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Il s'agit, durant ce chapitre de mettre en évidence la structure conceptuelle de la situation de saut en hauteur. Le concept de structure conceptuelle est défini par Pastré (2004) comme "le noyau conceptuel qu'il faut prendre en compte pour que l'action soit pertinente et efficace" (p. 23). Ce concept est porteur d'une dimension pragmatique et n'est pas à considérer dans son acception prescrite pouvant, par exemple, définir le contenu d'apprentissage de la situation mais dans le sens de concept-en-acte tel qu'il est défini par Vergnaud (1994). Il entretient une différence avec le concept de règles d'action en interrogeant les fonctions de l'activité au sens où Adnet & Deleplace (1994) les envisagent, de manière apriori, et sans confrontation effective avec le contexte situationnel alors que les règles d'action interrogent la structure de l'activité effective. Ce chapitre s'intéresse ainsi aux modes d'action élaborés historiquement et techniquement par les sauteurs ou leurs entraineurs ainsi qu'aux formalisations intermédiaires qui ont pu en être faites lors d'analyses expertes. Il s'intéresse aux composants observables ou formalisés de l'acte chez les sauteurs en hauteur tels que les analyses mécaniques et techniques ont pu les retranscrire. L'objet de recherche est ici présenté dans son versant épistémique, en dehors des circonstances locales du saut.

Nous évoquerons également au fil des descriptions les points communs et les points de divergence entre les modes de franchissement que représentent le saut en ciseau et le rouleau ventral, éléments qui pourraient construire un curriculum reposant sur une matrice par comparaison-extraction de principes et de règles d'action entre ces différents modes de franchissement tel qu'il se présenterait en prolongement des situations proposées par les documents d'accompagnement et mentionnant l'utilisation de deux techniques de saut.

5. 1.Description sommaire du saut en Fosbury-Flop

Le terme "Fosbury-Flop" est constitué par le nom de famille du sauteur en hauteur Dick Fosbury et par le substantif "flop" qui désigne trivialement "un peu fou" sans grand risque de réussite. Le terme "Fosbury-Flop" est une expression imagée pour qualifier dans ses premiers temps d'existence le nouveau style inventé par D. Fosbury

(Wagner, 2005). Pour alléger la lecture, ce terme sera remplacé par le terme simplifié et usuel "Fosbury". Une description sommaire du saut en Fosbury-Flop fait apparaître cinq phases principales liées les unes aux autres. :

a) LA COURSE D'ELAN, composée de deux parties, une première d'acquisition du déplacement horizontal, qui prend plutôt actuellement une forme rectiligne durant laquelle le sauteur prend de la vitesse par l'intermédiaire de foulées à la limite du bondissement, quatre à cinq foulées y sont consacrées avec un pré-élan éventuel, et une deuxième partie, curviligne, qui est constituée par quatre à six foulées de course véritable qui amène le sauteur près du sautoir. Différentes propositions existent quant au rayon de courbure (rayon de courbure décroissant, constant) pour cette portion curviligne de la course. La vitesse de déplacement croît dans les premières foulées pour atteindre des vitesses de 8 m/s chez les hommes et 7 m/s chez les femmes puis ne subit que peu de variations durant la phase finale d'élan (Dapena, 1988). Durant cette dernière phase curviligne, la fréquence des appuis a tendance à augmenter, l'amplitude des foulées restant identique.

b) L'APPEL. Par convention, nous considérerons cette phase par ses balises temporelles : le début et la fin de contact du pied d'appel au sol. Ce pied d'appel, dernier appui avant le décollage et la phase aérienne, est défini et normalement fixé pour chaque sauteur, il participe à la construction du saut, de ses rotations notamment : le pied d'appel est le pied gauche si le départ de la course d'élan a été effectué à droite du sautoir – le sauteur faisant face au sautoir – et inversement pour un départ coté gauche. Cette latéralisation du pied d'appel est due aux rotations à produire pour se mettre sur le dos et aux moyens disponibles pour le faire alors que le sauteur est en organisation de course. Un des points règlementaires essentiel est attaché à cette phase, le sauteur devant prendre appel obligatoirement sur un seul pied.

Cette phase est celle de l'organisation du décollage du sauteur. Les actions qui vont s'y dérouler vont nettement se distinguer de l'organisation corporelle de course. Le corps subit une action de grandissement liée à une recherche d'élévation qui se clôturera par une extension complète et une position du corps quasiment verticale. Un balancement des bras peut être également décrit. Ce balancement peut varier d'un sauteur à l'autre : soit le synchronisme de course est maintenu et l'épaule ou le bras opposé au pied d'appel, est monté en direction de la barre, soit, au contraire le synchronisme est rompu pour produire un lancer simultané des deux bras vers l'avant et le haut. Une montée de la jambe libre - jambe droite pour un pied d'appel gauche - jusqu'à former un angle de 90° par rapport au tronc est également visible durant cette

phase. Le terme "libre", par extension, sert à qualifier les membres autres que la jambe en contact avec le sol lors de l'appel.

c) Une phase intermédiaire entre appel et course d'élan est également distinguée par beaucoup d'auteurs, la phase de PREPARATION A L'APPEL. Elle se distingue de la course d'élan par l'adoption d'organisations d'actions particulières, différenciant le sauteur qui court et le sauteur qui va décoller. La partie curviligne de la course est considérée par certains auteurs comme faisant partie de cette phase (Laffaye, 2003). A l'approche de la phase d'appel, les actions segmentaires de lancer-élévation des bras sont déclenchées par un armé vers l'arrière, synchrone ou non. Le sauteur va également s'abaisser lors du passage sur les derniers appuis. Ces actions préparent l'élévation par un abaissement préalable du centre de gravité (Myers, 2003). Les phases d'appel et de préparation à l'appel jouent également un rôle important dans la création des rotations nécessaires au franchissement de la barre.

L'objectif de la conjugaison de ces deux premières phases, course d'élan et appel, est fondamental dans l'activité. Il s'agit de transformer une quantité de mouvement horizontal en un mouvement orienté vers l'espace au dessus de la barre. Ce secteur est souvent appelé "liaison course d'élan - impulsion".

d) LA PHASE AERIENNE. Cette phase débute dès que le pied d'appel du sauteur a quitté le sol après la phase d'appel et se termine lors de la reprise de contact du corps du sauteur avec le tapis de réception. Orienté vers le haut, le corps va suivre une trajectoire parabolique dont le point culminant devrait correspondre plus ou moins au droit de la barre. Innovation fondamentale apportée par Fosbury, le passage de la barre se fait en franchissement dorsal et tête la première, ce qui en fait une véritable activité "acrobatique" que certains éducateurs verront au début avec méfiance (Daniel, 1969). Pour plonger en se mettant sur le dos, un mouvement de torsion du corps - "twisting rotation" - amène le sauteur progressivement dos à la barre alors que le décollage s'est effectué trois-quarts face à celle-ci. Un mouvement de culbute – "somersaulting rotation" - anime également le corps, afin que les épaules descendent de l'autre coté de la barre, entraînant le corps à la suite. Le corps passe donc tête la première au dessus de la barre, et s'enroule ou s'engage simplement par-dessus, avant de reprendre contact avec le tapis de réception sur les épaules ou sur le dos en fonction de la quantité de rotation de culbute et la hauteur d'élévation. Pour le caractériser rapidement, la phase aérienne est un saut en plongeon dorsal. Au-dessus de la barre, les auteurs décrivent un mouvement de "cambré" ou "d'arqué", qui correspond à un mouvement d'hypertension du corps, auquel succède un mouvement inverse de flexion au niveau du bassin lors de l'esquive des jambes.

d) LA RECEPTION. Le corps reprend contact avec le sol, par l'intermédiaire du tapis de réception. L'importance de cette phase est moins soulignée dans les ouvrages récents. La mousse se charge d'annihiler les effets traumatisant de la chute. Le contact avec le tapis se fait avec les épaules et le haut du dos, avec parfois une roulade arrière.

Figure 7. Saut global en Fosbury-flop

Le lecteur pourra se reporter aux nombreux ouvrages descriptifs pour les détails du déroulement chronologique du saut [Raffin Peyloz (1976); Guézille (1981), Pradet & Hubiche (1998) notamment]. Et surtout à Laffaye (2003) pour la description en termes mécaniques.

5. 2.Actions du sauteur expert en Fosbury

5. 2 . 1. Ca ra ct é ri sa ti on g én é ral e d e l 'a cti vi té

Selon Billouin (1977), l'activité du sauteur en hauteur peut se définir ainsi :

"C'est une tentative d'élever au maximum son centre de gravité pour maintenir en dessous différentes parties de corps pendant le franchissement des points critiques"

Cette définition, malgré ses imperfections scientifiques juxtapose deux domaines d'activité auxquels il convient de s'intéresser pour comprendre les enjeux de la pratique sur le plan de la construction des actions. En suivant les propos de cet auteur, un premier domaine vise la recherche d'une "élévation au maximum de son

centre de gravité". Cette catégorie traduit la donnée la plus classique du saut en hauteur, celle de l'élévation du corps. Cette élévation ne se fait pas cependant dans l'espace absolu, elle se réfère à un obstacle à franchir – barre ou élastique de saut. Il conviendrait ainsi, selon nous, plutôt de parler "d'élévation au dessus de l'obstacle à franchir". La projection du corps à produire a rendu nécessaire la prise d'élan et donc la transformation de cet élan vers le haut. Le deuxième plan que Billouin (1977) évoque est celui du jeu afin "de maintenir en dessous différentes parties du corps pendant le franchissement des points critiques". Ce deuxième plan a trait aux actions gestuelles que le sauteur peut adopter en relation avec le franchissement de la barre. Nous allons revenir sur ces deux domaines afin de mettre à jour les actions produites et leurs enjeux à partir de la pratique experte. Nous pouvons représenter l'activité du sauteur au travers du schéma suivant, schéma qui a été élaboré dans le cadre d'un travail de recherche sur l'observation des comportements produits par des scolaires lors de la pratique du Fosbury-Flop (Kermoal, 1994). Le schéma permet également la traduction de ces domaines en intentions d'actions.

5. 2 . 2. El e v e r s on ce n t r e d e ma s s e pl u s h au t q u e l ' ob sta cl e à f ran ch i r

Ce domaine d'activité correspond à celui de la projection du corps sur une trajectoire optimale, c'est-à-dire passant par-dessus l'obstacle à franchir. Cet élément se retrouve dans la définition donnée par Arnaud, Gérard, Pradet, & Salamon (2000) : "Projeter son corps dans l'espace pour franchir une hauteur la plus grande possible et/ou gagner un défi" (p. 53). Bien que cette définition occulte les actions liées à la phase de franchissement elle-même, elle identifie l'activité du sauteur comme activité balistique d'auto-projection du corps sur une trajectoire passant par-dessus un obstacle matérialisé. Cette trajectoire est de forme parabolique et les observables relèvent classiquement de la balistique : vitesse, angle et hauteur d'envol et position de la flèche de trajectoire par rapport à l'obstacle à franchir (Durey, 1997). Il est à noter que ces observables ne sont que les conséquences d'actions opérées par le sauteur lors des phases précédentes (Dapena, 1988). Dès que le sauteur a quitté le sol, aucune intervention sur ces éléments ne peut être effectuée puisque tout appui ou contact extérieur au sauteur est interdit par le règlement athlétique. Les actions principales effectuées par le sauteur ont principalement lieu durant la phase d'appel et peuvent être thématisées dans les grands domaines d'action qui suivant :

a) L e g ran di s s em en t en ph a s e fin al e d' a ppe l

Lors de la phase finale d'appel, le sauteur cherche à "se grandir" en élevant le haut du corps. Chez le sauteur expert, Daireaux (1999) indique une élévation du centre de masse (CM) de 70 à 75 % par rapport à celle du sauteur debout. L'action de grandissement s'effectue plus ou moins en direction de la barre, ce qui influe, en fonction de la hauteur relative de celle-ci par rapport à la position du CM, sur l'angle et la hauteur d'envol. Le sauteur cherchera pour avoir un maximum d'efficacité à décoller avec un corps proche de la verticale à son pied d'appel. Dapena (1988) indique des valeurs angulaires situées entre 82 et 92° pour des sauteurs de rang mondial (valeur référence pour la verticale = 90° dans Dapena, 1988).

L'alignement du corps peut être modifié par les actions spécifiques du tronc du sauteur lorsque le sauteur agit pour générer les rotations lui permettant de "se mettre à plat" au dessus de la barre lors du franchissement. Les rotations de culbute ont en effet des facteurs de déclenchement liés aux mouvements relatifs du tronc par rapport à l'ensemble du corps lors de la phase d'appel. La coordination de ces mouvements de

rotation et de grandissement constitue un premier enjeu lors de la phase de décollage. Lorsque la mise à plat prévaudra, le sauteur se "couchera" trop vite sur la barre, diminuant l'angle de projection et par la même la hauteur de barre franchie. Lorsque le sauteur restera "debout" lors du décollage, l'angle de projection est maximum mais la position de franchissement allongée au dessus de la barre est mécaniquement difficile à obtenir et le sauteur a tendance à rester tronc vertical lors du franchissement de la barre. Ces comportements extrêmes étant à concevoir du point de vue spatial et temporel.

L'alignement du corps dans une orientation proche de la verticale s'inscrit également dans une 2ème contradiction pour le sauteur. Pour franchir la barre, le sauteur doit animer son corps d'une composante horizontale de déplacement afin de se donner suffisamment d'espace et de temps pour assurer le passage du corps au dessus de la barre. Dans le cas extrême où la trajectoire serait entièrement verticale, le sauteur ne pourrait pas assurer ce franchissement puisqu'il évoluerait immanquablement sur la barre ou ne pourrait jamais amener son corps à son niveau. La portée de la trajectoire pour les sauts de D. Fosbury est donnée à 3,40m par Pinon (1974) pour une flèche à 2,24m. Le sauteur va donc créer un mouvement l'amenant en direction du tapis tout en cherchant à le minimiser dans la mesure où, fort logiquement, plus il ira loin, moins il pourra aller haut. Cette donnée est constitutive du saut en Fosbury puisque le sauteur doit plonger au dessus de la barre et ainsi allonger en conséquence la portée de sa trajectoire pour assurer le passage successif des différentes parties du corps. Contrairement aux sauts reposant sur un franchissement simultané du corps, saut en ciseau ou formes diverses de rouleau, qui peuvent réduire ce temps de franchissement effectif du fait de cette simultanéité du passage. L'augmentation de la surface des zones de réception utilisées en compétition internationales pour pouvoir assurer la sécurité des sauteurs depuis la généralisation du Fosbury et l'accroissement des hauteurs franchies, est révélatrice de ce fait.

Nous retiendrons de ces éléments le rôle contradictoire que peut jouer le déplacement relatif du tronc du sauteur lors de la phase d'appel soit dans la production d'une position verticale qui organise les actions de décollage vers le haut, soit dans la création des rotations de mise à plat qui produisent la position aérienne plus ou moins allongée de franchissement.

b) L 'a cti on d e s br a s et d es m e mb r e s su pé ri eu r s

Plusieurs types d'interventions des bras lors de l'appel sont décrits par les auteurs qui en soulignent l'importance dans la construction mécanique du saut. Le mouvement des bras est un mouvement d'armé amenant un ou deux bras de l'arrière au moment de la reprise de contact du pied d'appel vers l'avant et le haut au moment du décollage. L'observation montre que certains sauteurs maintiennent le balancement alternatif des bras de la course – Running arm actions - d'autres le rompent au passage de l'antépénultième appui – Double arm action - pour les mobiliser simultanément par la suite. Cette démarcation a fait envisager un Fosbury de type vitesse pour le premier mode et de type force pour le deuxième à Raffin-Peyloz (1976). Selon cet auteur, la taille du sauteur aurait une influence sur le type de balancement de bras qu'il utilise, les grands sauteurs (taille supérieure à 1,90m) sautant plutôt avec un balancement simultané, contrairement aux "petits" sauteurs (taille inférieure à 1,90m) qui utiliseraient plutôt leur vitesse de course et un engagement du seul bras opposé au pied d'appel. Chez l'expert, la rupture de l'organisation de course occasionnée par l'action simultanée des deux bras - double arm action – peut générer une perte de vitesse horizontale mais est plus favorable à un gain de performance (Dapena, 1980a).

Les actions du haut du corps présentent deux constantes, un soulevé-blocage au moment du décollage et une accélération du mouvement durant la phase d'appel. Cette action permet un gain d'impulsion, en générant de la vitesse verticale :

"As the arms are accelerated upward during the takeoff phase, they exert by reaction a compressive force downward on the trunk. This force is transmitted through the takeoff leg to the ground. The increased downward vertical force exerted on the ground evokes by reaction in increased upward vertical force exerted by the ground on the athlete" (Dapena, 1988, p. 3313)

[Alors que les bras sont accélérés vers le haut durant la phase d'appel, ils exercent une force de compression sur le tronc vers le bas. Cette force est transmise par la jambe d'appel au sol. L'augmentation de la force verticale vers le bas exercée dans le sol provoque en réaction une augmentation de la force verticale exercée vers le haut par le sol sur l'athlète]. - Traduction personnelle.

La présence d'actions spécifiques situées au niveau des membres supérieurs peut générer une rupture de l'équilibre corporel de course à l'approche de la barre. Cette difficulté motrice qui vise à intégrer un ensemble d'actions spécifiques à une organisation invariante du comportement est l'un des objets que peut viser l'apprentissage en intégrant cette gestualité spécifique à l'organisation de course.

c) L e g en ou d e la ja mb e lib r e

Lors de la phase d'appel, le genou de la jambe libre situé initialement à l'arrière du corps lors de la pose du pied d'appel, va être pointé vers l'avant et le haut puis se bloquer au moment du décollage. Ce mouvement s'accompagne d'une rotation de la cuisse vers l'intérieur du virage :

"Ensuite, le sauteur effectue l'impulsion en conservant la coordination des membres avec pour but de lancer la jambe libre fléchie vers l'intérieur de la course d'élan. Ceci a pour résultat d'amener le sauteur dans une position telle que jambe d'appel et tronc sont dans le prolongement l'un de l'autre, suivant une ligne verticale, les épaules presque perpendiculaires à la barre. La jambe libre est fléchie et située dans une direction presque parallèle à la barre." (Keller, 1980, p. 52)

La contribution du genou libre à l'élévation est importante, Luthanen & Komi (1978) évaluent son rôle à hauteur de 56% de la vitesse de décollage. Mais cette modalité de mobilisation gestuelle du genou est également questionnée, le débutant aurait tendance à envoyer le genou sans bloquer son mouvement lors de l'appel alors que