation sont évidentes, mais quelques pratiques pourraient- peut-être être modifiées.

Tout d’abord, avant de proposer les contes de notre patrimoine, Charlotte pourrait demander aux élèves s’ils connaissent des contes dans leur langue maternelle. Peut-être leurs parents, ou grands parents, leur ont-ils raconté des histoires dans leur enfance et seraient-ils heureux d’en parler. Il peut être intéressant de prendre appui sur ce qu’ils connaissent pour favoriser leur motivation, leur donner aussi confiance en leur montrant qu’ils savent des choses. Cette absence de l’interculturel est repérable aussi dans l’approche du conte musical Pierre et le loup. En effet ce format de conte aurait pu donner lieu à un échange interculturel sur la musique de leur pays, les instruments qu’ils connaissent et pratiquent. De plus n’oublions pas qu’il s’agit d’adolescents, et quelle que soit leur culture, la musique de Pierre et le loup, musique académique et écrite est éloignée de leurs connaissances musicales. Ce choix relève d’une intention louable de leur faire

connaître cet aspect et c’est bien le rôle de l’enseignement que de faire apprendre aux élèves ce qu’ils ne peuvent découvrir par eux-mêmes. Mais partir de leurs savoirs, de leurs gouts, peut être une amorce fructueuse et stimuler leur intérêt pour l’histoire racontée et donc les apprentissages.

Ensuite, même si l’accès au sens est difficile pour les NSA, ils ont tous une sensibilité à laquelle on pourrait faire davantage appel en insistant sur les émotions que suscitent les histoires. Cela me semble particulièrement significatif pour Pierre et le loup. En effet, j’aurais peut-être procédé autrement pour les faire entrer dans ce conte, je reviens donc brièvement sur le déroulé. Je pense qu’à partir de l’image de la couverture du livre j’aurais d’abord fait émettre aux élèves des hypothèses sur le sujet de l’histoire, imaginer, inventer, dans un double objectif de production orale et de stimulation de leur imagination dont Charlotte dit qu’ils n’en ont pas beaucoup. Mais sont-ils vraiment dépourvus d’imagination ou faut-il un autre levier pour la faire parler ? Il me semble aussi que je leur aurais d’abord fait entendre une fois le conte dans son intégralité lu par la voix de G. Philippe plutôt que de me centrer sur l’étape de présentation des instruments et des personnages, qui n’a pas été bien comprise, et que je serais partie de leurs remarques. Pour le lien personnages-instruments je leur aurais refait écouter deux sons bien représentatifs en essayant de faire percevoir l’émotion suggérée par la musique et de faire ainsi comprendre le lien avec l’état d’esprit du personnage, par exemple la mélancolie du hautbois pour le canard malheureux, plutôt que d’insister d’abord sur le nom de l’instrument. Il manquait probablement une dimension émotionnelle à laquelle tout apprenant, qu’il comprenne ou non la langue, est accessible.

Mais Charlotte a elle-même reconnu en fin de séance, dans une démarche d’auto- appréciation de sa séance, que si c’était à refaire elle ne s’y prendrait pas ainsi, c’était une première fois, et le conte musical n’est pas le plus facile d’accès, contrairement à ce qu’on pourrait penser du fait de la multi modalité.

On voit donc que l’enseignante est animée par une volonté d’acculturation et d’intégration de tous ses élèves, mais qu’une place plus large accordée à leurs connaissances, leurs goût, et aussi à leurs ressentis, serait favorable à cette acculturation.

Comme nous l’avions vu dans la partie théorique sur le rôle de l’adulte médiateur, les jeunes NSA n’ont pas bénéficié, du moins à l’école, de cette médiation, et le rôle de l’enseignant est alors primordial.