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Alessandro Blasetti, néoréaliste ? La réception d’Un jour dans la vie

Chapitre 5. Le néoréalisme est-il vraiment une école ?

Malgré les controverses que nous avons évoquées, les films de Roberto Rossellini, Vittorio De Sica, Alberto Lattuada, Luigi Zampa et Alessandro Blasetti ont certainement d’importants mérites : ils redorent l’image des Italiens en France, relancent le débat sur le cinéma italien et définissent un canon de réalisme européen. L’humanité des thèmes et la vérité des personnages sont les qualités essentielles attribuées aux films venant d’au-delà des Alpes. Après le triomphe de 1946, au cours de l’année suivante le cinéma italien consolide son succès, mais nous n’assistons pas à un déferlement massif de films transalpins en France. Cependant, autour du cinéma néoréaliste se consolide une surprenante convergence critique relevant du climat de solidarité nationale de l’immédiat après-guerre. Au cours de l’année 1948, l’idée qu’il existe une école italienne organisée est vite contestée par l’arrivée de nouveaux films qui contribuent à composer une image multiforme du cinéma italien et, surtout, à démentir la présence d’une poétique cohérente. Le cinéma néoréaliste se distingue surtout par son savant mélange de réalité et de poésie et la critique française commence vite à percevoir les contradictions de cette formule.

Dès le printemps 1947, la presse relève certaines contradictions présentes dans le cinéma italien, qui paraît nettement divisé en deux parties : d’un côté le néoréalisme révolutionne d’une certaine manière le cinéma, tandis que d’autre part les genres traditionnels prospèrent. Si l’année 1947 s’avère être pauvre en sorties, l’absence de nouveaux films italiens n’empêche pas la réflexion concernant la « nouvelle école ». Par exemple, en 1948, André Bazin fait un bilan plutôt pessimiste de l’année précédente dans les pages de La Vie intellectuelle : le critique déplore en particulier la « contre-offensive sérieuse de la tendance emphatique et puérilement romantique traditionnelle »391. Dans cette phase, la nécessité de faire de nouveaux bilans s’impose. Si d’un côté l’article de Bazin sur « l’école italienne de la Libération » (janvier 1948) affirme l’importance d’une lecture ontologique de ce cinéma, d’autre part la parution d’un numéro spécial de La Revue du cinéma (mai 1948) a deux mérites principaux : d’un côté il met en perspective historique l’essor de cette saison

391 BAZIN, André, « Coup d’œil sur les festivals de 1948 », La Vie intellectuelle, n°10, année XVI, octobre 1948, p. 132.

LEPROHON, Pierre, « Courants contraires dans le film italien : palais de faux marbre et visages anonymes », Cinémonde, n°668, 20 mai 1947, pp. 12-13.

réaliste et d’autre part il permet aux cinéphiles français de faire la connaissance de quelques auteurs moins connus du cinéma péninsulaire.

À cet égard, nous trouvons qu’il est aussi intéressant de faire référence à un article qui paraît dans l’hebdomadaire Cinémonde, où le cinéma italien est interprété de façon radicalement manichéenne. L’intitulé de cet article est très explicite et témoigne de deux tendances majeures : « palais de faux marbre et visages anonymes » :

La révélation que nous apportèrent des films comme Rome ville ouverte, Sciuscià, et

Quatre pas dans les nuages laisserait croire que le cinéma italien s’est profondément modifié. Ces films marquent, certes, une orientation nouvelle, mais non point unique, car la production italienne reprend son activité dans la voie traditionnelle des films d’époque, à grand spectacle, avec défilés de figurants et reconstitutions fastueuses392.

Après l’arrivée éclatante des toutes premières œuvres du néoréalisme et le premier aperçu d’un « canon » néoréaliste italien, d’autres films franchissent les Alpes et font surgir de nouveaux points de vue sur le cinéma transalpin. À titre d’exemple, nous pouvons mentionner un autre article paru dans Cinémonde fin 1948 : l’hebdomadaire présente, parmi les récentes tendances du cinéma mondial, un réalisme à l’italienne grâce au film Le Témoin de Pietro Germi :

Ce film suit une tradition pourtant courte et déjà pleine de promesses qui a fait la célébrité du cinéma italien. C’est-à-dire celle d’un réalisme et d’une sobriété provenant de moyens simples et de l’absence du décor « carton pâte » qui, trop souvent, fausse l’esprit même de certaines productions. […] Cette nouvelle technique, inspirée d’abord par des raisons d’économie, a donné d’excellents résultats et on peut penser qu’elle aura influencé fortement tout le cinéma actuel393.

Il nous semble donc clair qu’à partir de ce moment la réception en France du cinéma italien se présente comme un phénomène de plus en plus complexe qu’il faut questionner en détail. Nous allons rendre compte de quelques films italiens donnant une vision très problématique de la production transalpine : ce sont des œuvres permettant à la critique française de mettre en perspective le phénomène néoréaliste et d’en questionner la valeur esthétique.

392 LEPROHON, Pierre, « Courants contraires dans le film italien : palais de faux marbre et visages anonymes », Cinémonde, n°668, 20 mai 1947, pp. 12-13.

En effet - comme l’affirme Antonio Pietrangeli dans La Revue du cinéma de mai 1948 - si l’on analyse en profondeur l’histoire du cinéma italien, on se rend vite compte que le nouvel esprit réaliste n’est que la manifestation d’une tendance latente de ce cinéma. Il est utile de consacrer quelques mots supplémentaires à cet article crucial394. En 1948, Pietrangeli est une figure importante de la critique italienne ; formé aux côtés de Luigi Chiarini et de Luchino Visconti (avec qui il collabore à la réalisation des Amants diaboliques), Pietrangeli aborde la critique cinématographique et l’écriture dans le domaine effervescent des revues Bianco & Nero, Cinema, Fotogrammi et Film Rivista. On peut supposer que Jean George Auriol fasse appel à ce jeune critique après son séjour en Italie : Auriol et Pietrangeli, en effet, collaborent à la longue et difficile élaboration de Fabiola d’Alessandro Blasetti (1949). La contribuition du critique italien dans les pages de La Revue du cinéma a le mérite de confirmer la complexification de l’image du cinéma transalpin : entre 1948 et 1949, l’arrivée en France de nouvelles œuvres du cinéma italien atteste de la riche diversité du réalisme transalpin et dément en même temps l’image trop simpliste d’un cinéma radicalement renouvelé.

En particulier, Pietrangeli comble plusieurs lacunes historiques caractérisant les études françaises consacrées au cinéma d’outre-Alpes : pendant trop longtemps le cinéma italien a été perçu comme un phénomène limité à des spectacles grandiloquents - Cabiria, par exemple - ou comme un cinéma de dive. La contribution de Pietrangeli pénètre profondément dans l’histoire esthétique du cinéma italien : partant de la grande tradition du théâtre dialectal, en passant par les films classiques de Blasetti et Camerini, le cinéma italien (y compris le cinéma fasciste) apparaît imprégné d’instances réalistes. D’ailleurs – souligne Pietrangeli - l’histoire de l’art démontre que toute innovation esthétique, quelle que soit l’époque, a principalement puisé dans la re-découverte du réel :

Parlant de réalisme ou de néoréalisme cinématographique, nous entendons désigner seulement un climat commun, proposé aux cinéastes par des problèmes humains qui sont aussi des problèmes de l’époque et qui se modifient selon les circonstances. D’après des points de vue forcément différents, différents individus se représentent cette réalité ou ces problèmes leur appartenant en propre et vivant d’une vie autonome […] Mais jamais de formule « néoréaliste », désignant artificiellement quelque nouveau « naturalisme » pour photographier

394 La France a été avide de publications sur cette figure fondamentale du cinéma italien. Pour racheter, même tardivement, l’image de ce cinéaste et la faire connaître au public français, Esther Hallé lui a consacré son travail de thèse, soutenue en 2017 à l’Université de Caen Normandie et rédigée sous la direction de Christian Viviani : HALLÉ, Esther, Antonio Pietrangeli, critique et création. Pensées du réalisme cinématographique

des pièces anatomiques de la réalité, avec une technique indifféremment applicable par n’importe qui395.

En bref, il est clair que le propos de Pietrangeli est de placer l’idée de réalisme dans une perspective historique et, en particulier, de rattacher cette tradition à la notion même d’italianité. Il faut en outre relever que cette étude paradigmatique du cinéma néoréaliste apparaît avant même que la critique italienne ne présente un texte similaire. L’article en question a donc le mérite de déployer, pour la première fois au niveau européen, une progression chronologique et une carte topographique du réalisme italien, condensant de manière organique les idées et les lignes de tension qui ont circulé au cours de la décennie précédente.

Il semble opportun, à ce stade, d’enrichir notre texte avec l’analyse de la réception de certaines œuvres qui rendent plus complexe l’idée de néoréalisme. Ces œuvres sont les suivantes : Allemagne

année zero (Roberto Rossellini, 1948), Le Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 1948), les deux premiers films de Giuseppe De Santis (Chasse tragique, 1946 et Riz amer, 1948) et La Terre tremble (Luchino Visconti, 1948). Ces films définissent une sorte de « manière » néoréaliste qui est loin de susciter la satisfaction unanime de la critique ; au contraire, les intellectuels français semblent regretter l’attitude modérée des films italiens qu’ils ont vus au Festival de Cannes 1946.

Allemagne année zéro. Le néoréalisme est-il un feu de paille ?

Au cours de l’année 1947, grâce à la distribution de Rome ville ouverte et Paisà, Rossellini bénéficie en France d’une grande considération. Ses films connaissent une distribution importante dans les ciné-clubs et dans le circuit traditionnel ; ils sont partout loués pour leur profonde « humanité » et la pratique du tournage dans la rue, ainsi que pour l’amalgame des acteurs professionnels avec les non-professionnels et pour le refus du scénario rigide. Il est donc naturel que cette critique suive de près le tournage du nouveau film que le réalisateur romain est en train de tourner à Berlin. « Pourquoi l’Allemagne ? », se demanderont Borde et Bouissy. « Sans doute parce qu’elle était encore, en 1947, un cas limite. Aucune cité italienne n’avait subi les destructions massives qui faisaient de Berlin une ville à ciel ouvert. On partait de rien : de quelques murs encore debout, de familles disloquées, d’une société dans les gravats »396. Produit principalement par l’Union générale cinématographique, Allemagne année zéro est un film à la dimension européenne : après avoir raconté la réhabilitation de l’Italie, Rossellini veut livrer un plaidoyer en faveur du peuple allemand. Contre les prédictions des critiques français, Rossellini refuse d’analyser en détail la société allemande

395 PIETRANGELI, Antonio, « Panoramique sur le cinéma italien », art. cité.

nazie et propose non pas des solutions, mais des possibilités, c’est-à-dire des faits qui peuvent être interprétés de différentes manières. L’attitude de Rossellini semble se prêter aux malentendus car la réalité, dans sa polyvalence, suggère des interprétations ambiguës. En se limitant à documenter la réalité, l’auteur semble se réfugier derrière l’évidence, et s’annule presque dans la manifestation d’une réalité dont la caméra n’est qu’un moyen de révélation : comme l’annonce la voix off en ouverture du film, le film de Rossellini, « tourné à Berlin durant l’été 1947, ne veut être qu’une image objective et fidèle de cette immense ville à moitié détruite ». À la lumière de ces résultats, il est plus facile de comprendre les premières frictions qui commencent à surgir entre Rossellini et les critiques français.

L’une des premières mentions relatives au film paraît en France début septembre 1947 : dans les pages de l’hebdomadaire Cinémonde, Giuseppe Vittorio Sampieri remarque la nature internationale du projet en écrivant que « le premier film français tourné à Berlin,

Allemagne année zéro, est tourné par un réalisateur italien : Roberto Rossellini »397. Cet article témoigne d’ailleurs de la vive attention que la presse populaire porte sur le réalisateur italien. Le tournage du film est aussi suivi par la critique de gauche : la journaliste Claudine Chaunez en rend compte en octobre 1947 dans les colonnes des Lettres françaises. Le cinéaste au travail est décrit en tant qu’homme impulsif et chef de tournage à l’attitude très théâtrale, des qualités qui coïncident parfaitement avec le stéréotype de l’Italien. Déjà légendaire, la figure de Rossellini est celle d’un anti-intellectuel et d’un réalisateur hors-norme : il n’est « pas un penseur, ni un écrivain, ni même un scénariste ». Fascinée par l’attitude survoltée de Rossellini, Chaumez fait preuve d’une connaissance précise des méthodes de travail du cinéaste pour avoir passé quelques jours avec lui sur le tournage du film :

Rossellini, on le sait, se méfie des vedettes. On murmure couramment qu’il a pour principe de ne jamais reprendre l’acteur qu’il a porté au premier plan. […] Latin en diable, Rossellini. De magnifiques yeux marron, tendres, furieux,

397 SAMPIERI Giuseppe Vittorio, « Le premier film français tourné à Berlin, Allemagne année zéro, est tourné par un réalisateur italien : Roberto Rossellini », Cinémonde, n°684, 9 septembre 1947, p. 8. Voir Figure.

SAMPIERI Giuseppe Vittorio, « Le premier film française tourné à Berlin, Allemagne année zéro, est tourné par un réalisateur italien : Roberto Rossellini »,

Cinémonde, n°684, 9 septembre 1947, p.

8. Dans la presse populaire un film « difficile » comme Allemagne année zéro est proposé pour ses aspects les plus larmoyants : l’enfance et la détresse de l’après-guerre.

rêveurs, attentifs - tout cela en moins de trente secondes. Cordial, courtois, galant avec les femmes (sauf quand il tourne - a-t-on jamais vu un metteur en scène courtois et galant ?) Expansif, impulsif, et calmant brusquement de brusques colères. En bref, d’une vitalité débordante. Il ne fait jamais de découpage technique (en sorte que lui seul peut être son propre monteur). Quant aux dialogues, il les écrit avec un collaborateur, au jour le jour, ou plutôt à la nuit, lorsqu’il n’a pas tourné jusqu’à cinq heures du matin. En quatre jours, j’ai pu compter qu’il n’avait pas dormi douze heures398.

Malgré l’intérêt préalable manifesté par la presse française, Allemagne année

zéro va bientôt décevoir la critique. En avril 1948 un bref article publié dans le Figaro rend compte de la sortie italienne du film : la déception est dans l’air, car « il ne semble pas que le metteur en scène ait été servi par les mêmes qualités d’inspiration que dans Rome ville ouverte et Paisà ». On reproche au film en question de s’apparenter « moins à un drame qu’à un mélo assez primaire »399. Les reproches formulés par la critique française à l’égard de ce film concernent trois aspects : l’excessive cruauté du sujet, la tendance au mélodrame et la fragmentation de la structure narrative traditionnelle. Si en 1947, comme le noteront Raymond Borde et André Bouissy, « Rossellini est à l’apogée de sa carrière », il est aussi vrai que la fortune lui tourne soudainement le dos et qu’Allemagne année zéro reste « un chef-d’œuvre sans lendemain »400. En effet, si le canon néoréaliste semble s’être imposé à partir de

Rome ville ouverte et Paisà, le film suivant de Rossellini paraît trop révolutionnaire et trop pessimiste pour être accueilli sereinement par les intellectuels français. Le nouveau réalisme transalpin peut être accepté tant qu’il garde ses liens avec la tradition ; dès qu’il devient trop radical, il n’arrive plus à se faire comprendre.

Envoyée spéciale pour L’Intransigeant au Festival de Locarno, en juillet 1948 Simone Rosalinde

raconte un auditoire littéralement bouleversé par le film, vu comme « le plus terrible qui ait jamais été tourné ». Les émotions qu’Allemagne année zéro suscite dans le public ne semblent guère être des qualités positives :

398 CHONEZ Claudine, « Quand Rossellini tourne dans les ruines de Berlin », Les Lettres françaises, 9 octobre 1947, p. 3.

399 M. M. « Les Romains ont vu Berlin an zéro », Le Figaro, 14 avril 1948, p. 3.

400 BORDE, Raymond, BOUISSY, André, Le néoréalisme italien. Une expérience de cinéma social, op.cit., p. 63.

CHONEZ Claudine,

« Quand Rossellini tourne dans les ruines de Berlin »,

Les Lettres françaises, 9 octobre 1947, p. 3.

Témoignage d’un latin, film dédié à la mémoire de son enfant, Romano, par Roberto Rossellini, Allemagne année zéro est un film si fort, si terrible, qu’il a fait passer le frisson de la peur dans un public de tous les pays du monde ; un film si dur que c’est à peine si quelques applaudissements saluèrent la fin de ce chef-d’œuvre. Ahurie, abrutie, angoissée, la foule se retira, glacée, terrifiée, comme on est terrifié par la vérité regardée en face401.

Même si à Locarno Allemagne année zéro gagne un prix en tant que meilleur film (ainsi que celui du meilleur scénario), les premiers reportages sur le film en France ne préconisent rien de bon. En effet, lorsque le film est distribué début février 1949, il suscite de nombreuses réactions négatives de la part de la critique française.

D’une part, sur le plan thématique, Allemagne année zéro est empreint d’un pessimisme évident qui contredit l’esprit des œuvres précédentes ; d’autre part, au niveau formel, le film est sans doute le plus avant-gardiste du Rossellini d’après-guerre, celui où l’auteur pousse aux extrêmes conséquences son refus de la mise en scène ; la critique française ne semble pas prête pour cette nouvelle étape du néoréalisme italien.

Face à l’approche trop radicale proposée par Rossellini, maints critiques qui avaient déjà salué positivement Paisà se montrent méfiants et vont parfois jusqu’à décréter la fin de l’expérience néoréaliste : c’est notamment le cas de François Chalais qui affirme que Rossellini « n’était pas de taille à lutter contre tout un pays qui refusait de laisser arranger ses secrets en paragraphes »402 en soulignant que l’Allemagne du film est « schématique et confuse »403.

En somme, on relève en France des réactions comparables à celles décrites par Elena Dagrada en relation au cadre critique italien :

Attaqué sur plusieurs fronts, de plus en plus isolé dans le contexte du cinéma italien, le réalisateur voit disparaître d’un côté le soutien du milieu marxiste, qui l’accuse de trahir le néoréalisme et d’abandonner le film choral à thème social en faveur d’un tournant perçu comme une « involution » à partir d’Allemagne année

zéro […] D’autre part, les réserves exprimées à son égard par la critique catholique

401 ROSALINDE, Simone, « Allemagne année zéro est le film le plus terrible qui ait jamais été tourné »,

L’intransigeant, 11 juillet 1948, p. 1.

402 CHALAIS, François, « Enfants de troupe », art. cité.

se radicalisent explicitement à partir de ce film que le Centro Cattolico Cinematografico qualifie d’« interdit à tous »404.

Les intellectuels marxistes déçus par Rossellini

Sur le plan politique internationale, l’année 1949 correspond à un durcissement de la guerre froide. Dans ce contexte, les intellectuels français de gauche s’engagent sur le front de la culture pour appliquer plus strictement la doctrine jdanovienne. Après Paisà, Rossellini présente son troisième film consacré aux drames de l’après-guerre mais, malgré le thème social, le film ne convainc guère les progressistes, qui sont de plus en plus exigeants : le raidissment idéologique ne semble point favoriser Allemagne année zéro, dont la morale pessimiste et la mise en scène beaucoup trop sobre suscitent des commentaires méfiants. À ce propos, la réaction la plus significative est sans doute celle de Georges Sadoul : ce souteneur précoce et enthousiaste de Rome ville ouverte est maintenant complètement dérouté par Allemagne année zéro. Sadoul remarque l’ouverture idéologique du cinéaste romain mais déplore le rejet de tout dogme idéologique : à ce moment où il est désormais nécessaire de prendre parti, la faute du réalisateur italien consiste à ne pas vouloir assumer une position précise. En effet, avec Allemagne année zéro l’intérêt de Rossellini se déplace du groupe social vers l’individu : le petit Edmund occupe décidément le premier plan, en incarnant visiblement le fils défunt du réalisateur. De plus, à ce détachement idéologique correspond, sur le plan formel, une nouveauté trop radicale pour la critique engagée : l’écroulement des structures narratives et la