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"L'entrée activité" (Barbier & Durand, 2003) se veut une étape supplémentaire dans cette prise en compte de la subjectivité de l'individu dans son action. L'objectivation des composantes du signe hexadique contribue fortement à cette volonté. Elle s'accompagne cependant d'un recentrage sur des phénomènes locaux, révélateurs de l'état de l'interaction entre le sujet et son environnement :

"A chaque instant, l'activité humaine présente une organisation et une signification singulières. Chaque action est nouvelle, n'a jamais eu lieu et ne peut se reproduire à l'identique" (Durand, Saury & Sève, 2006, p. 63).

Le cadre théorique utilisé tend à concevoir l'activité dans sa seule dimension expérientielle, contrairement aux propositions de Pastré (2005b) lorsqu'il envisage l'activité autour du couple schème-situation, et de sa capacité à s'adapter aux variations du contexte en articulant invariance et adaptabilité. Cette posture renvoyant l'acte au local et au circonstanciel, pose problème pour expliciter les modifications générées par l'apprentissage, et est reconnue, par ses auteurs, comme limitantes :

"Cette conception de l'activité comme indéterminée, ouverte, exprimant une exploitation opportuniste de circonstances énigmatiques fait surgir une difficulté : cette singularité essentielle des actions rend problématique la pensée de l'apprentissage c'est-à-dire de tirer bénéfice ici et maintenant d'expériences antérieures." (Ibidem, p. 63)

Très développée actuellement dans les recherches sur l'enseignement dans le domaine des STAPS, nous pouvons cependant noter leur lent déport vers l'analyse de l'acte d'enseignement et d'intervention (sur l'activité de l'entraineur avec les travaux de Sève et de Saury notamment) et le relatif abandon de l'analyse de l'activité d'apprentissage de pratiquants sportifs ou scolaires. Nous pourrions analyser ce glissement sémantique faisant passer de l'analyse de l'activité d'opérateurs à celle de formateurs par le fait que, si l'intervention ou l'enseignement se conçoivent très bien comme des activités de travail singulières et ouvertes, ce qu'elles sont par nature, l'activité d'apprentissage confronte l'élève à un contenu préconstruit, formalisé dans la situation d'enseignement pour sa transmission. En conséquence, le curriculum ne peut pas s'observer comme seule expérience en milieu naturel et ouvert. L'environnement didactique est organisé par la volonté de transmission ce qui oriente le cours d'action dans une situation contrainte dans laquelle l'élève va entrer et évoluer dans une trajectoire, un itinéraire construit autour de domaines de savoirs préexistants. Dans ce cadre, l'observation instrumentée utile à une implémentation curriculaire porte sur

l'activité d'un apprenant en termes de structures mentales mobilisables et non en termes d'expérience circonstancielle. Allal (1987) évoque, à ce propos, en termes d'évaluation formative : "les données d'intérêt prioritaire seront celles qui portent sur les représentations de la tâche formulées par l'élève et sur les stratégies ou procédures qu'il utilise pour arriver à un certain résultat" (Allal, 1987, p. 160). L'emprunt par la recherche sur les conditions de l'implémentation curriculaire et sur l'activité d'apprentissage de l'élève de l'outil "entretien d'auto-confrontation" ne peut laisser de coté ce que Martinand (2001) considère comme un fondement épistémologique de la recherche didactique, la "responsabilité" par rapport aux contenus. La méthodologie de recueil des données s'en trouve tirée au-delà de l'instant donné, unité dans laquelle l'expérience peut s'exprimer, vers une vision évolutive de l'activité de l'apprenant confronté à un curriculum de formation dans lequel l'instant donné se conçoit comme une étape transitoire et les relations à la situation comme d'éventuels progrès ou obstacles à l'apprentissage.

Cette orientation met en avant, selon nous, les connaissances construites ou en cours de construction, leurs natures et les conditions de leurs possibles mobilisations, et non les constituants de l'expérience, dans les registres de modélisation de l'activité de l'élève. Si le support de l'entretien d'auto-confrontation nous semble pertinent pour solliciter l'élève à revenir sur les caractéristiques de son engagement dans la situation à un instant donné avec l'utilisation de traces vidéo des sauts qu'il a effectués, l'analyse de cet engagement ne peut, selon nous, occulter la traduction de cet engagement vis-à-vis de ce qui fait l'enjeu de la situation, la transmission/appropriation de domaines de savoirs curriculaires. C'est en ce sens que nous avons sollicité le concept de schème que nous avons emprunté à Vergnaud et à Récopé, celui de conception aux travaux portant sur l'enseignement scientifique et questionné les représentations pour l'Action à partir des caractéristiques spécifiques de l'acte de saut. Emprunts qui nous ont permis de lier deux dimensions de l'activité, motrice et cognitive. Cette attitude oriente cependant le regard que nous portons sur l'activité du sujet dans la modélisation du comment (Quéinnec, Marquié & Thon, 1991). Mais surtout ils appellent à un renouvellement théorique des modalités d'observation de l'activité, renouvellement déjà engagé par Récopé (1996, 1997) dans le cadre de l'APSA Volley-ball et exprimé dans Récopé (2002).

- L'observatoire de l'action manifeste : connaissances vs. expérience

Nous venons de l'expliciter, pour Theureau (2004), la théorie du cours d'action qui inspire l'élaboration du protocole à deux volets auquel l'entretien d'auto-confrontation participe, permet l'analyse de l'activité comme l'enchainement de signes hexadiques, constituants de l'engagement du sujet dans la situation. L'analyse de la nature de l'engagement dans une situation scolaire nécessite, nous venons d'en énoncer les exigences, une théorie d'action qui entretienne des relations les plus serrées aux contenus scolaires. C'est en ce sens que nous avons convoqué les propositions de Vergnaud, de Pastré et de Récopé dans leurs apports à la lecture de l'activité par le concept de schème. L'activité de confrontation de l'élève à un champ de savoir constitué, même si celui-ci repose sur des savoirs intermédiaires (Durey & Bouthier, 1994), place l'élève dans une situation de mobilisation de ses connaissances selon des modes opératoires qui lui semblent adaptés aux exigences de la situation. L'observatoire de l'acte produit doit se constituer sur ces connaissances, et les propositions de Vergnaud et de Récopé nous paraissent éclairer les modes opératoires, par les invariances comportementales observables en situation, et les logiques qui fondent leurs recrutements, règles de l'action efficace et inférences. Cette voie nous semble actuellement la plus féconde pour appréhender la nature de l'engagement scolaire de l'élève et constituera le cadre d'analyse que nous allons utiliser pour décrire les interactions élève / situation de saut en hauteur à barre "vraie" dans le cadre scolaire.

d) L 'in d é c omp o sa bili té d e l 'a ct e

Une des difficultés soulignée pour l'analyse de l'action athlétique est la difficulté à décomposer son déroulement en séquences isolables qui permettrait un travail dédié. Certaines formalisations didactiques se sont aventurées dans cette voie (Piron, 1987 et Piasenta, 1998 notamment) en tentant d'isoler des moments-clés ou des phases techniques réitérables mais la question des relations entre les phases ou les moments se repose très vite (Fargier, 2002) et leurs utilisations dans la détermination des contenus d'enseignement en deviennent problématiques (Dhellemmes, 1991). En saut en hauteur, le décollage ne peut se concevoir sans course d'élan et le franchissement sans élévation. Au cours de son action, le sauteur va donc être confronté à une succession très rapide de temps d'action interdépendants. Cette dimension donne à la pratique une structure syncrétique globalisante, Deleplace (1983) parle à ce propos d' "acte global". Sa modélisation opérante ne peut cependant pas saisir les instants

comme elle peut le faire en rugby au moyen des unités tactiques isolables. Fernandez & Gréhaigne (2000) avaient déjà souligné cette difficulté à isoler les phases du jeu en football pour fonder une modélisation des actions, la tâche se complexifie encore pour le saut en hauteur athlétique.

Selon Adnet & Deleplace (1994), l'acte global peut être appréhendé au-delà de cette difficulté méthodologique par la caractérisation de son enveloppe théorique (ou matricielle) c'est-à-dire "l'ensemble des fonctions concourantes, chacune clairement définie, le nombre de ces fonctions composantes de l'acte global étant ramené au plus petit qu'il est possible" (Adnet & Deleplace, 1994, p. 28). Les fonctions composantes peuvent alors être adressées aux actions, aux "outils corporels" pour déterminer la nature de la conduite motrice à produire et en abstraire une loi opératoire, base logique de l'acte. Cette méthodologie de formulation de la modélisation de l'activité du pratiquant nous semble être une évolution notable des propositions précédentes (Deleplace, 1983) concernant la pratique du lancer du marteau qui fait une large part chez l'auteur aux évolutions spontanées liées au développement expérientiel. Ce dernier offre en effet, une laxité importante dans la définition des connaissances acquises peu compatible avec le fonctionnement curriculaire d'une matière scolaire. Si on suit les propositions d'Adnet & Deleplace, il s'agit, pour notre objet d'étude, de faire apparaître les fonctions qui concourent à la réussite du saut et de les mettre en relation avec les "outils corporels" pouvant réaliser la mise en œuvre de ces fonctions. Ensuite, l'articulation entre fonction et moyens permet d'abstraire la logique opératoire - les relations temporelles, spatiales et fonctionnelles entre les actions constitutives de l'acte global. Les actions des sauteurs experts se prêtent bien à ce premier temps de modélisation opératoire. Sans considérer les modes opératoires experts comme un absolu à reproduire, il s'agit de voir quels outils permettent la poursuite des fonctions définies, comment ils sont utilisés malgré les contraintes que fait peser sur eux la situation de saut, comment ils sont articulés pour répondre aux enjeux contradictoires (Garassino, 1980).

L'enveloppe théorique qui va en être extraite ne joue cependant pas le même rôle dans notre recherche que celui proposé par Adnet et Deleplace : il ne s'agit pas d'organiser les conditions initiales de la transmission par la "toute première forme, la plus simple à laquelle il est possible de réduire l'acte global" (Adnet & Deleplace, 1994, p. 28) mais de faire émerger les particularités de la pratique scolaire du saut en hauteur, de montrer l'existence de formes spécifiques, acquises dans la situation de pratique et qui vont pouvoir entretenir une dynamique conflictuelle avec les contenus d'enseignement apportés par l'enseignant dans la situation. Lorsque nous

envisagerons les connaissances et logiques opératoires des apprenants, il faudra rapporter ces termes à ce niveau d'analyse. Il s'agit donc moins de modélisation de la pratique que de modéliser les pratiques développées par les apprenants. Cette voie prend comme base les pratiques familières des élèves et veut en comprendre les fondements au même titre que Deleplace s'intéresse aux fondements de l'activité sportive en jeu.

Une deuxième difficulté d'ordre méthodologique réside dans le fait que les actes individuels mêlent de multiples facteurs qui viennent "bruiter" l'objet que la recherche veut investiguer. L'observation d'un saut en hauteur met en scène des connaissances, des qualités physiques, des habiletés motrices mais aussi des procédures avec leur intensité et amplitude propres, des inhibitions de nature psychologique, des capacités attentionnelles pendant le déroulement mais aussi avant celui-ci, de compréhension et sans doute beaucoup d'autres. Selon Durey et Bouthier (2003), cet objet corporel complexe se laisse difficilement capturer par les outils de recherche et l'indécomposabilité de l'acte devient alors une contrainte méthodologique : traditionnellement, soit l'objet est réduit, et perd sa valeur d'acte global, soit l'outil de recherche devient trop complexe pour permettre la validation scientifique selon les critères expérimentaux "durs" (Paquay, 2006). Ce cadre peut être rapporté à nos investigations proposées durant le cadre théorique et aux caractéristiques du processus de validation des résultats qui se situe plus dans la possibilité de réfutation à partir de l'explicitation des choix méthodologiques plus que sur la démarche d'administration de la preuve. En se plaçant volontairement au niveau des connaissances opératoires et formelles de l'élève, nous avons fait le parti pris de laisser dans la pénombre les phénomènes sociaux et individuels ne relevant pas directement de la situation de pratique et de l'objet didactique saut en hauteur. Cela nous a amené à formaliser la relation individuelle élève-situation, vue à partir des connaissances mobilisées par l'élève pour sauter et des conditions de mobilisation de ces connaissances.

6. 1 . 2. Si tu ati on et gu i d e d' en t r eti e n

Quinze élèves ont été sélectionnés pour participer à la phase expérimentale d'entretien. Ils ont été choisis sur la base d'un volontariat et d'une répartition homogène dans les différentes catégories de position de franchissement mis en évidence expérimentalement. L'entretien s'est déroulé durant un nouveau cours d'EPS

de la classe consacré à l'activité saut en hauteur. L'élève interviewé est extrait du groupe pour la durée de l'entretien qui a lieu dans une salle adjacente au lieu de pratique. Malgré une semaine de décalage entre la situation qui produit les données extrinsèques de l'activité et l'entretien, nous pouvons estimer limiter le découplage entre l'entretien et la pratique pouvant générer des phénomènes d'oubli ou de reconstruction artificielle du discours par ce dispositif. 13 entretiens sur 15 se sont révélés exploitables.

L'entretien est dirigé en utilisant comme support la rediffusion des sauts effectués la semaine précédente. La vidéo-appui présente le saut en "caméra au poing" en suivant l'élève de son arrivée sur la zone de départ de sa course d'élan jusqu'à la réception sur le tapis et la sortie du sautoir. Le plan de plain pied ou plan moyen cinématographique a été utilisé dans la mesure où il permet de concentrer l'attention du spectateur sur le personnage, sur "le langage corporel et les attitudes du personnage" (Tumminello, 2007). La trace de l'activité équivaut à une présentation en point de vue en "3ème personne" (Rix & Biache, 2004), mais elle nous semble à même de remettre l'élève en situation de commentaire sur sa propre action, c'est-à-dire de projeter ses connaissances dans l'activité d'analyse portant sur sa propre prestation, ce qui assure un passage au point de vue "en 1ère personne". La grille de lecture utilisée par l'élève pour commenter sa propre action est, selon nous, établie sur les connaissances mobilisables par l'élève. Il peut les projeter dans l'objet analysé, ses propres sauts, à condition de ne pas le placer dans une posture qui pourrait le rapprocher d'une situation scolaire d'évaluation de connaissances dans laquelle le risque de dérive se situe dans la réitération des consignes extérieures. Pour se faire, la méthodologie de conduite d'entretien est inspirée de celles proposées par Faingold (2001) et Mouchet (2003) et vise à explorer les moments qui semblent importants au sujet dans son action : "le choix du moment par le sujet lui-même est un élément décisif : ce choix est porteur d'un sens dont le sujet détient seul la clé" (Faingold, 2001, p. 40). Ces moments identifiés comme importants par l'acteur servent de dynamique à l'entretien. La description du contenu de ces moments permet l'identification des actions s'y déroulant et des parties du corps en jeu. Durant l'entretien, par les relances, l'élève est sollicité pour comparer les sauts entre eux, et énoncer les principes qui lui semblent être mis en jeu. Ce dernier point permet de mettre à jour les règles de l'action efficace et les inférences qui prévalent à partir de ce qui est signifiant à l'élève en termes d'adaptation du saut au contexte situationnel. En fonction des moments identifiés par le sujet et à la demande de l'interviewé, la vidéo est rediffusée à vitesse réelle, à vitesse de lecture ralentie ou en lecture image

par image, ou reprise en arrière. Aucune correspondance temporelle entre la vidéo et le déroulement de l'entretien n'a pu être notée du fait du défilement de la vidéo à la demande de l'interviewé. Ceci afin de ne pas alourdir l'entretien et lui donner un déroulement moins "pointilleux" plus propice à l'expression des sujets. Seules quelques références à des images précises ont pu être relevées lorsque des éléments du discours situaient une image précise.

Par convention :

XX est l'élève interviewé - Chaque sujet est identifié par une combinaison de deux ou trois lettres spécifiques.

B est le chercheur interviewer.

XX014 est le numéro de réplique - réplique n° 14 de l'entretien réalisé avec XX. Lorsque plusieurs unités sont extraites de cette réplique, les compléments sont indiqués par XX014,n.

(inaudible) indique une impossibilité de retranscrire avec certitude. [Geste] décrit les comportements non-verbaux de l'interviewé.

6. 1 . 3. Mo d e d e c odi fi ca ti on d e s do n n é es d ' en t r eti en

Parmi les différentes méthodes d'analyse de contenu, nous nous inspirerons de celle proposée par Bardin (1993) qui envisage le découpage du texte de l'entretien en unités de codage et en catégorisation de ces dernières pour en fournir une représentation simplifiée. Cette représentation sera ensuite mise à l'épreuve de la recherche de régularités afin de déterminer d'éventuelles formes fortes du discours, puis comparer à la représentation graphique du mode de franchissement produite par l'analyse de l'acte de saut. L'objet de cette comparaison est de faire apparaître en recoupant données intrinsèques et extrinsèques, les relations entre action manifeste et discours sur l'action qui permettrait d'attester l'hypothèse d' "adaptations intentionnelles" mise en jeu par l'action (Récopé, 2002). L'ensemble des entretiens et leur codification est présenté en annexe I.

a) L e m om en t-c l é d u s au t év oq u é

Le saut en hauteur a été découpé en 6 moments-clés que la modélisation experte a établis. Les unités signifiantes du discours ont été découpées et codifiées en mentionnant leur appartenance à ces moments-clés. L'enjeu est de déterminer dans la grille de lecture et d'analyse de sa prestation, la chronologie interne du saut, les temps et moments dans lesquels il semble à l'élève que son saut se joue. On peut comparer ces moments aux "fenêtres attentionnelles" de Gouju (2002) ou à la référence au "chrono" de l'action (Vermersch, 2003). Ils sont établis sur des moments possibles de focalisation attentionnelle dans la construction du saut, constitutifs de la logique temporelle de l'action épistémique. Par leurs présences dans le discours, leurs localisations et leurs contenus sont, selon nous, caractéristiques des orientations poursuivies par les actions produites en situation. L'ensemble des ces moments est présenté chronologiquement ci-après dans un déroulement générique du saut :