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Réducteurs de fonctions

CHAPITRE I : AMINO(ORGANO)BORANES – RAPPELS BIBLIOGRAPHIQUES

I. AMINO(ORGANO)BORANES, NATURE, SYNTHÈSE ET PROPRIÉTÉS

I.4. R EACTIVITE ET APPLICATIONS DES AMINOBORANES ET ANALOGUES B-H

I.4.2. Réducteurs de fonctions

I.4.2.1. Introduction

La transformation sélective de fonctions chimiques est l’une des problématiques clés en chimie organique. En effet, établir la stratégie de synthèse d’une molécule comportant plusieurs fonctions chimiques (alcool, ester, amine, amide, etc.) nécessite souvent des étapes de protection et déprotection. Pour limiter ces étapes, des méthodes de réduction sélectives ont été développées au fil des années.

L’un des premiers réducteurs décrits dans la littérature est le tétrahydruroborate de sodium (NaBH4),

sélectif des cétones.102 Les propriétés réductrices des « borohydrures » peuvent être aisément

modulées par l’ajout d’additifs, la modification de leurs structures ou les conditions expérimentales (Tableau 7).

100 J. Caserio Frederick, J. Cavallo, R. Wagner, J. Org. Chem. 1961, 26, 2157–2158. 101 N. Iwadate, M. Suginome, J. Organomet. Chem. 2009, 694, 1713–1717.

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Tableau 7 : Réductions sélectives de fonctions chimiques à partir du NaBH4 et de ses dérivés

Entrée Réducteur Cétone Aldéhyde Ester Amide Imine Nitro Nitrile Acide

1 NaBH4 X X X 2 NaBH4 + NiCl2 X X X X 3 NaBH3CN Xa Xa X 4 NaBH(OAc)3 X X X 5 LiBHEt3 X X X X X X X 6 BH3•THF X X X X X X X 7 NaBH4+BF3•OEt2 X X X X X X X 8 Li(tri-sec(Bu))BH X X

a réduction ayant lieu à pH = 4.

Par exemple, l’ajout de NiCl2 apermis d’augmenter le pouvoir réducteur du NaBH4 (Tableau 7, entrées

1 et 2) tandis que le remplacement des hydrures par des groupements cyano (Tableau 7, entrée 2) ou

acétoxy (Tableau 7, entrée 3) permet une modulation générale de ses propriétés réductrices. Le LiBHEt3

généralement connu sous son nom commercial « super-hydride ® », peut réduire les esters, les amides, les nitriles et les acides carbonyliques(Tableau 7, entrée 4). Enfin, l’augmentation de la taille des groupements alkyles (i.e. L-sélectride, Tableau 7, entrée 8) induit une sélectivité accrue lors de la réduction diastéréosélective de cétones.

Il faut cependant souligner des problématiques liées à la difficulté d’utilisation et de manipulation de certains de ces réactifs. Certains d’entre eux sont en effet instables (les alkylboranes), ou peu solubles

dans les solvants organiques aprotiques usuels (NaBH4).

En réponse à ces contraintes expérimentales, les amine-boranes ont alors été explorés en tant qu’agents réducteurs.102 Il est rapidement supputé que la réactivité des amine-boranes puisse être modulée au même titre que celle des « borohydrures ». Il s’agit cette fois de jouer sur la substitution de l’atome d’azote ainsi que sur la température de réaction. La réactivité des complexes

amine-dialkylboranes a d’abord été explorée par E. R. Burkhardt103 puis par H. C. Brown94 qui s’attachent à

démontrer l’ampleur des possibilités qu’offrent les amine-boranes en tant qu’agents de réduction stables et sélectifs. Ils ont ainsi montré que les cétones, aldéhydes, amides, imines et acides carboxyliques pouvaient être réduits à température ambiante dans le THF tandis que les esters et les nitriles nécessitent de travailler à reflux du THF. Les chlorures d’acide ne sont quant à eux pas affectés. Une nouvelle série impliquant des amine-trialkylboranes a ensuite été explorée dont le meilleur étant le N,N,N-tert-butylisopropylméthylamine-borane 34 (Figure 12).104 Ce dernier réduit les fonctions cétones, aldéhydes, imines et acides carboxyliques de manière similaire aux amine dialkyles-boranes mais possède l’avantage de ne pas réduire les amides à température ambiante. Ceci laisse envisager de potentielles applications en chimie peptidiques où ces fonctions y sont nombreuses.

103 A. M. Salunkhe, E. R. Burkhardt, Tetrahedron Lett. 1997, 38, 1519–1522.

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Figure 12 : Structures d’une sélection d’amine-trialkylboranes décrits par H.C. Brown.

I.4.2.2 Utilisation des aminoboranes et de leurs dérivés

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, la recherche sur les agents de réduction perdure. La plupart des aminoboranes monomériques seuls sont de mauvais agents de réduction tandis que les

aminoboranes polymériques s’avèrent être complètement inactifs.105 Cependant, lors d’une étude sur

l’utilisation du DIPOB comme agent de borylation, B. Singaram s’est aperçu que certaines fonctions telles que les nitriles des substrats étudiés étaient réduites. Une étude approfondie a donc été menée. Il a par la suite été démontré que lorsque l’ABL est préparé avec le TMSCl comme cela avait été fait lors des essais en borylation, la réduction de nitriles à température ambiante est obtenue (Schéma 27).

Il a été proposé que la présence de quantités catalytiques de LiBH4 provenant de l’étape de synthèse

de l’aminoborane soit responsable de cette réactivité singulière.106,107

Schéma 27 : Réduction de nitriles par le système BH2-N(i-Pr)2 / cat. LiBH4.

Des essais témoins ont été réalisés et les résultats présentés ci-après : 1) le LiBH4 seul ne permet pas, même lorsqu’utilisé en quantités stœchiométriques, de réduire les nitriles ; 2) aucune évidence

concernant la formation d’un éventuel produit de complexation entre le LiBH4 et le

diisopropylaminoborane 2 n’est apportée ; 3) Le BH2-N(i-Pr)2 2utilisé seul est inerte face à la réduction des nitriles, cétones et aldéhydes. Il a alors été envisagé qu’une activation des fonctions chimiques

105 L. Pasumansky, D. Haddenham, J. W. Clary, G. B. Fisher, C. T. Goralski, B. Singaram, J. Org. Chem. 2008, 73, 1898–1905. 106 R. C. Wade, J. Mol. Catal. 1983, 18, 273–297; T. Satoh, S. Suzuki, Y. Suzuki, Y. Miyaji, Z. Imai, Tetrahedron Lett. 1969, 10, 4555–4558; R. A. Egli, Helv. Chim. Acta 1970, 53, 47–53; J. M. Khurana, G. Kukreja, Synth. Commun. 2002, 32, 1265–1269. 107 R. F. Nystrom, W. G. Brown, J. Am. Chem. Soc. 1948, 70, 3738–3740; L. H. Amundsen, L. S. Nelson, J. Am. Chem. Soc. 1951, 73, 242–244; H. C. Brown, N. M. Yoon, J. Am. Chem. Soc. 1966, 88, 1464–1472; N. M. Yoon, H. C. Brown, J. Am. Chem. Soc. 1968, 90, 2927–2938; H. C. Brown, B. C. S. Rao, J. Am. Chem. Soc. 1960, 82, 681–686.

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grâce à l’ion Li+ puisse avoir lieu, permettant ensuite à l’aminoborane de réaliser la réduction.108 Ainsi, le système BH2-N(i-Pr)2 / cat. LiBH4 a permis d’obtenir diverses benzylamines provenant de la réduction des nitriles correspondants avec des conversions totales et d’excellents rendements. On constate que les groupements électroattracteurs du substrat augmentent l’efficacité de la réaction alors que les groupements stériquement encombrants autour de la fonction nitrile la réduisent considérablement. Ce système a ensuite été appliqué à la réduction d’autres fonctions telle que les esters (Schéma 28).

Schéma 28 : Réduction de benzoate de méthyle par le système BH2-N(i-Pr)2 / cat. LiBH4.

La réduction du benzoate 35 est complète après seulement 2 heures à 65°C et donne un excellent rendement isolé de 95%. Dans les mêmes conditions, les esters aliphatiques sont réduits quantitativement.

I.4.2.3 Réductions à l’aide des Aminoborohydrures de lithium (ABL)

Les aminoborohydrures de lithium sont des structures intermédiaires entre les amine-boranes (leurs précurseurs) et les aminoboranes (le produit de leur réaction avec MeI ou TMSCl par exemple). Ils sont préparés en solution dans le THF et peuvent être stockés sur de longues périodes sans perdre en réactivité tant qu’ils sont à l’abris de l’humidité. Ils peuvent également être stockés sans solvant sous

forme solide. Cet état physique n’est pas dangereux comme peut l’être le LiAlH4, le contact prolongé

avec l’humidité ambiante donnera simplement leur décomposition en amine-borane et non une réaction violente. Ils sont également non pyrophoriques ce qui fait d’eux de bons candidats pour une utilisation en tant qu’agents de réduction et une alternative au LiAlH4 plus sécuritaire.

Ce n’est qu’en 1992 que B. Singaram propose la méthode de synthèse des ABL aujourd’hui largement utilisée, et c’est aussi à ce moment-là qu’il décrit les premières évidences de leur capacité à réduire des fonctions chimiques.109 Les travaux préliminaires de H. C. Brown illustrent le fait que les ABL sont capables de réduire un large panel de fonctions chimiques telles que les aldéhydes, cétones, esters, lactones, chlorures anhydrides d’acides, les amides et azotures, les époxydes et oximes, les nitriles et enfin les halogénures d’alkyle.94 Seuls les acides carboxyliques et les liaisons multiples ne sont pas affectés par les ABL.

Parmi la grande variété d’ABL existant, le pyrrolidinoborohydrure de lithium (LiPyrrBH3) présente une

réactivité intéressante puisqu’en plus des fonctions précédemment listées, le LiPyrrBH3 réalise des réductions 1,2 de cétones, d’aldéhydes et d’esters α, β-insaturés avec une très grande sélectivité (>99 :1). 110 Un cas particulier de réductions d’amides reporté en 2006, illustre le potentiel qu’offre ces

108 S. Thomas, C. J. Collins, J. R. Cuzens, D. Spiciarich, C. T. Goralski, B. Singaram, J. Org. Chem. 2001, 66, 1999–2004. 109 G. B. Fisher, J. Harrison, J. C. Fuller, C. T. Goralski, B. Singaram, Tetrahedron Lett. 1992, 33, 4533–4536.

110 G. B. Fisher, J. C. Fuller, J. Harrison, S. G. Alvarez, E. R. Burkhardt, C. T. Goralski, B. Singaram, J. Org. Chem. 1994, 59, 6378–6385.

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agents.111 Il est en effet possible de réduire sélectivement un amide encombré en fonction de l’encombrement stérique de l’ABL utilisé (Schéma 29).

Schéma 29 : Réduction chimiosélective d’un amide tertiaire en fonction de l’ABL utilisé.

Le mécanisme proposé pour expliquer une telle sélectivité est présenté ci-après et implique un intermédiaire commun issu de la réduction initiale de l’amide (Schéma 30). Une première addition d’un hydrure sur l’amide conduit à l’alcoolate de bore 37. Deux chemins distincts sont alors possibles en

fonction de l’encombrement stérique de l’ABL utilisé : A) Si un ABL encombré est utilisé (e.g. LiH3

BNi-Pr2), alors la liaison carbone-oxygène est clivée, conduisant à l’iminium 38 qui est ensuite réduit par l’ABL pour donner la dialkylamine 39 correspondante. B) Si un ABL raisonnablement encombré est utilisé (e.g. LiPyrrBH3), l’azote est alors accessible et peut être complexé par le bore conduisant ainsi à un intermédiaire de type ammonium 40 qui constitue un bon groupe partant. Une rupture de la liaison bore-oxygène suivie de l’expulsion de diaminodihydruroborohydrure produit l’aldéhyde 41 correspondant. Celui-ci est finalement réduit par l’ABL pour donner l’alcool 42 attendu.

Schéma 30 : Mécanisme proposé pour la réduction sélective d’amides en fonction de l’encombrement de l’ABL.

Les encombrements stériques de l’amide aussi bien que de l’ABL semblent dicter le chemin réactionnel.

En comparaison, les réductions réalisées par le LiAlH4 forment de façon prédominante l’amine tandis

que le LiEt3BH permet l’obtention de l’alcool.

Les capacités réductrices de ces agents B-N (aminoboranes et dérivés) sont d’ores et déjà

prometteuses même si leur potentiel reste néanmoins encore trop peu étudié. L’apparition dans la

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littérature de nombreuses études de réductions toujours plus sélectives (régio-, chimio-, et stéréosélectives) est à prévoir.

I.4.3. Stockage de l’hydrogène