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Récents exemples de liaisons hydrogène avec un lien C–F comme accepteur

Chapitre 1 : Introduction

1.3 Le fluor comme accepteur de liaisons hydrogène

1.3.3 Récents exemples de liaisons hydrogène avec un lien C–F comme accepteur

caractériser, la présentation de quelques exemples récents s’impose. Johnson et Lectka ont étudié le comportement de dérivés fluorés d’«éponges à protons» et ont remarqué des effets intéressants.83 Des trois bases synthétisées (1.1 à 1.3, Schéma 1.10), 1.3 est la plus basique,

contrairement à ce qui aurait été prévu en fonction de l’effet inductif électroattracteur du fluor. L’explication avancée pour cet effet est la suivante : lors de la protonation de 1.3, on forme le sel de l’acide conjugué 1.4, où une liaison hydrogène stabilisante est possible avec le fluor. Ce sel a d’ailleurs été pleinement caractérisé par spectroscopie IR (où un déplacement bathochrome de la bande d’élongation N–H a été mesurée et calculée théoriquement), par cristallographie des rayons X (où un angle N–H–F de 120,7° a été observé) et par RMN 19F (1hJ

HF = 43,7 Hz), entre autres. Toutes les données expérimentales

confirment donc que 1.4 est un composé stabilisé par une forte liaison hydrogène avec un fluor.

83 Scerba, M. T.; Leavitt, C. M.; Diener, M. E.; DeBlase, A. F.; Guasco, T. L.; Siegler, M. A.; Bair, N.;

Schéma 1.10. Ordre de basicité des amines synthétisées par Johnson et Lectka, ainsi que

l’explication pour la basicité supérieure de 1.3.

En 2012, Rosenberg a effectué une analyse computationnelle complète en phase gazeuse du dimère fluorométhane : eau (CH3F·H2O) et l’a comparé à d’autres dimères, dont certains

étaient bien connus pour comporter des liaisons hydrogène.84 L’énergie de la liaison entre

le fluorométhane et l’eau est de 17,6 kJ/mol, soit 81% de l’énergie du dimère H2O : H2O.

Comme il est évident que l’eau forme des oligomères par des liaisons hydrogène, Rosenberg conclut que le fluorométhane est aussi un accepteur de liaisons-H. En poussant l’analyse plus loin, on découvre que cette liaison est majoritairement électrostatique de nature, qu’au moins 3,3 kJ/mol de la stabilisation sont directement attribuables à une interaction O–H···F, que la liaison O–H s’allonge lors de la formation du dimère, que l’angle O–H–F est de 145,8° et qu’il y a un transfert de charge entre l’accepteur et le donneur de l’ordre de 40-50% de celui dans le dimère d’eau. Clairement, l’interaction qui lie le CH3F à l’eau est une liaison hydrogène.

La même année, Graton, Linclau et leurs collaborateurs ont étudié la capacité de DLH de plusieurs fluoroalcools conformationnellement bloqués et ont fait une découverte semblable à celle de Lectka.85 Parmi les molécules mesurées, la comparaison entre 1.5 et 1.6 est la

plus intéressante (Figure 1.3). L’ajout d’un fluor à la molécule 1.5, par son effet électronégatif, devrait conduire à un groupement OH qui serait meilleur DLH que l’alcool

84 Rosenberg, R. E. J. Phys. Chem. A 2012, 116, 10842.

85 Graton, J.; Wang, Z.; Brossard, A.-M.; Monteiro, D. G.; Le Questel, J.-Y.; Linclau, B. Angew. Chem. Int.

initial. Or, 1.5 est plus de 10 fois meilleur DLH que son équivalent fluoré 1.6! Par calculs théoriques, les auteurs ont sondé les populations relatives des différentes conformations possibles de 1.6 en solution et ont remarqué que dans 99,7% des cas, une liaison hydrogène intramoléculaire lie l’alcool et le fluor. Comme l’alcool de 1.6 est occupé à réaliser une liaison-H intramoléculaire, sa capacité de DLH mesurée intermoléculairement diminue, d’où la différence observée. Encore une fois, cet exemple démontre l’impact important que peut avoir un atome de fluor bien positionné sur la réactivité de molécules organiques.

Figure 1.3. Différence de capacité de DLH entre deux alcools et conformation majoritaire

du composé 1.6, calculée au niveau de théorie MPWB1K/6-31+G(d,p).

Plus récemment, Lectka et son groupe sont revenus à la charge avec la publication d’un composé « cage » où une très forte liaison hydrogène est géométriquement inévitable (Figure 1.4).86 L’analyse cristallographique et computationnelle de 1.7 révèle une distance

O–H···F très courte (1,58 Å) avec une directionalité impressionnante (∠O-H-F = 171°). Par RMN 1H, le signal du proton OH est déplacé vers les bas champs et une constante de

couplage 1hJ

HF de 68 Hz est mesurée. De plus, lorsque l’hydrogène de l’alcool est remplacé

par un deutérium, un déplacement isotopique de -0,37 ppm du signal 19F est observé. Cet

effet isotopique est dans le même ordre de grandeur que dans HF2-, qui est la liaison

hydrogène la plus stabilisante jamais caractérisée! Une excellente densité électronique entre le donneur et l’accepteur est aussi calculée et donc 1.7 possède l’une des plus fortes liaisons hydrogène découvertes avec un lien C–F.

Figure 1.4. Composé « cage » synthétisé par le groupe de Lectka.

Finalement, le groupe de Dalvit, Vulpetti et leur collaborateur ont tenté de quantifier la force d’une liaison hydrogène avec le fluor dans un système de titrage RMN.87 En utilisant

le 4-fluorophénol comme DLH en solution, les auteurs ont mesuré la variation de son déplacement chimique en RMN 19F lorsqu’ils ajoutaient différents accepteurs de liaisons

hydrogène, comme l’acétophénone ou des mono-, di ou trifluorures d’alkyle. Leurs résultats indiquent que le 1-fluoroheptane ou le fluorure de benzyle sont tous deux 25 fois de moins bons accepteurs que l’acétophénone, une molécule comportant un carbonyle très accepteur. Ainsi, les fluorures aliphatiques ne sont pas de si mauvais accepteurs qu’on pourrait le croire. Par calculs, les auteurs ont aussi déterminé que l’énergie de liaison entre le fluoroéthane et le méthanol est de 18,1 kJ/mol, tandis qu’elle est de 13,3 kJ/mol pour le difluoroéthane et de 10,0 kJ/mol pour le trifluoroéthane. L’angle O–H···F, pour ces trois dimères, passe de 161° à 145°, du composé monofluoré au trifluoré, et une bonne densité électronique a été trouvée au point critique de la liaison hydrogène, démontrant que ces interactions sont de véritables liaisons-H.