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La réduction du redoublement

SITUATION DES FACTEURS PÉDAGOGIQUES EN LIEN AVEC LA QUALITÉ

2.5. La réduction du redoublement

Le redoublement : mirage d’une école de qualité

La pratique du redoublement constitue une problématique centrale des politiques éducatives. Parce qu’elle repose sur une idée plutôt séduisante et convaincante au premier abord en faveur de la qualité de l’éducation, celle-ci soulève de nombreux débats au sein de la communauté éducative entre partisans et opposants aux opinions très divergentes. Les uns défendant une pratique qu’ils entrevoient comme un remède aux problèmes d’apprentissage des élèves les plus faibles ; les autres multipliant les arguments et les études pour montrer les travers d’une mesure aux effets indésirables qu’ils jugent peu efficace à l’heure de l’EPT et de l’échéance imminente de 2015.

De nombreuses études, au cours de la décennie 1990, se sont intéressées à la question du redoublement avec l’objectif de mieux comprendre les enjeux de cette pratique complexe sur le plan de la scolarisation, mais aussi, et de plus en plus souvent depuis la définition en 2000 des objectifs de l’EPT lors du Forum de Dakar, sur le plan de la qualité de l’Éducation.

Néanmoins, à l’époque, toutes les réflexions sur cette problématique à l’échelle africaine s’avéraient difficiles. En effet, si plusieurs études s’intéressant aux effets du redoublement ont été menées dans le monde, celles-ci ne concernent pas directement l’Afrique subsaharienne, induisant un réel manque d’informations sur le sujet, notamment du point de vue quantitatif, alors même que les taux de redoublement y atteignent «des records».

35 - http://lewebpedagogique.com/oif/category/le-monde-subsaharien/grammaire-lingala-francais/

Dans ces conditions, nombreux étaient les décideurs politiques, mais aussi une grande part de la communauté éducative, qui affichaient un certain désintérêt vis-à-vis de ces études, alors même que les interrogations sur le sujet grandissaient.

Toutefois, dès les années 1990, la CONFEMEN a fait de cette problématique éducative un axe de réflexion prioritaire permettant aux ministres des États et gouvernements membres de la CONFEMEN, lors de la 46e session ministérielle de Yaoundé (Cameroun) en 1994, de même qu’en 2000, lors de la 49e session ministérielle de Bamako (Mali), de souligner l’existence de taux de redoublement élevés dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Ainsi, la CONFEMEN s’est interrogée pour déterminer si le redoublement a des répercussions positives ou négatives sur les élèves, mais aussi sur le système éducatif dans son ensemble. Cette mesure a-t-elle une réelle efficacité pédagogique ? Cette pratique constitue-t-elle un levier efficace pour accroître l’accès à une éducation de qualité ? Autant de questions qui méritent réflexion et recherche.

En 2005, dans l’étude du PASEC sur «Le redoublement, mirage de l’école africaine ?», la CONFEMEN cherchait à savoir si le redoublement était un instrument au service de la lutte contre l’échec scolaire ou seulement une entrave à la scolarisation primaire universelle de qualité.

Un état des lieux du redoublement : une hétérogénéité des pratiques Si la question du redoublement est parfois envisagée à l’échelle mondiale, celle-ci est, par ailleurs, constituée de multiples facettes variant en fonction de la localisation géographique. En effet, un coup d’œil rapide aux statistiques suffit à faire ce constat : la question du redoublement touche très différemment les grands ensembles de pays.

Tableau 2.5.1 Le redoublement à l’école primaire dans le monde

Ensembles % de redoublants en 2007

Total M F

Monde 2,9 3.4 2,5

Pays développés 0,6 0,8 0,4

Pays en développement 5,0 6,1 3,9

Pays en transition 0,2 0,2 0,1

Afrique subsaharienne 13,0 14,1 11,8

Amérique du Nord et Europe occidentale 0,4 0,6 0,3

Amérique latine et Caraïbes 3,8 4,4 2,8

Asie centrale 0,2 -

-Asie du Sud et de l'Ouest 4,7 5,5 3,7

Etats arabes 3,2 3,4 2,9

Europe centrale et orientale 0,6 0,8 0,4

Source : UNESCO, Rapport mondial de suivi de l’Éducation pour tous 201036

La lecture du tableau ci-dessus, regroupant les pourcentages de redoublants à l’école primaire dans le monde en 2007, permet de constater que l’Afrique subsaharienne est caractérisée par une pratique du redoublement beaucoup plus soutenue que les autres aires géographiques avec près de 13% des enfants qui redoublent à l’école primaire, alors même que l’Asie centrale semble complètement occulter cette pratique avec seulement 0,2% de redoublants.

Par ailleurs, à l’échelle d’une aire géographique, de nombreuses disparités entre pays existent37.

Cette hétérogénéité des pratiques de redoublement, partagée entre deux tendances, est essentiellement due à l’existence d’approches éducatives, de cultures éducatives, extrêmement différentes38. Le PASEC affirme que cette situation se veut le reflet

36 - http://www.unesco.org/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/ED/GMR/pdf/gmr2010/gmr2010-annex-04-stat-tables-fr.pdf 37 - BERNARD, J. M., SIMON, O., VIANOU, K. (2005). Le redoublement : mirage de l’école africaine ? Dakar : PASEC-CONFEMEN.

38 - Ibid.

d’une certaine conception de l’éducation partagée entre deux grandes cultures éducatives, à savoir, anglophone et francophone, auxquelles les pratiques d’autres aires géographiques s’apparentent : la pratique des pays scandinaves se rapprochant plus de la vision anglophone, alors que l’aire lusophone rejoint celle de l’espace francophone. Alors que l’aire anglophone, et les pays scandinaves, pratiquent la promotion automatique, les aires francophone et lusophone (Europe, Afrique, Amérique) semblent généralement caractérisées par une pratique soutenue du redoublement.

Tableau 2.5.2 Pourcentage de redoublants en Afrique selon l’espace linguistique Afrique % de redoublants (2008

ou année la plus proche)

Pays anglophones 9,5

Pays francophones 16,7

Pays lusophones 11,9

Source : calcul fait à partir des données de l’ISU

La CONFEMEN reconnaît que la situation du redoublement en Afrique a largement été influencée par l’héritage colonial des systèmes éducatifs des pays colonisateurs. On parle de « legs colonial ». Le tableau ci-haut permet de mieux prendre conscience de cette réalité puisqu’il nous montre que dans les pays anglophones d’Afrique, le taux de redoublement est deux fois moins important que dans les pays francophones ou lusophones qui, à l’image de la France, de la Belgique et du Portugal s’inscrivent dans une pratique de redoublement beaucoup plus soutenue que le Royaume-Uni ou les pays scandinaves.

Le redoublement : une pratique aux effets controversés remettant en cause la qualité de l’éducation

Le PASEC affirme qu’une part importante de la communauté éducative et des familles considère le redoublement comme une pratique visant à donner une chance supplémentaire à l’élève d’acquérir les compétences requises pour poursuivre sa scolarité dans la classe supérieure et d’éviter de connaître un échec scolaire à long terme.

Il apparaît aussi que dans de nombreux cas, la décision d’un redoublement est motivée par le constat d’un manque de maturité chez un élève qui pourrait être compensé ou rattrapé par la répétition d’une classe.

Cependant, malgré les bonnes intentions d’une communauté éducative qui souhaite la réussite des élèves, de nombreuses études menées sur le redoublement, dont celles du PASEC, ont permis de mettre en évidence les effets négatifs de cette mesure sur le plan pédagogique. L’inefficacité de cette pratique a été longuement discutée lors de la réunion-débat sur les facteurs essentiels (Bujumbura, 2008).

Dans l’ensemble, les élèves qui redoublent ne progressent pas plus vite que s’ils avaient été promus39. Pire, un élève qui redouble progresse significativement moins qu’un élève aux caractéristiques comparables qui aurait poursuivi sa scolarité sans répéter une classe40. Ces élèves ont généralement des résultats supérieurs au cours de l’année reprise, mais ceux-ci ont tendance à baisser les années suivantes. Il s’agit donc là d’un effet à court terme très limité.

De plus, le redoublement est une pratique injuste parce que l’application d’une telle mesure varie selon les contextes. Diverses études montrent que des élèves, ayant redoublé dans une classe, n’auraient pas redoublé s’ils avaient été scolarisés dans une autre classe, voire dans un autre établissement. Cette pratique est d’autant plus injuste qu’elle touche plus particulièrement les enfants appartenant aux milieux les plus défavorisés.

Par ailleurs, le redoublement est une mesure coûteuse au niveau psychologique, car l’élève qui redouble risque d’être stigmatisé, voire pénalisé lors de son orientation scolaire41. Dans de nombreux cas de figure, cette pratique a un effet démobilisateur chez l’élève induisant souvent une perte de confiance en soi, un certain découragement et une incidence potentielle sur l’abandon scolaire42. Elle peut aussi s’accompagner d’une démobilisation parentale, néfaste pour la poursuite de la scolarisation des enfants.

39 - CONFEMEN (1999). Les facteurs de l’efficacité dans l’enseignement primaire : les résultats du PASEC sur neuf pays d’Afrique et de l’Océan Indien. Rapport de synthèse, Dakar : PASEC-CONFEMEN.

40 - HOLMES & MATTHEWS (1984) et JACKSON (1975), référence tirée du rapport pour le Haut conseil de l’évaluation de l’École ; page 17.

41 - DURU-BELLAT, JAROUSSE & MINGAT (1992). Référence tirée du rapport pour le Haut conseil de l’évaluation de l’Ecole ; page 24.

42 - BERNARD, J. M., SIMON, O., VIANOU, K. (2005). Le redoublement : mirage de l’école africaine ? Dakar : PASEC-CONFEMEN.

Le redoublement est également coûteux sur le plan financier puisqu’il induit des coûts liés au maintien d’un élève durant une année supplémentaire43.

Au delà de ces coûts, le redoublement réduit l’accès à l’éducation. Dans un contexte où les places sont limitées, l’élève redoublant occupe une place dont aurait pu bénéficier un nouvel entrant. Il représente donc une réelle entrave à l’atteinte des objectifs de l’EPT.

Vers des solutions de remplacement

La CONFEMEN et ses pays membres soutiennent que diminuer les taux de redoublement apparaît alors comme un moyen efficace d’augmenter le nombre de places disponibles dans les écoles.

43 - CONFEMEN (2004). Stratégies de renforcement du financement et de la gestion en vue de l’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation/formation. Document de réflexion et d’orientation. Dakar : CONFEMEN, p.37

La restructuration des apprentissages en cycles pluriannuels en vue de la réduction des taux de redoublement

En 2003, Madagascar a restructuré les cinq années du primaire en trois cours : - le cours préparatoire de deux ans composé des deux premières années

d’étude (les CP1 et CP2) ;

- le cours élémentaire constitué par la 3e année d’étude (le CE) ;

- le cours moyen de deux ans composé des 4e et 5e années d’étude (les CM1 et CM2).

Cette restructuration a été accompagnée de la suppression du redoublement à l’intérieur d’un même cours. Ce qui signifie que l’apprentissage continue pendant les deux années successives du cours et que les compétences exigibles pour passer au cours suivant ne sont évaluées qu’à l’issue des deux ans. Il ne devait donc y avoir possibilité de redoublement qu’en 2e année ou en 3e année ou en 5e année.

L’enseignant devait toutefois faire régulièrement des évaluations formatives et des remédiations pour combler les lacunes éventuelles des élèves tout au long des deux ans.

Le ministère ne s’est pas limité à cette réforme, mais a pris d’autres dispositions, à savoir :

- le recrutement de nouveaux enseignants ;

- la normalisation de l’affectation des enseignants dans les établissements ; - la distribution de manuels aux établissements aussi bien publics que privés ; - la formation des enseignants :

- en pédagogie de grand groupe ; - en gestion de classe multigrade ; - en évaluation des acquis des élèves ; - en l’utilisation des nouveaux manuels, etc.

- l’application par les enseignants de l’approche par les compétences ; - la construction de nouvelles salles de classe ;

- l’allègement des charges parentales par la distribution aux élèves de kits scolaires et la suppression des droits de scolarité.

L’application de ces différentes mesures a fait baisser le taux de redoublement, de 35,3% en 2002, le taux de redoublement à Madagascar est passé en 2003 à environ 19% ; ce qui est une baisse sensible de près de 50%.

Le redoublement doit être minimisé pour laisser la place à d’autres formes d’intervention. Ainsi, selon les contextes éducatifs, diverses solutions de remplacement à cette pratique du redoublement, dont les classes à effectifs réduits et le tutorat par des pairs ou des élèves plus âgés, pourraient être imaginées et mises en œuvre pour apporter une aide aux élèves en difficultés scolaires.

Cependant, puisque la persistance du redoublement est aussi due à la réticence de certains parents d’élèves, de certains enseignants et de certains directeurs d’école, il est essentiel qu’un réel effort de sensibilisation, notamment dans les structures de formation du corps éducatif, soit entrepris pour permettre au plus grand nombre de prendre conscience des effets d’une telle décision.

CHAPITRE 3