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Applications des dérivés ambiphiles

CHAPITRE IV : SYNTHÈSE DE LIGANDS PHOSPHINE-BORANES AMBIPHILES

I. D ÉRIVÉS A MBIPHILES

I.2. Applications des dérivés ambiphiles

I.2.1. En tant que co-catalyseurs, agents d’activation/piégeage

Un système est dit ambiphile lorsqu’il combine deux sites possédant des propriétés ou des capacités antagonistes pouvant être exploitées de façon coopérative. Ces systèmes bifonctionnels ont été décrits à la fin des années 1990. En s’inspirant des activités enzymatiques, M. Shibasaki a mis au point un système capable d’activer simultanément les sites nucléophiles et électrophiles mis en jeu lors de la

réaction de cyanosilylation des aldéhydes.248 Pour ce faire, un acide de Lewis (aluminium) et une base

de Lewis (oxyde de phosphine) ont été combinés sur le squelette 133 dérivé du BINOL. Des cyanhydrines chirales ont ainsi pu être synthétisées avec des rendements quasi quantitatifs et des excès énantiomériques compris entre 86 et 98% (Schéma 83).

Schéma 83 : Catalyse bifonctionnelle de la réaction de cyanosilylation des aldéhydes.

Cet exemple a ouvert la voie à de nombreux travaux similaires249 pour lesquels la participation des dérivés ambiphiles à la résolution des mécanismes réactionnels fut critique. Par exemple, Un intermédiaire supposé de type phosphazoture formé au cours de la réaction de Staudinger a ainsi pu être synthétisé et stabilisé par un dérivé ambiphile phosphine-borane pour en vérifier son implication au

sein du processus réactionnel (Schéma 84).250

248 Y. Hamashima, D. Sawada, M. Kanai, M. Shibasaki, J. Am. Chem. Soc. 1999, 121, 2641–2642; M. Shibasaki, M. Kanai, K. Funabashi, Chem. Commun. 2002, 1989–1999.

249 D. H. Paull, C. J. Abraham, M. T. Scerba, E. Alden-Danforth, T. Lectka, Acc. Chem. Res. 2008, 41, 655–663; M. Kanai, N. Kato, E. Ichikawa, M. Shibasaki, Synlett 2005, 1491-1508.

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Schéma 84 : Accès à un phosphazide stabilisé par un dérivé ambiphile phosphine-borane.

Cet intermédiaire permet d’obtenir un phosphazène par couplage d’une phosphine avec un azoture et élimination de diazote. Une telle stabilisation n’avait encore jamais pu être réalisée sur ce type de composés et aura permis une résolution complète du mécanisme réactionnel.

L’application des dérivés ambiphiles la plus développée reste à ce jour celle permettant de piéger de petites molécules non pas pour les identifier mais pour les rendre plus actives et plus attractives. Ainsi basée sur la réactivité primaire des acides de Lewis, les dérivés ambiphiles ont été utilisés pour le piégeage et l’activation d’une petite molécule à haute valeur ajoutée : le dihydrogène.

Outre les aspects environnementaux évoqués plus tôt dans ce manuscrit (I.4.3. Stockage de l’hydrogène en page 49) les réactions d’hydrogénation occupent une place majeure en synthèse organique. La liaison H-H étant très forte (104 kcal/mol) celle-ci nécessite une énergie conséquente pour être activée. Les systèmes capables d’activer et de transférer une molécule de dihydrogène ont longtemps été basés sur des systèmes métalliques. En 2006, D. W. Stephan a cependant mis au point une molécule organique ambiphile 134 capable de réaliser cette action de piégeage/activation sans avoir recours aux métaux.245 Pour cela, les deux composants d’une paire de Lewis frustrée [B(C6F5)2,

P(Mes)2] sont disposés en para d’un aromatique perfluoré et ne peuvent interagir l’un avec l’autre ni en

intra- ni en intermoléculaire. Ce système mis en présence d’une atmosphère de dihydrogène à

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Figure 38 : Activation d’une molécule de dihydrogène par un dérivé ambiphile.

Le phosphore accepte formellement un proton tandis que le bore accepte un hydrure. Chauffé au-delà de 100°C, le composé zwitterionique 135 ainsi obtenu est alors capable de libérer réversiblement une molécule de dihydrogène sans dégradation constatée. L’application d’un tel système a permis de développer le premier catalyseur non métallique actif en hydrogénation d’imines, nitriles et aziridines.251

I.2.2 En tant que ligands

L’étude des dérivés ambiphiles appliqués en tant que ligands représente un double avantage : celui de disposer de ligands bifonctionnels et le fait d’incorporer un acide de Lewis dans la sphère de coordination du métal. Ce dernier peut en effet avoir différentes fonctions, il peut tout d’abord jouer le rôle d’ancre, en s’associant à un substrat et en l’orientant de façon contrôlée vers le centre métallique (Figure 39). H. B. Kagan et E. N. Jacobsen ont simultanément proposé ce concept en synthétisant un ligand ambiphile boré dérivé de la DIOP en vue d’étudier l’efficacité de tels complexes en catalyse asymétrique.252

Figure 39 : Complexe de Bora-DIOP – Approche d’une amino-oléfine décrite par E. N. Jacobsen.

251 P. A. Chase, G. C. Welch, T. Jurca, D. W. Stephan, Angew. Chem. Int. Ed. Engl. 2007, 46, 8050–8053.

252 A. Börner, J. Ward, K. Kortus, H. B. Kagan, Tetrahedron: Asymmetry 1993, 4, 2219–2228; L. B. Fields, E. N. Jacobsen, Tetrahedron: Asymmetry 1993, 4, 2229–2240.

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L’efficacité du complexe de Rh pour l’hydrogénation asymétrique de la N--acétyldéhydrophénylalanine est légèrement inférieure à celle obtenue avec la DIOP bien que l’excès énantiomérique soit meilleur. Ce résultat n’est toutefois pas généralisable.

L’acide de Lewis peut aussi activer la liaison M-X d’un complexe. Ce mode d’action plus classique a été postulé par F.-G. Fontaine et D. Zargarian lors d’une description de la réactivité d’un catalyseur alliant

un complexe de nickel à un ligand ambiphile (Figure 40).253

Figure 40 : Catalyseur de Nickel comportant un ligand ambiphile.

Il est également possible d’exacerber la réactivité du métal lui-même. Cette démarche a été adoptée

par A. M. Echavarren et E. S. Smirnova en 2013 lors de la synthèse d’un complexe entre l’or et un

boronate ortho-diphénylphosphane.254 L’électrophilie de l’or a ainsi été exacerbée par la présence du

bore conduisant à une augmentation de l’activité catalytique pour les réactions de cyclotrimérisation.

Figure 41 : Catalyseur d’or comportant un ligand ambiphile.

On peut enfin envisager que l’acide de Lewis agisse comme un ligand Z σ-accepteur en se coordinnant directement au métal via une interaction M→B. A ce titre, la première interaction de ce type a été mise

en évidence structuralement par A.F. Hill en 1999.255 Trois modes de coordination spécifiques du ligand

ambiphile peuvent alors être envisagés et chacun d’entre eux a été étudié par S. Bontemps lors de ses travaux de thèse (Figure 42).256 Cette particularité des dérivés ambiphiles phosphine-borane suscite énormément d’intérêt car les ligands Z σ-accepteur sont rares.

253 F.-G. Fontaine, D. Zargarian, J. Am. Chem. Soc. 2004, 126, 8786–8794.

254 M. Livendahl, C. Goehry, F. Maseras, A. M. Echavarren, Chem. Commun. 2014, 50, 1533–1536. 255 A. F. Hill, G. R. Owen, A. J. P. White, D. J. Williams, Angew. Chemie Int. Ed. 1999, 38, 2759–2761.

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Figure 42 : Complexes phosphinoboranes illustrant les 3 modes de coordination possibles pour ligand ambiphile.

Ces exemples illustrent donc le potentiel des dérivés ambiphiles combinant l’action des très connus acides de Lewis associés à celle d’une base de Lewis au sein d’une seule et même molécule. Ce domaine, bien que prometteur est encore au stade exploratoire et nécessite une exemplification et une exploitation plus large tant du point de vue applications que synthétique.