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Chapitre 2 : Permettre les réactions de substitution nucléophile des fluorures d’alkyles activés par la donation

2.7 Annexe 2: Discussion

La réaction des fluorures d’alkyle activés en présence d’eau, lors d’une analyse plus poussée, semble procéder par un mécanisme SN2. Plusieurs résultats expérimentaux

corroborent en effet les calculs DFT réalisés par le Pr Legault sur ce système. Les substrats que nous avons étudiés étant primaires, il est clair que la dissociation du groupe sortant typique d’un mécanisme SN1 est peu probable, tandis que pour des substrats activés comme

les motifs benzyliques cette possibilité ne peut pas être ignorée. Cependant, nous avons remarqué que les amines les plus nucléophiles étaient aussi celles qui donnaient de meilleures conversions dans des temps réactionnels identiques, signe que les nucléophiles participent à l’étape déterminante de la vitesse, ce qui n’est le cas que dans une réaction de second ordre. Dans le même ordre d’idée, lorsque de moins bons nucléophiles que les amines sont utilisés (voir Table 2.3, section 2.8.2.2), les conversions et rendements chutent. Finalement, nous n’avons jamais observé de produits de solvolyse (réaction avec l’isopropanol ou l’eau) dans nos conditions réactionnelles. Malgré que la solvolyse ne soit

pas exclusivement réalisée par SN1,88 l’observation de tels produits aurait fortement suggéré

la présence d’un élecrophile carbocationique très réactif comme intermédiaire réactionnel. Ainsi, il nous est possible d’établir le mécanisme des transformations décrites au présent chapitre comme étant bimoléculaire (SN2). Nous verrons dans les prochains chapitres des

exemples additionnels de preuves directes ou indirectes confirmant cette hypothèse.

Concernant l’expérience de compétition cinétique décrite à l’équation 2.1, il est intéressant de comparer le ratio avec un des seuls autres exemples qu’il nous a été possible de trouver. Dans une étude de 1948 détaillant la réactivité par alcoolyse aqueuse des fluorures de benzyle, Miller et Bernstein ont démontré que la présence d’acide catalysait la transformation des composés fluorés, alors qu’elle n’avait aucun impact sur la vitesse de réaction des autres halogénures benzyliques.112 Dès lors, les auteurs ont même proposé que

la catalyse acide se produit par la donation de liaisons hydrogène qui abaisse l’énergie

nécessaire pour briser le lien C–F! Notre étude, plus de 60 ans après, confirme tout

d’abord que les liaisons hydrogène sont de bonnes interactions pour augmenter la réactivité des fluorures benzyliques, mais démontre aussi que cette liaison hydrogène n’a pas à provenir d’une molécule acide, puisque la simple action de l’eau permet d’en débloquer le caractère activateur en conditions neutres. Miller et Berstein ont aussi mentionné dans leur article que la substitution du fluorure de benzyle par l’éthanolate de sodium dans l’éthanol est environ 50 fois moins rapide que celle du chlorure de benzyle dans des conditions similaires. C’est un résultat pratiquement identique que nous avons observé. Malgré que nous n’ayons pas pu obtenir de données cinétiques exactes dans notre système, nous avons aussi évalué que la réaction sans eau produit un kCl/kF ≈ 50, tandis que dans nos conditions

optimales, ce ratio est de kCl/kF = 5. Il apparait donc que nous n’étions pas les seuls à nous

intéresser à la réactivité intrigante des fluorures d’alkyle activés; nous avons cependant démontré la généralité de l’activation par liaisons-H pour ce genre de composés.

En dernier lieu pour la présente section, il faut discuter des résultats obtenus par les calculs DFT. Comme nous l’avons mentionné ci-haut, l’état de transition de moindre énergie pour la transformation en est un de type SN2, où le nucléophile et les molécules d’eau sont tous

présents autour du fluorure benzylique lors de l’étape déterminante. Mais l’étude par DFT ne s’est pas arrêtée à proposer un mécanisme pour la réaction. Le Pr Legault a aussi calculé les énergies d’interaction du fluorure benzylique avec l’eau au fur et à mesure de l’avancement de la réaction. Ainsi, la liaison hydrogène entre le fluorure neutre et la molécule d’eau stabilise le réactif par 4,6 kcal/mol (19,3 kJ/mol), tandis qu’à l’état de transition, cette même liaison-H stabilise par 11,1 kcal/mol (46,4 kJ/mol)! Puisque cette interaction devient encore plus forte lors de la libération du fluorure dans l’eau (100,4 kJ/mol),113 la stabilisation induite par les liaisons hydrogène est une force motrice qui

pousse la réaction vers la complétude. La distance et l’angle de contact entre le fluor et l’eau sont d’ailleurs dans les valeurs attendues pour une liaison hydrogène de ce type.114

Les calculs DFT ont aussi montré que l’état de transition de la réaction promue par l’eau est plus hâtif que celui sans eau (car les liaisons partielles C–F et C–N sont plus courtes et plus longues, respectivement). Puisque la diminution de l’énergie d’activation est combinée avec un état de transition plus hâtif, le postulat de Hammond nous indique que la réaction est exergonique. La différence schématisée entre les deux chemins réactionnels est illustrée à la Figure 2.4. Il faut aussi mentionner que, bien que l’interaction entre le fluor et l’eau soit le principal effet qui explique la diminution de l’énergie d’activation, une partie de cette stabilisation est aussi due à la distorsion moindre des réactifs. Similairement, la stabilisation proposée par cette liaison hydrogène à la fin de la réaction n’est probablement pas le seul facteur expliquant la stabilisation. La faible liaison hydrogène présente dans le substrat neutre, amplifiée au fil du progrès réactionnel, rend donc la transformation plus favorable à la fois cinétiquement et thermodynamiquement. C’était d’ailleurs notre hypothèse initiale que ces liaisons hydrogène diminueraient à la fois la quantité d’énergie nécessaire pour briser le lien C–F et l’instabilité du fluorure comme groupe partant.

113 Emsley, J. Chem. Soc. Rev. 1980, 9, 91.

Figure 2.4. Différence énergétique schématisée entre les deux chemins réactionnels pour la

réaction d’un fluorure benzylique.

En conclusion pour ce chapitre, nous avons démontré que les liaisons hydrogène permettent d’activer la substitution de fluorures d’alkyle activés en conditions neutres. Bien que certains chercheurs avaient avant nous postulé que la réaction des fluorures d’alkyle dans des conditions acides bénéficiait de ces interactions électrostatiques, nous avons démontré que l’acidité n’est pas aussi importante que la capacité de DLH, qui peut elle s’exprimer dans des conditions non-acides. Cette observation est un thème qui sera abordé de nouveau dans les prochains chapitres. Les calculs DFT et les résultats expérimentaux dans notre système pointent vers un mécanisme de type SN2, où le rôle de l’eau serait de stabiliser par

une liaison-H le fluorure qui est graduellement éjecté du substrat pendant la réaction. Cette stabilisation grandissante lorsque le fluorure adopte une charge partielle négative croissante, permet d’abaisser l’énergie d’activation lors de la réaction et l’énergie libre globale du système une fois la transformation complétée. Le système de solvants utilisé accélère particulièrement la réaction des composés fluorés par rapport aux autres halogènes, qui ne peuvent pas bénéficier de la donation de liaisons hydrogène au même type que le

fluor. Ceci permet d’entrevoir la possibilité de réactions orthogonales sur des molécules bifonctionnelles chlorées et fluorées, réaction que nous n’avons malheureusement pas été capables de réaliser sur un substrat modèle.

Puisque nos calculs DFT ont indiqué que trois molécules d’eau activaient davantage qu’une seule, à l’état de transition, nous avons ensuite voulu explorer la possibilité d’utiliser des réactifs comportant trois groupements OH positionnés stratégiquement. Les résultats obtenus dans cette veine sont le sujet du prochain chapitre.