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Lorsque, dix ans après la fin de la guerre, le critique français Henri Agel consacrera un ouvrage au cinéma de Vittorio De Sica, il décidera d’ouvrir sa réflexion par des mots empruntés à l’écrivain Carlo Coccioli : « Penser, pour nous Italiens, est un acte qui fatigue infiniment, car il est contraire à notre nature. Nous sommes faits de chair, de sang, de cœur »314. Peu de références pourraient mieux expliquer l’image que les Français se font des Italiens en regardant les films de Vittorio De Sica : les Transalpins sont sensuels et peu rationnels, ils aiment la poésie plus que la réflexion. Tous ces éléments fascinent les Français, car ils témoignent de qualités italiennes qui ont été oubliées à cause de la guerre.

Dans l’immédiat après-guerre, en même temps que Rome ville ouverte, Paisà, Le Bandit, d’autres films traitant de questions sociales contribuent à réhabiliter le peuple italien sur le plan international : c’est notamment le cas de Sciuscià de Vittorio De Sica, un film écrit grâce à la collaboration de l’écrivain Cesare Zavattini. En considérant le scénario, il est clair que Sciuscià aussi veut jouer sur les sentiments, en se concentrant sur les aspects les plus émouvants de l’existence. Comme dans le film précédent Les Enfants nous regardent (I bambini ci guardano, 1942), les héros du film, Giuseppe et Pasquale, sont des créatures innocentes, impliquées dans une affaire louche. Ici aussi, la possibilité d’une lecture politique mettant la situation internationale de l’ Italie à l’arrière-plan est évidente : il

312 Ibid.

313 Ibid. Il faut signaler que La Terre tremble de Visconti n’est distribué en France qu’en 1952.

314 AGEL, Henri, Vittorio De Sica, Paris, Éditions universitaires, 1955, p. 2 ; l’extrait cité par Agel est tiré du roman de COCCIOLI, Carlo, La piccola valle di Dio, Florence, Vallecchi, 1948.

y a une volonté claire de proposer un parcours de rédemption, l’histoire de deux âmes innocentes qui ont commis le mal sans être responsables d’une faute impardonnable. À l’instar de Rome ville ouverte et de Paisà,

Sciuscià est un plaidoyer en faveur de la nation italienne. Par ailleurs, le dossier de presse distribué lors de la sortie française du film met particulièrement l’accent sur les aspects moraux de l’œuvre : il souligne notamment que « l’œuvre de De Sica pose […] un grand problème : que fera-t-on de ces gosses dévoyés pour qu’ils puissent devenir des citoyens honnêtes ? La voie suivie aujourd’hui est-elle la bonne ? La prison ne contamine-t-elle pas les bons et ne renforce-t-contamine-t-elle pas les mauvais instincts des coupables, ne perd-t-elle pas définitivement tous ceux qui y entrent ? »315.

Quant à la réputation du nouveau cinéma italien, il faut souligner le rôle particulier joué par De Sica dans l’imposition d’une image alternative du néoréalisme ; c’est pourquoi il sera bon de commencer notre analyse par un article d’août 1947 où le poète et cinéaste Jean Cocteau fait l’éloge du néoréalisme en tant que cinéma jeune et libre. Dans les colonnes du journal progressiste Combat, Cocteau affirme qu’« en France nous avons le courage de nous exprimer dans un livre mais nous avons peur des réactions du public des salles de spectacle »316. Cocteau poursuit en faisant l’éloge de l’ouverture d’esprit des réalisateurs italiens : « Rossellini et De Sica – dit-il – n’ont pas honte de présenter des faits humains. Il y a eu le temps du cinéma américain, celui du cinéma soviétique, aujourd’hui l’état de grâce est en Italie, parce que les Italiens ont beaucoup souffert et que l’art se retrouve toujours dans la souffrance »317. Admirateur de la première heure de Rossellini et du cinéma italien de l’après-guerre, Cocteau saisit parfaitement la modernité du néoréalisme et fait preuve d’une clairvoyance surprenante, en préconisant notamment l’emploi des caméras 16 mm pour réaliser un cinéma plus personnel. Un aspect particulièrement intéressant de cet article concerne le fait que Cocteau souligne le côté altruiste de l’expérience néoréaliste ainsi que la

315 Dossier de presse français du film Sciuscià, rédigé par la Compagnie indépendante de Distribution de Films, 1947.

316 COCTEAU, Jean, « On devrait pouvoir faire des films comme on écrit des poèmes », entretien avec Jean Marabini, Combat, 21 août 1947, p. 2. Pour approfondir le thème des relations de Jean Cocteau avec l’Italie, nous recommandons notamment : ZEMIGNAN, Roberto, thèse de doctorat Jean Cocteau et l’Italie : regards cinématographiques croisés. Musique, musicologie et arts de la scène, Université Paul Valéry - Montpellier III, 2012.

317 Ibid.

compassion que suscitent les films du néoréalisme, un penchant typique du peuple transalpin que les cinéastes italiens interprètent parfaitement.

L’interview de Cocteau se situe à un moment crucial : si en novembre 1946, Rome ville ouverte et Paisà ont imposé le cinéma de Rossellini à Paris, il s’agit maintenant de savoir s’il existe ou non une véritable école réaliste en Italie. À cet égard, il est important de souligner que Cocteau se place idéalement à la tête d’une catégorie d’intellectuels qui conçoivent une idée de réalisme radicalement différente de celle prônée par les intellectuels communistes. Il convient de mentionner, à titre d’exemple, le texte que Cocteau écrit pour le premier numéro de la revue Ciné-Art. Selon le poète, il y faut surtout soutenir le « réalisme de l’irréel »318 ; c’est pourquoi « si on commet une faute de vraisemblance dans l’invraisemblable, on empêche la poésie de vivre et on trompe le public »319. À cet effet, au cours de l’année 1947 on voit surgir dans la presse française, une série d’articles visant à redéfinir la géographie de la production transalpine : la reprise de la distribution internationale prouve que le néoréalisme ne se limite pas au seul Rossellini, mais comprend d’autres auteurs. Grâce à l’arrivée d’autres films et à des reportages consacrés à l’essor du néoréalisme, on apprend que ce cinéma est caractérisé par une diversité de styles. Le style du reportage romancé de Rossellini n’est pas la seule tendance présente en Italie : comme l’explique Antonio Pietrangeli sur les pages de La Revue du cinéma, « si Rossellini met la vue au centre de sa poétique, dans le cinéma de De Sica le rôle central est joué par le cœur. [De Sica] a déjà mis au point son style, consistant en un cinéma psychologique et délicat, caractérisé par une intensité douloureuse »320.

À propos de cette complexification du cadre, un reportage de Léo Sauvage est également intéressant. Sauvage rend compte dans L’Écran français de sa « rencontre nocturne avec le cinéma

italien »321 : si l’auteur signale l’existence d’un groupe homogène et organisé de cinéastes (« Il y a une nouvelle école italienne, c’est sûr »322, écrit-il), il remarque tout de même la riche diversité qui caractérise ce courant en relevant une entente profonde entre les différentes tendances du néoréalisme. Le groupe des plus importants cinéastes italiens (nommé « groupe de Sora Cecilia »,

318 COCTEAU, Jean, « De Jean Cocteau avec tous ses Vœux », Ciné-Art, n°1, octobre 1946, p. 1.

319 Ibid.

320 PIETRANGELI, Antonio, « Panoramique sur le cinéma italien », La Revue du cinéma, n°13 mai 1948, pp.10-53. En mai 1948, La Revue du cinéma consacre un numéro spécial au cinéma italien ; cette sortie a le mérite d’approfondir la connaissance française du phénomène néoréaliste.

321 SAUVAGE, Léo, « Rencontre nocturne avec le cinéma italien », L’Écran français, n° 96, 29 avril 1947, p.

4.

322 Ibid.

La publicité de Sciuscià dans les colonnes du quotidien Ce Soir, 18 mars 1947.

du nom du restaurant où ils se rencontrent régulièrement) comprend Rossellini, De Sica et Aldo Vergano, tandis que Mario Soldati, Alberto Lattuada et Alessandro Blasetti « n’arrivent pas toujours à mettre leurs films, c’est-à-dire leurs producteurs, d’accord avec leurs idées »323. Mais l’enquête est encore plus détaillée : selon Sauvage, le nouvel esprit réaliste du cinéma italien influence d’autres cinéastes moins connus, tels que Giacomo Gentilomo et Renato Castellani.

Cet article est publié au printemps 1947 et témoigne du climat culturel qui entoure le cinéma italien, au moment où Sciuscià sort à Paris. Comme dans le cas de Rome ville ouverte, avant de sortir sur les écrans français, le film de Vittorio De Sica fait parler de lui grâce au succès qu’il connaît aux États-Unis. Le rôle de témoin que la critique française a déjà attribué aux œuvres de Rossellini peut aussi être appiqué à Sciuscià : à ce propos, il paraît important de mettre en relief la pensée de Cesare Zavattini, qui conçoit le cinéma en tant que langage universel. Le propos suivant témoigne de l’idée de cinéma soutenue par l’écrivain :

Aujourd’hui une maison détruite, c’est une maison détruite, l’odeur des morts n’a pas disparu, l’écho des derniers coups de canons arrive du Nord, en somme, l’étonnement et la peur sont entiers, il est presque possible de les étudier in vitro. Le cinéma doit tenter [de rendre] ces documents, il a les moyens spécifiques pour se déplacer de la sorte dans l’espace et le temps, pour recueillir, dans la prunelle du spectateur, le multiple et le divers, pourvu qu’il consente à abandonner les modes narratifs habituels, et que son langage s’adapte aux contenus324.

Comme dans le cas de Rossellini, la stupéfaction de la critique française face à Sciuscià est justifiée par une connaissance partielle du cinéma précédent de Vittorio De Sica. Si ce dernier n’est pas un inconnu total aux yeux de la critique française, c’est à cause de deux œuvres - Roses écarlates et

Mademoiselle Vendredi - qui l’ont fait classer en tant que réalisateur de comédies légères. Ainsi s’exprime Henri Magnan à ce propos :

Ne connaissant Vittorio De Sica que comme le metteur en scène et l’interprète de Roses écarlates et de Mademoiselle Vendredi, projetés en France durant la guerre, et qui constituaient d’amusantes comédies filmées, je n’espérais pas de l’aimable talent qu’elles révélaient une eau-forte aussi vigoureuse et belle et, joint à ce nouveau « réalisme européen » dont Lindtberg, Rossellini, René Clément et

323 Ibid.

324 ZAVATTINI, Cesare, « Italia 1944 », in Mino Argentieri, Valentina Fortichiari (dir.), Opere. Cinema. Diario

Rouquier sont les principaux tenants, un tel jaillissement lyrique où l’image prenne figure de symbole sans faconde ni préciosité325.

L’habituelle méfiance du critique du Monde à l’égard du néoréalisme semble se nuancer face au ton fabuleux de Sciuscià. Jean Florence s’en étonne également dans l’hebdomadaire Une Semaine dans le

Monde : il est assez clair que la puissance du réalisme lyrique de De Sica fait rapidement évoluer la réputation du cinéma italien et confirme que le cinéma transalpin ne se limite pas à l’œuvre de Rossellini. De toutes façons, le film confirme la vocation humaniste et la dimension européenne de la « nouvelle école italienne » : Sciuscià est aimé car il est un ambassadeur international qui parle au cœur des Français et des autres peuples. Selon Florence, « le film entier baigne dans une atmosphère de pureté virile (sans sensiblerie), d’innocence humaine (sans concession niaise) et de noblesse (cette noblesse naturelle des enfants qui n’acceptent aucune faute de la part de ceux qu’ils aiment), telle qu’on sort du film bouleversé »326.

Encore une fois, la critique française semble être à la recherche de repères alternatifs au cinéma hollywoodien ainsi qu’aux films soviétiques : plus encore que le cinéma de Rossellini, le film de De Sica s’affirme comme compromis efficace entre spectacle et engagement. Dans les colonnes de

L’Époque, selon Henri Gerard, le cinéma italien a tous les atouts pour s’affirmer en tant

qu’alternative aux deux grandes cinématographies mondiales.

Nous avons vu, depuis la libération, de nombreux films américains ou russes. Aucun ne s’approche de Sciuscià qui les domine tous par la simplicité naturelle, la vérité, l’exactitude de l’art et de la vie, on ne sait quelle mélodie désespérée qui se murmure autour de l’enfance et fait retentir le glas de notre temps327.

Le mélange efficace des styles et des tons et l’ouverture idéologique de Sciuscià font rapidement apprécier le cinéaste De Sica en France : également attirés par les nouveautés italiennes, les marxistes et les catholiques sont les premiers à relever l’importance du film.

« Un document social et humain »

Lors de la sortie française de Sciuscià, la presse de gauche est immédiatement au rendez-vous pour tenter de démontrer la valeur politique de l’œuvre. Dans les colonnes du quotidien communiste

325 MAGNAN, Henri, « Une œuvre magnifique et déchirante : Sciuscià », Le Monde, 22 mars 1947, p. 3.

326 FLORENCE, Jean, « Farrebique-The lost week-end, Sciuscià », Une semaine dans le Monde, 22 mars 1947, p. 2.

L’Humanité, Pol Gaillard met tout de suite en avant une lecture politisée de ce film qu’il conseille

vivement à ses lecteurs ; selon Gaillard, Sciuscià est « de très loin le meilleur film que vous puissiez voir actuellement à Paris »328. Cependant, comme un bon nombre d’autres critiques de la gauche, Gaillard affiche une nette déception à l’égard de la fin du film, dont il critique le pessimisme et le ton mélodramatique :

Aucun réquisitoire schématique, mais un document social et humain, complexe et compréhensif, qui peint simplement ce qui est, qui n’accuse pas des individus, mais le régime et la guerre, qui ne conclut ni ne prêche, mais qui appelle invinciblement une solution, qui force à la vouloir.[…] Comme toujours, le véritable réalisme est à la fois très beau, profondément émouvant et progressif329.

Il faut souligner au passage les trois qualifications finales utilisées par Gaillard : la beauté et l’émotion ne sont pas nécessairement en contradiction avec l’idéologie progressiste. Selon les préceptes transmis par Jdanov, il est nécessaire de créer un art édifiant, qui valorise les aspects positifs de la vie afin d’indiquer à l’homme le chemin de la libération. De ce point de vue, le rejet du dénouement du film n’est pas pour surprendre : malgré ses récentes évolutions, le cinéma italien est encore menacé par le formalisme et par l’esprit mélodramatique.

Le même Gaillard fait preuve d’un engouement particulier pour le film de De Sica en intervenant plus tard dans les pages de la revue marxiste La Pensée. Dans le but de situer Sciuscià dans l’orbite de la production progressiste mondiale, le rédacteur n’hésite aucunement à le mettre en relation avec le film soviétique Le Chemin de la vie de Nicolas Ekk :

Aucune simplicité schématique dans le réquisitoire ; non, un document social et humain, complexe et compréhensif, qui peint simplement ce qui est, mais sans rester impassible, qui n’accuse pas des individus mais le régime et la guerre, qui ne conclut ni ne prêche, mais qui laisse pressentir la possibilité de changer tout cela, car le cœur de ces gosses est bon au fond, qui appelle invinciblement une solution, qui force à la vouloir330.

328 GAILLARD, Pol, « Avec Sciuscià le cinéma italien nous offre une nouvelle preuve de sa renaissance »,

L’Humanité, 21 mars 1947, p. 4.

329 Ibid.

330 Id., « Films de Festival…et quelques autres », La Pensée : revue du rationalisme moderne, n° 14, septembre-octobre 1947, p. 87.

L’aspect social et l’aspect humain ne seraient donc pas en contradiction, mais il faut toujours faire attention à ne pas tomber dans la tendance larmoyante. Dans d’autres publications culturelles officielles de la gauche, les réactions ne se font pas attendre et sont aussi bienveillantes. La personnalité la plus éminente de cette faction, Georges Sadoul, affiche dans Les Lettres françaises son appréciation pour Sciuscià, une œuvre qui, bien qu’elle ne soit pas comparable à Rome ville ouverte et à Paisà, témoignerait de l’engagement social ainsi que de la diversité stylistique de la nouvelle cinématographie italienne.

L’œuvre méritait l’accueil qui lui fut fait, par l’interprétation véritablement exceptionnelle d’une pléiade d’acteurs enfants ou d’adolescents qui jouent les sciuscias ou cireurs de chaussures, par l’intelligence et la probité de la mise en scène, par la beauté de la photographie et par l’utilisation intelligente de l’extraordinaire décor naturel d’une prison qui paraît sortie d’une gravure de Piranèse. C’est aussi une vertu d’avoir abordé sans hypocrisie, avec cette belle franchise qui caractérise aujourd’hui le film italien, le problème d’une enfance dévoyée par la spéculation et les conséquences de la guerre331.

Cependant, le film ne manque pas de contradictions. Sadoul semble avoir une prédilection pour le style documentaire d’un Rossellini et il reproche à Sciuscià le caractère trop invraisemblable des scènes de prison et du final : dans ces passages, le film « sonne légèrement faux, avec sa mise en scène et ses décors de studio », car ici De Sica abandonne le style du reportage propre du tournage en plein air. Aux yeux de Sadoul, Sciuscià incarne les contradictions de tout le cinéma, car il se compose de deux parties complètement différentes, dont la deuxième serait moins bonne à cause de ses influences mélodramatiques.

À ce moment, un trait typique de la réception du néoréalisme par la gauche émerge : il s’agit de la dénonciation de l’activité de la censure italienne. En fait, la correspondance de Sadoul avec ses confrères transalpins lui permet d’être constamment informé sur la politique italienne : ainsi, le critique français prouve constamment qu’il connaît les débats passionnés opposant le pouvoir (exercé en particulier par Giulio Andreotti332) aux cinéastes italiens. Le compromis esthétique dont relève Sciuscià serait dû, selon le communiste Sadoul, aux contraintes imposées par la censure

331 SADOUL, Georges, « Charme et diversité du cinéma italien », Les Lettres françaises, 27 août 1947, p. 9.

332 Le rôle du démocrate-chrétien Giulio Andreotti doit être pris en considération pour comprendre les dynamiques qui conduisent à la crise du néoréalisme. Sous-secrétaire à la présidence du Conseil (de 1947 à 1953), Andreotti incarne la longa manus du gouvernement en matière de cinéma et encourage le processus de normalisation du cinéma transalpin.

étatique : de ce point de vue politisé, la « nouvelle école italienne » ne serait qu’un phénomène social et devrait précisément son essor à l’affaiblissement des structures de contrôle. Ainsi Sadoul :

On dit - mais est-ce exact ? - que Vittorio De Sica s’est trouvé obligé de modifier le sujet primitif de Sciuscià, qui était la vie des petits cireurs dans les rues, et son dénouement qui devait être le suicide des enfants, s’apercevant qu’ils ne peuvent, dans le monde de 1946, conserver le palefroi de leur rêve. Ces modifications, qui ont nui à son œuvre, lui auraient été en fait demandées par la censure italienne. […] Qu’on y prenne garde. Nous le répétons, tout le prix du cinéma italien lui vient d’abord de son allégresse reconquise. Qu’on lui rationne cette liberté, il risquera de perdre sa vertu majeure333.

On comprend aisément la perplexité du militant Sadoul devant le final de Sciuscià : à un regard attentif, l’approche documentaire et optimiste n’est que marginale dans les œuvres néoréalistes ; ces films relèvent plutôt d’un compromis entre formalisme et objectivité.

Mais la critique de gauche ne se limite pas à Sadoul. En 1947, les communistes les moins orthodoxes disposent encore d’une certaine marge de manœuvre dans les colonnes de L’Écran français. Par exemple,

nous trouvons une passion inconditionnelle à l’égard de Sciuscià dans les écrits de Georges Altman ; ce dernier fait l’éloge de la « poésie pure » ainsi que d’une « puissance lyrique qui s’appuie sur un fond de dénonciation sociale ». Plus éloigné de la logique du parti, Altman fait l’éloge de ce nouveau sommet de « réalisme lyrique », de sa « puissance d’émotion » qui le caractérise comme une « fresque pittoresque et tragique »334.

Denis Marion est aussi bienveillant qu’Altman dans les colonnes du journal Combat en expliquant