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Annexe 1 : exploration de catalyseurs variés

Chapitre 4 : Explication mécanistique révisée pour l’amination des fluorures benzyliques promue par des

4.5 Annexe 1 : exploration de catalyseurs variés

Le désavantage principal de notre système pour l’activation des fluorures benzyliques par les alcools, diols, triols et autres réside dans la faible réactivité générale du système. En effet, 1,1 équivalents du triol sont nécessaires, dans un milieu réactionnel hyperconcentré,184 à 100 °C. Dans ces conditions, nous avons en plus démontré que la

réaction de fond (sans activation par un DLH) génère un bon pourcentage de la réactivité observée (35% de conversion, voir Table 4.3). Le manque de réactivité est apparu plus clair encore lors des tests préliminaires de catalyse, où des charges catalytiques élevées et/ou des temps réactionnels très longs étaient nécessaires pour observer un minimum de conversion attribuable aux catalyseurs.

Il existe cependant une grande quantité de catalyseurs DLHs qui sont utilisés dans différentes sphères de la chimie organique. Pour conclure le projet d’activation des fluorures benzyliques par les triols et autres molécules similaires, nous avons donc décidé d’envisager d’autres classes de DLHs dans notre système. Cette idée fut mise de l’avant par la professeure Brigitte Bibal, de l’Université de Bordeaux en France, dont le groupe est reconnu pour ses travaux en organocatalyse.185 Le Pr Bibal nous a proposé de tester, dans

notre réaction de substitution nucléophile de fluorures benzyliques, une gamme de catalyseurs synthétisés dans ses laboratoires. Si l’un de ces catalyseurs s’avérait plus

184 Walsh, P. J.; Li, H.; Anaya de Parrodi, C. Chem. Rev. 2007, 107, 2503.

185 Exemples récents : (a) Kadota, J.; Pavlovic, D.; Hirano, H.; Okada, A.; Agari, Y.; Bibal, B.; Deffieux, A.;

Peruch, F. RSC Advances 2014, 4, 14725. (b) Koeller, S.; Kadota, J.; Peruch, F.; Deffieux, A.; Pinaud, N.; Pianet, I.; Massip, S.; Léger, J.-M.; Desvergne, J.-P.; Bibal, B. Chem. Eur. J. 2010, 16, 4196. (c) Thomas, C.; Bibal, B. Green Chem. 2014, 16, 1687.

efficace que ceux que nous avions testés pour l’activation C–F, il nous serait à nouveau possible d’espérer réaliser ces réactions en présence d’une quantité catalytique d’activateur. La liste des catalyseurs envoyés est présentée à la Figure 4.4.

Quatre types de catalyseurs étaient à l’étude. D’abord, des thiourées, universellement reconnues comme d’excellents organocatalyseurs qui agissent par donation de liaisons hydrogène (4.3-4.5).186 Ensuite, des amides et sulfonamides (4.6-4.8)186a-b,187 et des sels de

tétraaminophosphonium (4.9-4.10).188 Finalement, quatre catalyseurs à charge cationique

dispersée ou non, de type éther couronne (4.11), ammonium (4.12), amidinium (4.13) ou pyridinium (4.14).189 Ces derniers ne sont pas des donneurs de liaisons hydrogènes,

puisqu’ils sont exempts d’hydrogènes électropositifs; cependant comme il fut mentionné dans l’introduction que les cations peuvent activer les liens C–F (section 1.2.2.1), leur étude pouvait donc s’avérer intéressante.

186 Revues : (a) Akiyama, T.; Itoh, J.; Fuchibe, K. Adv. Synth. Catal. 2006, 348, 999. (b) Doyle, A. G.;

Jacobsen, E. N. Chem. Rev. 2007, 107, 5713. (c) Sohtome, Y.; Nagasawa, K. Synlett 2010, 1. (d) Takemoto, Y. Chem. Pharma. Bull. 2010, 58, 593.

187 Exemples choisis : (a) Koeller, S.; Thomas, C.; Peruch, F.; Deffieux, A.; Massip, S.; Léger, J.-M.;

Desvergne, J.-P.; Milet, A.; Bibal, B. Chem. Eur. J. 2014, 20, 2849. (b) Saravanan, S.; Khan, N.-u. H.; Kureshy, R. I.; Abdi, S. H. R.; Bajaj, H. C. ACS Catal. 2013, 3, 2873. (c) Zhong, N.-j.; Liu, L.; Wang, D.; Chen, Y.-J. Chem. Commun. 2013, 49, 3697.

188 L’utilisation comme DLH des composés 4.9 et 4.10 n’a jamais été décrite dans la littérature. Cependant,

des tétraaminophosphoniums chiraux l’ont déjà été. Pour une revue, voir (a) Enders, D.; Nguyen, T. V. Org.

Biomol. Chem. 2012, 10, 5327. Autres exemples choisis : (b) Uraguchi, D.; Sakaki, S.; Ooi, T. J. Am. Chem. Soc. 2007, 129, 12392. (c) Uraguchi, D.; Ueki, Y.; Ooi, T. J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 14088. (d) Uraguchi,

D.; Nakashima, D.; Ooi, T. J. Am. Chem. Soc. 2009, 131, 7242.

189 Exemples choisis : (a) Thomas, C.; Milet, A.; Peruch, F.; Bibal, B. Polym. Chem. 2013, 4, 3491. (b)

Considérant la nature de ces catalyseurs, plusieurs étant des sels et tous ayant de hauts points de fusion, il semblait impossible de réaliser les expériences dans un système sans solvant comme celui du Table 4.6. C’est pourquoi nous avons considéré les systèmes en solution, présentés initialement au Table 3.1. À la lecture de nos précédents résultats, deux solvants s’offraient à nous : l’hexane et le dichlorométhane, les deux solvants ne présentant ni de réaction parasite activée par le solvant, ni d’inhibition des catalyseurs. Néanmoins, après plusieurs séries de tests sur le système modèle activé par le triol 1,1,1- tris(hydroxymethyl)propane, nous avons remarqué une certaine variabilité des réactions dans le CH2Cl2, tandis que les réactions dans l’hexane était parfaitement reproductibles.

Malgré le fait que les réactions sont réalisées dans des tubes scellés, la température réactionnelle de 60 °C, supérieure au point d’ébullition du CH2Cl2, pourrait expliquer

pourquoi les expériences réalisées dans ce solvant se comportaient de manière plus chaotique. Notre choix du solvant s’est donc arrêté sur l’hexane. Il apparaît important de mentionner que les quantités de catalyseurs envoyés ne nous permettaient parfois pas de faire plus qu’un seul essai de la réaction sur 0,16 mmol (30 mg) de fluorure benzylique. Ceci explique pourquoi nous n’avons pas pu tenter toutes les réactions en parallèle dans les deux solvants. Pour le triol-modèle et les catalyseurs 4.3-4.5, les expériences ont par contre été répétées pour vérifier la reproductibilité des résultats. Dans chaque cas, la variation entre deux essais n’excédait pas 5% de conversion. Les résultats obtenus dans le système choisi avec les catalyseurs 4.3-4.14 sont présentés au Tableau 4.7.

Tableau 4.7. Résultats obtenus à l’aide des catalyseurs du groupe de B. Bibal.

Entrée Catalyseur Conversion (%)a

1 17b 2 4.3 63c 3 4.4 24c 4 4.5 84c (62)d 5 4.6 4 6 4.7 6 7 4.8 0 8 4.9 0 9 4.10 0 10 4.11 22c 11 4.12 2 12 4.13 - 13 4.14 -

a Conversion mesurée par RMN 1H, en comparant les signaux benzyliques du substrat et du

produit. b Moyenne de trois expériences. c Moyenne de deux expériences. d Rendement

isolé après chromatographie sur gel de silice.

Ces résultats méritent une analyse plus poussée. En premier lieu, il est primordial de rappeler le résultat à l’aide du triol-modèle (entrée 1). La conversion de 17% obtenue, considérant l’erreur intrinsèque lors de la préparation des réactions et lors de l’analyse RMN, concorde parfaitement avec la valeur de 21% rapportée précédemment à l’entrée 8 du Table 3.1. C’est par rapport à cette conversion que les autres résultats seront analysés.

On remarque instantanément que les thiourées 4.3 et 4.5 sont remarquablement actives dans notre système (entrées 2 et 4), tandis que 4.4 offre une activation similaire à celle du triol. En effet, avec des conversions de l’ordre de 63% (4.3) et 84% (62% isolé, 4.5), ces molécules représentent une alternative extrêmement intéressante au triol. Les trois catalyseurs sont cependant réactifs dans les conditions réactionnelles et leur décomposition partielle est remarquée lors de l’analyse du spectre RMN 1H. Les thiourées ne sont pas de

bons électrophiles, mais rien n’empêche qu’une thiourée se coordonne par ses fonctions N– H sur le thiocarbonyle d’une autre thiourée.190 Ce phénomène, qui serait d’autant plus

favorable dans un milieu contenant une grande quantité (stœchiométrique) de thiourées en absence d’accepteurs de liaisons hydrogène meilleurs qu’un fluor, rendrait nécessairement la thiourée « activée » plus électrophile. Celle-ci pourrait donc probablement réagir avec la morpholine pour générer une nouvelle thiourée beaucoup plus riche en électrons et donc moins apte à donner des liaisons hydrogène. Sans surprise, la thiourée la plus électrophile (4.4) se décompose beaucoup plus rapidement que 4.5, elle-même moins stable que 4.3. La différence entre les deux derniers catalyseurs pourrait peut-être s’expliquer par le groupement alcool présent sur 4.5, qui agirait potentiellement comme nucléophile lors de la décomposition du catalyseur. Dans la catégorie des thiourées, il semble pertinent de mentionner que le catalyseur possédant le plus de fonctions DLH (4.5, avec 3 fonctions) est aussi le plus actif. Ceci semble ajouter de la force au mécanisme que nous avons proposé précédemment. Si l’on fait l’hypothèse que les deux groupements NH de la thiourée se coordonnent d’abord sur le fluorure, il est probable que la fonction hydroxyle additionnelle puisse occuper le troisième point de coordination du fluorure. Ceci permettrait donc d’atteindre la structure idéale de l’état de transition (voir Figure 4.3) à l’aide d’une seule molécule de catalyseur.

Les amides 4.6 et 4.8, ainsi que le sulfonamide 4.7 offrent tous des conversions médiocres ou nulles (entrées 5-7). On peut donc en conclure que ces motifs ne sont pas suffisamment DLH pour permettre la substitution des fluorures benzyliques. Dans les trois cas, le substrat

190 C’est d’ailleurs par ces liaisons hydrogène NH···S=C que la thiourée 4.4 forme son réseau cristallin.

est aisément récupéré par chromatographie, tandis que les catalyseurs sont dégradés partiellement dans le milieu réactionnel. Leur décomposition à l’aide de la morpholine est variable et plus marquée pour les amides, tandis que le sulfonamide semble être le catalyseur le plus robuste des trois. Malgré tout, seulement 66% du sulfonamide a pu être isolé à la fin de la réaction.

Les tétraaminophosphoniums 4.9 et 4.10 sont eux aussi inactifs dans notre système (entrées 8-9). Ceci ne peut pas être expliqué par plusieurs hypothèses distinctes. En effet, ces molécules étant très peu acides,191 elles ne peuvent pas avoir protoné la morpholine pour

former ainsi des phosphazènes démunis de leur capacité de DLH.192 Peut-être ces motifs ne

sont-ils tout simplement pas d’assez bons DLHs pour l’activation C–F, à l’instar des amides et sulfonamides qui sont pourtant utilisés eux aussi dans d’autres réactions comme organocatalyseurs. Somme toute, il apparaît prématuré de s’avancer davantage quant au manque de réactivité de ces deux catalyseurs.

Pour les catalyseurs chargés positivement, les résultats varient grandement en fonction de la classe de molécule. Le cation sodium piégé dans un éther couronne 4.11 produit une conversion de 22% (entrée 10), similaire à celle obtenue avec le triol. Considérant que 4.11 n’est pas un DLH, ce résultat était inattendu. Il faut cependant se rappeler que les cations font des interactions favorables avec les fluors organiques (section 1.2.2.1). En particulier, le cation sodium a démontré avoir le potentiel d’activer les liens C–F;175b notre résultat

avec 4.11, bien que préliminaire, semble ajouter du poids à cette découverte des groupes de Haufe et Shibata. Le dication 4.12, quant à lui, ne produit aucune conversion (entrée 11).

191 Le pK

a pour 4.10 est 28,35 (MeCN) [(a) Schwesinger, R.; Willaredt, J.; Schlemper, H.; Keller, M.;

Schmitt, D.; Fritz, H. Chem. Ber. 1994, 127, 2435. (b) Kaljurand, I.; Kütt, A.; Sooväli, L.; Rodima, T.; Mäemets, V.; Leito, I.; Koppel, I. A. J. Org. Chem. 2005, 70, 1019.] Cette valeur est extrapolée à 17,5 (H2O)

par calculs [Kaupmees, K.; Trummal, A.; Leito, I. Croat. Chem. Acta 2014, 87, 385.]

192 Le pK

Les résultats sont encore plus surprenants dans le cas de 4.13 et 4.14. Après le traitement aqueux de ces deux expériences, le spectre RMN 1H du brut réactionnel est exempt du

substrat fluoré ou du produit désiré! Comment se fait-il que ces deux molécules, habituellement récupérées aisément par notre protocole standard d’extraction, soient soudainement disparues? Si le substrat s’est décomposé en une molécule qui n’est pas l’amine benzylique désirée, c’est qu’il a réagi de façon à former un produit qui soit insoluble dans l’eau ou dans l’éther (les deux solvants lors de l’extraction). À l’époque où ont été réalisées ces expériences, nous avions déjà exploré la réactivité des fluorures benzyliques dans la réaction de Friedel-Crafts (Chapitre 5). Nous savions que l’un des produits de décomposition des fluorures benzyliques est le produit d’autopolymérisation par réaction de Friedel-Crafts. L’analyse plus poussée des spectres RMN 1H des bruts

réactionnels obtenus lors des réactions avec 4.13 et 4.14 nous a permis d’identifier un large singulet autour de 4,00 ppm, signal résiduel des oligomères solubles formés par la polymérisation du substrat. L’hypothèse la plus plausible pour expliquer les résultats étranges des entrées 12 et 13 est donc que les catalyseurs à charge cationique dispersée 4.13 et 4.14 provoquent l’ionisation complète des fluorures benzyliques pour former un cation benzylique et que celui-ci réagisse sur lui-même dans une réaction de polymérisation en chaîne. Comme nous n’avons pas pu récupérer le polymère en question et que ces résultats ont été obtenus lors d’une seule expérience avec chaque catalyseur, nous ne pouvons être absolument certains de cette analyse. Ces résultats préliminaires semblent cependant indiquer que les fluorures benzyliques ont une réactivité similaire en présence du HFIP (Chapitre 5) ou de 4.13 et 4.14.

Les résultats impressionnants obtenus avec les thiourées ouvrent la voie pour poursuivre ce projet et explorer davantage de combinaisons de catalyseurs. La collaboration que nous avons établie avec le groupe de Brigitte Bibal se continuera vraisemblablement, et une nouvelle gamme de catalyseurs (cette fois-ci majoritairement des thiourées) sera testée dans les conditions du Tableau 4.7, mais aussi dans des conditions réellement catalytiques. En optimisant la structure et la charge catalytique des thiourées, il est possible qu’un système viable pour l’activation catalytique des liens C–F des fluorures benzyliques par des

catalyseurs DLH soit enfin découvert. Considérant la nature beaucoup plus complexe des thiourées par rapport aux triols ou alcools que nous avons précédemment explorés, une réaction réellement catalytique serait une avancée majeure et démontrerait encore une fois la puissance des liaisons hydrogène pour l’activation douce et en conditions neutres des liens C–F.

En résumé, les calculs DFT réalisés par le Pr. Legault nous ont permis d’émettre l’hypothèse que trois groupements donneurs de liaisons hydrogène ne sont peut-être pas nécessaires sur une même molécule pour activer un lien C–F. L’étude structure-activité qui a suivi et qui a été décrite dans le présent chapitre a confirmé cette hypothèse et a permis d’élargir la gamme d’activateurs qui pourraient être utilisés pour la substitution de fluors organiques. Il est donc raisonnable d’imaginer utiliser des DLHs avec seulement deux forts groupes donneurs, chiraux ou non, pour réaliser des transformations plus complexes avec les composés organofluorés. Si les thiourées ne sont pas suffisamment stables dans les conditions réactionnelles qui nous intéressent, nous pourrons envisager d’autres classes d’organocatalyseurs DLHs. À titre d’exemple, les squaramides,193 benzimidazoles,194 P-

triamides et cyclophophazanes195 sont des motifs qui ont récemment reçu de l’attention

dans la littérature scientifique mais que nous n’avons pas étudiés.

Ayant complété notre étude sur l’activation de fluorures benzyliques à l’aide de triols et de molécules apparentées, nous sommes retournés à nos explications DFT initiales pour émettre une nouvelle hypothèse : si, à l’aide de trois molécules d’eau, une bonne stabilisation du fluorure sortant permet d’aider sa substitution, est-il possible d’accélérer la réaction si l’on utilise des DLHs qui soient plus forts que l’eau? Les alcools sont de plus faibles donneurs que l’eau, il nous restait donc à chercher des activateurs plus puissants, et

193 a) Storer, R. I.; Aciro, C.; Jones, L. H. Chem Soc. Rev. 2011, 40, 2330; b) Alemán, J.; Parra, A.; Jiang, H.;

Jorgensen, K. A. Chem. Eur. J. 2011, 17, 6890.

194 Nájera, C.; Yus, M. Tetrahedron Lett. 2015, 56, 2623.

à étudier leurs capacités pour l’activation C–F. Les surprenants résultats que nous avons obtenus dans cette optique sont le sujet du prochain chapitre.