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L'acte de saut en hauteur produit par l'élève lorsque la barre lui pose un problème de franchissement est inscrit dans une construction pragmatique, la construction motrice personnelle, structurée par la confrontation entre la nature perçue du franchissement à produire et les propres actions mobilisables par l'élève dans la situation.

Plusieurs points nous semblent devoir être soulignés avant d'aller plus en avant : a) Un e r é f é r en c iati o n à d e s sa v oi r s p rat iqu es e xp e rt s

qu e sti on n é e p a r l ' ac tion sin gu l i è r e

Le domaine disciplinaire sur lequel porte la recherche ne peut réduire le questionnement des constituants de l’expérience scolaire des élèves à la seule fonction d'application de savoirs externes ni à celui d’une pragmatisation de concepts. La discipline Education physique et sportive s'inscrit dans un environnement social dont

elle tire ses racines. La référenciation des contenus de l’enseignement à une ou des pratiques sociales est une particularité partagée avec d’autres disciplines ou matières scolaires. Le concept de Pratique sociale de référence développé par Martinand (1986) l’a saisi dans la construction d'une épistémologie scolaire. Cependant plus qu'aucune autre, Sarreméjane (2004a) rappelle que les dimensions pratique et savoir-faire constituent le fond culturel de transmission de la discipline Education physique et Sportive dans l’enseignement secondaire en France depuis 1945. Cette dimension ne peut manquer d'interpeller la méthodologie sur laquelle notre recherche se bâtit. Au travers du questionnement des curricula officiel et matérialisé (Crahay, Audigier & Dolz, 2006), il s'est agi de déterminer la nature composite des savoirs en jeu dans les situations d'enseignement athlétiques. Le versant actuel athlétique du curriculum dans l'enseignement secondaire organise une constante articulation entre savoirs pratiques et savoirs objectivés autour et à partir de la pratique que ce soit par emboitement au niveau du collège ou par systématique sollicitation au lycée. Ces éléments orientent notre regard porté sur l'expérience scolaire vers les relations qu'entretiennent action et connaissances développées et mobilisées par l'élève pour agir en même temps qu'ils l'éloignent d'outils méthodologiques qui ne visent qu'à saisir cette activité que dans une juxtaposition de moments expérientiels durant lesquels l'autoadaptation et l'improvisation tiendraient pour visées éducatives.

Ce premier point envisage le questionnement en termes de domaines de savoirs en jeu dans le processus de transmission. C'est la motivation qui nous a porté pour nous intéresser aux curricula officiel et matérialisé puis aux modes épistémiques d'organisation de l'activité motrice du sauteur en hauteur à partir, entre autres, de travaux kinésiologiques de Dapena sur le saut en hauteur en Fosbury et aux descriptions techniques ou "grises" des façons de faire utilisées par les sauteurs performants et experts. L'analyse extrinsèque qui en ressort, permet d'appréhender les dimensions fondatrices de l'acte de saut en hauteur à partir des déterminants de son évolution historique et technique. La conjonction de ces deux parties du cadre théorique est finalisée par une visée proche de la problématique développée par Pastré (2005a) lorsqu'il interroge, sur le registre épistémique, les traits que la situation de travail prend pour l'opérateur et que l'auteur nomme modélisation cognitive de la situation. Cependant alors que Pastré s'appuie sur une modélisation relativement stable de la situation de travail, nous lui préfèrerons une modélisation évolutive permettant d'intégrer les "itinéraires" des élèves dans leur construction de connaissances, permettant d'inscrire l'expérience scolaire dans un processus d'études alimenté par des visées curriculaires (Amade-Escot, 2007). A ces conditions, il nous

semble pouvoir maintenir l'exercice d'une "responsabilité" par rapport aux contenus à transmettre (Durey & Martinand, 1994) et affirmer la valence spécifique de l'outillage méthodologique emprunté à des domaines de recherche externes au champ de l'éducation.

b) L e s d é f o rm ati on s qu e la n é c es sit é d ' agi r fai t sub ir à l a situ ati on d ' en s e ign e men t

Les déformations que le sujet fait subir à la situation pour pouvoir agir sont une dimension incontournable de définition d'un cadre de recherche de type implémentation curriculaire. Cette voie reprend les apports produits par la psychologie du travail et la psychologie ergonomique - dont l'émergence peut être située dans les travaux fondateurs de Leplat (Leplat, 1985, 1997). Le concept de représentation fonctionnelle permet ainsi de faire la distinction entre tâche et activité en montrant les rôles joués par la représentation que le sujet se construit de la tâche, dans la planification et le guidage de l'action. Bouthier (1989, 1993) s'est intéressé à l'éclairage que ce concept apporte à l'enseignement des sports collectifs et des habiletés produites en milieu changeant. Marsenach (1991) l'intègre dans sa définition du déjà-là dans l'élève comme une des conditions de l'EPS "de demain" décrivant les perspectives d'évolution curriculaire pour cette discipline scolaire. Les avancées apportées par ces travaux, que nous reprenons, appuient l'idée d'une impossible réduction de la situation d'enseignement à la seule dimension prescrite au même titre que l'activité d'un opérateur ne peut s'identifier à l'usage "officiel" dans la situation de travail.

Traditionnellement, la situation est considérée comme le versant visible de l'enseignement et la traduction en faits des éléments curriculaires locaux, définissant ainsi le curriculum réel ou enseigné. La situation s'y installe avec un statut d'injonction de transformation - L'expression est reprise de Rochex (1995) lorsqu'il envisage l'Ecole comme le lieu où l'élève découvre la nécessaire mais concurrente différenciation entre le milieu familial et le milieu scolaire, entre les pratiques familières et les pratiques et théories dont l'Ecole lui propose l'appropriation. Un statut sur lequel les travaux de didactiques des disciplines scientifiques puis de manière générale, l'ensemble des disciplines scolaires, vont revenir en s'attachant à démontrer les rôles du "déjà-là" présent chez l'élève au moment où il agit dans la situation. Lorsque le corps de l'élève est en jeu dans une situation de production de performance, ce "déjà-là" établit un rapport au monde sur une base pragmatique et

d'efficacité locale. C'est en ce sens que le cadre théorique s'est attaché au concept de règle d'action, pour établir la structure mentale sur laquelle l'action efficace repose et qui est mise en jeu durant la situation. Il a montré la possible cohérence de cette construction mais également son rôle dans la mobilisation des actions rendues disponibles pour agir, générant un espace allant d'un ensemble d' "ouverts", actions possibles ou potentiellement utilisables à un ensemble de "fermés", actions dont l'éloignement par rapport aux règles d'action mobilisées rend délicat l'usage. Nous avons utilisé le terme de licité pour traduire le statut de cet usage par rapport au cadre référentiel mobilisé en contexte. C'est dans cet espace d'action que les savoirs curriculaires viennent tenter de s'implanter, dans un espace qui se contraint graduellement du fait de la montée de la barre et de la nécessité d'utiliser des actions licites par rapport au mode opératoire efficace.

c) L e s vi s é e s cu r ri c u lai r es : u n e t ran s f o rm ati on m ot ri c e du m od e sin gu l i e r d e r el ati on s d e l ' él è v e av e c l e c on t e xt e sit u ati on n e l Nous avons souligné l'apport des théories du contrôle moteur dans l'adaptation des procédures d'apprentissage utilisées en EPS. Le conflit entre les approches cognitivistes et les approches dynamiques a participé au renouvellement des connaissances sur l'apprentissage et l'enseignement dans le champ des STAPS en mettant en question le tout cognitif programmant l'acte moteur dans des conditions temporelles qui empêchent parfois son déroulement efficace. Si nous pouvons maintenant concevoir qu'une large partie de la réalisation de l'acte moteur se déroule sans intervention consciente, la question de la transformation du mode de relation que le sujet établit avec son environnement relève, selon nous d'un horizon théorique autre. Avec Adnet & Deleplace (1994), il nous semble qu'une transformation profonde de l'organisation de l'acte de saut telle qu'elle est en jeu lors du passage d'un saut où la barre est présente visuellement à un franchissement dorsal où elle disparaît tout ou partie, ne peut se concevoir sans modification de la logique opératoire du sujet et de la mise en œuvre des fonctions concourantes qui constituent l'activité de franchissement d'obstacle. Ainsi, une grande partie des transformations motrices identifiables dans les contenus d'enseignement ne s'attache pas seulement aux procédures utilisées mais aux conditions subjectives de mobilisation de ces procédures. Ces éléments théoriques permettent de réimplanter le registre de fonctionnement des savoirs constituants les visées disciplinaires contenues dans le curriculum EPS, dans la définition de notre objet de recherche.

d) O rgan is ati on m ét h od ol og iqu e d e la r e ch e rc h e en m od é li sa tion Nous nous intéresserons ensuite aux choix méthodologiques permettant d’objectiver les constituants opératoires et cognitifs des constructions motrices personnelles élaborées par les élèves en situation de pratique scolaire du saut en hauteur.

Dans la partie expérimentale, la recherche en modélisation articule deux méthodologies d'analyse de l'activité humaine :

• La première interroge les logiques opératoires des élèves. Elle vise l'accès à la "grille" de décodage que les élèves utilisent pour analyser leur propre prestation de saut ou celles effectuées par d'autres élèves. Le cadre théorique étant profondément inscrit dans une théorie d'action définie comme comportement dirigé vers un but, l'analyse des logiques opératoires porte sur la partie cognitive du raisonnement tenu par le sujet pour agir et réguler son action au cours de son activité. La méthodologie utilisée a fait appel à la verbalisation de commentaires que l'élève porte son saut lorsqu'il doit le commenter à un interlocuteur, le chercheur à partir d'une trace vidéo enregistrée des sauts effectués par l'élève. La trace vidéo a été rendue plus explicite à l'analyse commentée que les sauts réels par des ralentis et des arrêts sur image à la demande. L'entretien sollicite le registre du discours sur l'action adressé à un interlocuteur. Le cadre scolaire de la recherche aura à nouveau des conséquences qui seront évoquées ci-après.

• la deuxième s'intéresse à l'analyse du saut en tant que production motrice. Le déroulement gestuel, les mouvements qui animent le corps, caractérisent les registres d'engagement (ou d'absence d'engagement) que le sauteur produit face aux contraintes de la situation. Cette phase d'analyse vise à caractériser les modes corporels utilisés par les élèves. Leur objectivation rend nécessaire l'accès permanent au déroulement spatial et temporel des actions motrices produites par le sauteur. Cet accès aux données du saut a été mené au moyen d'une reconstruction en 3 dimensions (3D) de chacun des trois sauts effectués par les 25 élèves constituant la population expérimentale. L'observation qui en résulte porte sur les composantes cinétiques du déplacement du corps et de ses segments signifiants pour une analyse d'une activité scolaire de saut en hauteur. Aucune donnée de type dynamique (force, moment cinétique, …) n'a été prélevée pour ne pas transformer la situation de pratique par un appareillage de type plate-forme de force et par la difficulté méthodologique que pose l'adaptation d'un modèle anthropométrique de type Winter (1979) à une population préadolescente (classe

de 5ème de collège - âge moyen 12 - 13 ans). Deux parties de notre étude ont utilisé cette méthodologie de reconstruction en 3D d'une action sportive :