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Le cinéma comme « instrument de culture populaire »

Afin de consolider notre travail de contextualisation, nous poursuivons avec quelques considérations concernant la renaissance de la cinéphilie française dans l’immédiat après-guerre. Le succès du cinéma italien en France est dû, en effet, à des conditions contextuelles idéales : l’après-guerre est un moment d’enthousiasme pour le cinéma, un medium qui fait l’objet de nombreux débats politiques et esthétiques. Cette période est marquée par une expansion considérable des mouvements d’éducation populaire et par une vitalité associative remarquable. Communistes, laïques et chrétiens multiplient les initiatives en faveur d’une démocratisation culturelle dans des domaines aussi variés que le théâtre, les arts plastiques et, bien-sûr, le cinéma qui, en raison de son statut de loisir de masse, est envisagé comme vecteur idéal de la rencontre entre le peuple et la culture. Le cinéma est donc une affaire politique : il suffit peut-être de rappeler, à cet égard, que le

journaliste Robert Brasillach (exécuté pour collaborationnisme le 6 février 1945) a consacré sa carrière au cinéma, en rédigeant notamment un important ouvrage historiographique80.

En ce qui concerne le public, la frénésie autour du cinéma, déjà observable pendant l’occupation, s’accroît jusqu’à atteindre les 400 millions de spectateurs à la Libération, avec un record de 424 millions dans l’année 1947, avant de décliner après cette date. Les écrans parisiens offrent une grande quantité de productions hollywoodiennes, comprenant la production d’avant la guerre ainsi que les derniers films, mais il faut souligner que le cinéma français garde la faveur du public : de 1949 à 1960, 48 % des spectateurs français vont au cinéma pour voir des productions nationales, tandis que 35 % s’y rendent pour des films hollywoodiens, alors que 6 % seulement préfèrent les productions italiennes81.

Dès l’immédiat après-guerre, on constate un nouvel essor critique : le cinéma, désormais admis parmi les arts, fait l’objet d’une attention intellectuelle renouvelée. Comme l’a mis en relief Jean-Pierre Jeancolas, on relève dans le milieu intellectuel de cette époque, trois aspects fondamentaux : « une légitimation du film dans l’ordre de la culture, qui transforme une part non négligeable du public ; une volonté de la part de ce public de comprendre mieux le cinéma et de le saisir dans son épaisseur ; un besoin d’instruments qui permettent cet accès et accompagnent un nouveau mode de réception des films »82. Ainsi, les différents milieux idéologiques mettent en place leurs organismes d’éducation populaire, centrés sur la projection de films et sur la discussion autour des œuvres proposées. Ces lieux, appelés ciné-clubs, deviennent bientôt les centres névralgiques de la diffusion du cinéma et les points de repère de la nouvelle critique. Les ciné-clubs sont à la base d’une nouvelle idée du cinéma, un nouveau point de vue qui soustrait définitivement le cinéma au domaine des loisirs pour le placer définitivement dans le milieu des arts majeurs. Grace à ces cercles, à gauche comme à droite un discours vaste et complexe se développe autour de l’art du cinéma.

Les ciné-clubs dès 1946 ont fabriqué un lectorat nouveau, qui demande à la presse, et plus particulièrement à une presse généralisée qu’il a en partie fallu inventer, une information également nouvelle.[…] Les ciné-clubs forment une génération de spectateurs jeunes, passionnés souvent, à une lecture différente, référencée, active, du fait cinématographique83.

80 Voir BARDÈCHE, Maurice, BRASILLACH, Robert, Histoire du cinéma, Paris, Denoël et Steele, 1935.

81 Ces données sont tirées de l’ouvrage : MONTEBELLO Fabrice, Le cinéma en France, Armand Colin, Paris, 2005, p. 41. Dans cet essai, Montebello démontre que, contrairement à l’opinion répandue, le cinéma américain de cette période est effectivement protagoniste d’un envahissement des écrans français, mais ne connait pas un véritable triomphe en termes de public.

82 JEANCOLAS, Jean-Pierre, « De 1944 à 1958 », in CIMENT, Michel, ZIMMER, Jacques (dir.), La critique

de cinéma en France, Paris, Ramsay, 1997, p. 72.

Les ciné-clubs représentent donc le principal moteur de l’évolution de la cinéphilie : ils rassemblent aussi bien des groupes de travailleurs au sein de grandes entreprises, des cercles d’études scolaires, périscolaires ou universitaires, ou bien des intellectuels issus de l’élite culturelle. Ils proposent des courts-métrages, des films documentaires dits éducateurs, mais aussi des longs-métrages de fiction de toutes nationalités, anciens ou récents, choisis pour leurs qualités artistiques, selon des critères qui dépendent des animateurs eux-mêmes ainsi que de la tendance idéologique du club84.

Contre l’invasion des films hollywoodiens, plusieurs ciné-clubs d’inspiration communiste surgissent au sein des comités d’entreprise visant, outre à la diffusion de la culture cinématographique européenne, à la sauvegarde du cinéma en tant qu’activité industrielle85. Ces ciné-clubs sont pour la plupart coordonnés par le PCF qui, par le biais du cinéma, se charge de l’émancipation culturelle de la classe ouvrière qui doit être délivrée de « l’intoxication systématique des esprits »86 engendrée par Hollywood. Dès 1945, il est clair pour l’intelligentsia de gauche que la reprise du cinéma en tant qu’industrie doit passer par un renouvellement de l’intérêt des publics.

Quatre-vingts pour cent des Américains vont au cinéma. Quatre-vingts pour cent des Français ne vont jamais au cinéma. Il ne faut pas se lasser de répéter que cette situation est à l’origine de la crise dont nous souffrons. […] Un grand espoir se précise : le cinéma qui est un puissant instrument de culture populaire pourra, par les clubs, recruter un nouveau public87.

L’hebdomadaire L’Ecran français, proche du PCF, est particulièrement engagé dans la promotion

de ces organismes : dans l’éditorial du numéro 32 intitulé « Mission des ciné-clubs », la revue présente les ciné-clubs en tant que propulseurs commerciaux du cinéma. En effet, ces lieux sont censés améliorer la production cinématographique française, précisément car ils vont créer un public nouveau, plus cultivé et plus exigeant. À travers les ciné-clubs, pour l’auteur de l’article, « il

84 Voir, à ce propos, SOUILLES-DEBATS, Léo, La culture cinématographique du mouvement ciné-club, Paris, AFRCH, 2017.

85 Dans cette galaxie des ciné-clubs communistes se trouve l’UFOCEL, l’Union française des Offices du cinéma éducateur laïque, née en 1933, qui resurgit en 1945 pour devenir en 1953 l’Union Française des Œuvres Laïques d’Éducation par l’Image et par le Son (UFOLEIS) ; parallèlement, en 1945 naît la Fédération française des ciné-clubs (FFCC), présidée par Jean Painlevé et proche du Parti communiste. D’autres ciné-clubs liés à des organisations confessionnelles surgissent pendant cette même période : parmi eux, la Centrale catholique du cinéma et de la radio (CCR) coordonne ses activités de diffusion cinématographique sur la base d’une classification morale des œuvres proposées.

86 Revue des comités d’entreprise, n°15, 1949.

87 SADOUL, Georges, « Les Français ne vont pas assez au cinéma », Les Lettres françaises, 25 août 1945, p. 5. Les chiffres cités par Sadoul ne sont évidemment pas précis, mais reflètent le mécontentement du critique face à la situation du cinéma en France.

faut surtout développer le goût du cinéma dans la jeunesse, faire connaître l’histoire et les chefs-d’œuvre d’un art qui est encore loin de s’être imposé à tous »88.

Le manifeste de Travail et Culture, une organisation à vocation marxiste qui appelle de ses vœux une démocratisation de la culture au nom d’un nouvel humanisme, est aussi intéressant à ce propos. Cette démocratisation doit notamment être réalisée par l’activité des ciné-clubs, qui sont chargés de diffuser les idéaux progressistes présents dans certains films. Maurice Delarue et Jean-Marie Serreau sont les principaux inspirateurs de cette organisation (créée le 22 septembre 1944) et s’accordent à penser que c’est en ces lieux que les bases d’une communauté culturelle peuvent être posées.

Cet humanisme nouveau n’est pas une conception à priori, c’est une exigence de l’époque. Il n’est pas rattaché à une métaphysique de l’univers. Il est simplement un ensemble de principes qui s’exprime dans un style de vie personnel et collectif. Sans lui, pas de culture incarnée, vivante. Il ne s’applique ni au domaine confessionnel, ni au domaine politique : il est la base d’une culture commune à des hommes qui ont des doctrines philosophiques et politiques différentes. Il est dans la formation de l’homme un facteur d’unité française. Mais, dans sa nature, il est révolutionnaire : il se dégage des mouvements du siècle, pour orienter la culture vers la vie moderne. Il ne saurait être ni conservateur, ni réactionnaire89.

Travail et Culture place le cinéma au centre de ses activités : lors des séances, il faut primairement « établir un contact direct entre l’œuvre et un public de plus en plus étendu et compréhensif » 90. L’objectif de l’association c’est de parvenir à créer un public qui soit à la fois populaire et cultivé. Il est aussi important de souligner que les ciné-clubs rattachés à l’Église ne sont pas moins actifs. Au sein des cercles catholiques, le renouvellement des publics a lieu dans le cadre du mouvement Éducation populaire, une organisation qui englobe plusieurs associations, comme la Ligue de l’enseignement, les Auberges de jeunesse et les organisations de scoutisme. L’importance des ciné-clubs est reconnue dans les publications culturelles d’inspiration catholique, qui soutiennent que «

88 Non signé, « Mission des ciné-clubs », L’Écran français, n° 32, 6 février 1946, p. 3.

89 « Un peuple, une culture », manifeste de Peuple et Culture, 1945, pp. 3-4.

90 DELARUE, Maurice, « L’avenir est aux coopératives de spectateurs. Travail et Culture », Les Lettres

françaises, 14 février 1947, p. 7. Dès la Libération - outre ses fonctions à TEC – Maurice Delarue alimente les rubriques théâtre et cinéma de Terre des Hommes, Action, Parallèle 50, Les Lettres Françaises. Après avoir dirigé les activités de Travail et Culture, Delarue devient président de l’association (du 20 novembre 1946 au 12 novembre 1947), succédant à Pierre-Aimé Touchard. Élu secrétaire général le 13 novembre 1947, il reste à ce poste jusqu’en 1966. De 1944 à 1949, Maurice Delarue s’efforce de constituer une structure efficace capable de gérer conjointement une gamme très large d’activités avec le concours d’artistes et intellectuels prestigieux.

les ciné-clubs prouvent que le cinéma répond à la véritable définition d’un art populaire : un moyen d’expression qui peut satisfaire à des titres divers les lettrés et les masses »91.

Chaque ciné-club possédant sa propre publication, le débat sur le cinéma ne tarde pas à s’épanouir, à travers un discours qui s’étend à différentes couches de la société. Les publications les plus importantes en rapport avec ces cercles culturels sont Ciné-Club pour la Fédération française des ciné-clubs, Informations Ufocel puis Image et Son pour la Ligue de l’enseignement.

Dans le cadre de ces cercles cinéphiles, comme l’a noté Souillés-Debats, le cinéma italien est « fortement associé à des genres spécifiques »92. C’est pourquoi les œuvres néoréalistes de Rossellini et De Sica mettent un certain temps à s’imposer dans la programmation de ces clubs, en affirmant par la suite l’image d’un cinéma italien dominé par le drame social et par le film de guerre. Comme nous le verrons, catholiques et laïques partagent le même enthousiasme pour le néoréalisme italien, un cinéma faisant preuve de qualités humaines largement commentées de part et d’autre, sous l’angle de la critique sociale pour les uns et du spiritualisme pour les autres. Cet intérêt pour le cinéma italien se développe principalement en contraste avec le cinéma hollywoodien, accusé de bien des maux (démoralisation de la jeunesse et concurrence à l’égard des professionnels européens) : l’objectif de la promotion du cinéma italien est d’imposer une production moralement saine et culturellement élevée.

« Amica Italia ». L’intelligentsia française se rapproche de l’Italie.

L’engouement des intellectuels français pour le cinéma néoréaliste ne peut être expliqué que dans la perspective des relations politiques et culturelles entre ces deux pays. Les intellectuels italophiles de la France de l’immédiat après-guerre sont principalement des hommes et des femmes de gauche, souvent indépendants du Parti communiste, qui cherchent à promouvoir un marxisme intellectuel et ouvert. Surtout, ils refusent d’assumer des positions dogmatiques et trouvent dans le pays transalpin ce climat de solidarité politique que la France n’offre pas. Certains, comme par exemple Maria Brandon-Albini, Jean George Auriol et Janine Bouissounouse, connaissent l’Italie pour y avoir vécu. Comme l’explique Olivier Forlin,

avoir vécu en Italie leur permet […] d’acquérir une connaissance approfondie des réalités du pays, de nouer d’étroites relations parmi les intellectuels transalpins et de s’insérer dans leurs réseaux. Leur expérience italienne est directe, leurs informations sont de première main ; ils sont en mesure de développer une

91 Non signé, « Demain, le cinéma », La Vie intellectuelle, n°6, année XVI, juin 1948, p. 48.

réflexion de premier ordre et publient, depuis l’Italie, ou à leur retour en France, des articles, des ouvrages, donnent des conférences, contribuant ainsi à faire connaître les réalités d’outre-monts dans certains milieux de l’intelligentsia française93.

Quelle image de l’Italie se font les Français dans l’immédiat après-guerre ? Il faut souligner qu’à la fin du conflit l’Italie est un pays redouté en France, et cela pour des raisons politiques faciles à comprendre. La guerre n’a pas été oubliée et la transformation du pays transalpin dans un sens démocratique n’a pas encore commencé : les risques d’un retour du fascisme ne sont pas à exclure. D’ailleurs, les avis négatifs qui pénalisent le peuple italien relèvent de quelques préjugés séculaires : le peuple italien est notamment perçu comme malhonnête, hypocrite, superficiel, même si ces défauts sont mitigés par certaines qualités, comme le sens de l’hospitalité, la beauté physique et un esprit gai. Les événements de la guerre n’ont fait qu’empirer ces stéréotypes : la Seconde Guerre mondiale vient de se conclure, en laissant une Europe détruite et plusieurs millions de morts sur le terrain. En tant que pays agresseur, allié de l’Allemagne de Hitler, l’Italie est sur le banc des accusés : le « coup de poignard dans le dos » du 10 juin 1940 ne peut pas être facilement oublié. Dans le champ intellectuel, les avis sont plus variés. Par exemple, le quotidien Le Monde prend publiquement position contre le pardon des Italiens, et dans les pages des Temps modernes, René Maheu déplore la « légereté » politique de ce « peuple versatile »94.

Dans la galaxie des publications de l’intelligentsia progressiste, on essaie donc de redécouvrir l’affinité culturelle France-Italie : par exemple, la publication éphémère Rencontres (qui sort entre 1945 et 1947) propose un rapprochement entre les deux pays sous le signe de la commune latinità. Dans le premier numéro de la revue on prône « Néo-Risorgimento » transalpin et affirme dans l’avant-propos que « dans le domaine des arts, des lettres et des sciences, l’Italie et la France sont unies depuis des siècles par des liens indissolubles. La parenté intellectuelle de l’Italie et de la France est fondée sur l’unité ancienne et profonde des traditions, des coutumes, de la manière de penser et d’agir »95. La nouvelle alliance France-Italie doit être fondée autour d’une idée de culture européenne commune, car ce sont les intelectuels italiens qui ont sauvé la dignité du pays transalpin. L’intelligentsia italienne, selon Maria Brandon-Albini, « a sauvé de la dégénérescence la culture de

93 FORLIN, Olivier, Les intellectuels français et l’Italie 1945-1955, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 26. L’ouvrage

qu’Olivier Forlin a consacré aux rapports culturels transalpins décrit la complexité de ce dialogue international.

94 MAHEU, René, « Italie nouvelle ou les incertitudes de la liberté », Les Temps modernes, n°10, juillet 1946, pp. 63-89.

95 Non signé, « Neo-Risorgimento », Cahiers France-Italie, Paris, Editions des Ecrivains et Artistes italiens de France, avril 1945, p. 2.

son pays. Elle a gardé le contact avec les grandes traditions de liberté et de tolérance que nous ont legué des siècles de littérature, de philosophie et d’histoire et qui nous ont fait placer dans un Panthéon européen commun »96. Il est donc clair que les milieux progressistes prefèrent donc promouvoir un acquittement progressif : à gauche, l’Italie est souvent appréciée car elle est perçue comme le pays du compromis, de la médiation, de l’adoucissement des affrontements politiques97. Trois décennies plus tard, Claude Roy expliquera ainsi son intérêt pour l’univers culturel de la péninsule :

Montaigne va en Italie chercher, encore vivante, la Rome des Romains dans la Rome des Papes. Goethe et les Romantiques allemands vont y chercher le pays où fleurit la lumière. Stendhal va y chercher l’énergie des rebelles, la passions des belles, et l’esprit des salons ou des loges de la Scala. Nous allions y chercher l’accord entre la tradition de civilité et la révolution, entre la culture et la justice, entre l’humanité et le socialisme, entre le communisme et la liberté, entre les raisons de système et les raisons de la raison. Toutes les incompatibilités, ailleurs craintes, toutes les contradictions, ailleurs béantes comme des fissures, nous apparaissaient en Italie surmontables, solubles98.

Plusieurs articles paraissant dans les Lettres françaises plaident en faveur du peuple italien et créent les conditions pour l’accueil favorable du cinéma néoréaliste dans les milieux de la gauche. De nombreux rédacteurs traitent le thème de la responsabilité historique de ce pays : lorsqu’il déclare renier le fascisme, le peuple italien est un pays sincère qui essaie tout pour se justifier. Ces articles témoignent parfaitement de l’attitude confiante de l’intelligentsia progressiste française à l’égard du peuple italien : on y retrouve l’idée d’un pays qui a perdu son innocence, mais qui est conscient du chemin qu’il est tenu d’entreprendre. Ainsi, maints intellectuels français reprennent la thèse selon laquelle le fascisme n’a été qu’un épisode passager de l’histoire italienne ; pour employer les mots du philosophe Benedetto Croce, le régime de Mussolini n’a été qu’une « parenthèse de vingt ans »99.

96 BRANDON-ALBINI, Maria, « La vie à l’étranger », Europe, année XXIV, n°11, novembre 1946, p. 138.

97 Outre la fascination que l’Italie exerce sur la presse progressiste, la tendance au compromis qui caractérise les milieux politiques italiens est également mise en évidence dans des magazines d’orientations politiques différentes : dans Carrefour, hebdomadaire démocrate-chrétien, par exemple, on note avec un certain soulagement que « les Italiens ne sont aucunement mûrs pour le régime stalinien et que son introduction prématurée pourrait avoir des conséquences désastreuses » (CORY, M. I., « Le parti communiste et la technique du cout d’état », Carrefour, 28 mai 1947, p. 3.

98 ROY, Claude, Nous. Essai d’autobiographie, Paris, Gallimard, 1972, p. 201.

99 CROCE, Benedetto, « La libertà italiana nel mondo », in Id., Scritti e discorsi politici (1943-1947), vol. I, Naples, Bibliopolis, 1993 [1944], p. 61.

De même, dans les cercles progressistes transalpins, on constate depuis quelques temps l’image d’un « peuple fondamentalement honnête trompé par une classe dirigeante corrompue »100. Au cours de l’année 1946, les reportages d’Italie se font de plus en plus fréquents dans la presse française. Les longues années du fascisme et les événements de la guerre semblent avoir modifié à jamais l’image de l’Italie comme pays du soleil et de la douceur de vivre : les qualités les plus appréciées des milieux intellectuels transalpins sont la vitalité du débat interne et l’esprit de tolérance101, qualités qui relèvent de l’esprit de solidarité nationale surgi pendant la Résistance. On peut signaler, à ce sujet, un écrit de Janine Bouissounouse102 portant sur le voyage au-delà des Alpes accompli par Paul Éluard : le voyage en Italie du poète jouit d’une résonance particulière dans Les

Lettres françaises. Bouissounouse met en évidence les souffrances vécues par le peuple italien qui, au fond, n’a pas vraiment partagé les intentions de Mussolini.

Là [à Milan], comme partout en Italie, le malheur a déferlé comme un océan aujourd’hui pétrifié en vagues mornes. Il n’y a peut-être pas de pays en Europe