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Les principaux résultats obtenus dans la troisième étude de thèse ont mis en évidence une amélioration des performances de détection des cyclistes par les automobilistes suite à l’exposition à

un même message préventif présenté à l’aide de trois supports de communications différents. En comparant ces résultats avec ceux de la deuxième étude de thèse, cela nous amène à conclure que l’information jouerait un rôle important dans l’amélioration des performances de détection des cyclistes par l’automobiliste. Notons toutefois que, dans cette troisième étude, le message utilisé a également généré des émotions négatives. L’amélioration des performances dans la tâche de détection des cyclistes par les automobilistes ne peut donc être ici exclusivement attribuée à l’effet de la composante informationnelle des messages préventifs. Cependant, l’outil de mesure utilisé pour l’évaluation des émotions ressenties dans la deuxième et la troisième étude de thèse (Roue des Émotions) est identique à celui utilisé dans l’étude de Rogé et al. (2015). Nous pouvons donc mettre en perspectives les résultats obtenus dans chacune de ces études. Il apparaît ainsi que les intensités des émotions ressenties dans les trois études semblent assez proches, bien que le matériel utilisé était à chaque fois différent (cf. Figure 4 du troisième article de thèse p.139). Puisque des effets positifs de l’émotion ont été constatés uniquement lorsque le matériel utilisé mettait en scène la vulnérabilité de certains usagers (étude de Rogé et al. (2015) et troisième étude de thèse), nous pouvons conclure que l’information jouerait un rôle primordial dans les communications préventives en sécurité routière en permettant notamment une amélioration de la capacité de l’automobiliste à détecter certains UV.

Par ailleurs, aucun effet significatif du support de présentation du message préventif ne fut observé sur les intensités des différentes émotions négatives ressenties par les participants dans la troisième étude de thèse. Pour rappel, le message préventif utilisé dans cette étude avait été présenté à l’aide de différents supports afin de tenter de faire varier l’intensité du pattern d’émotions générées (dont la colère notamment). Cette absence d’effet du support ne nous a donc pas permis de conclure sur l’existence potentielle d’un seuil de colère au-dessus duquel les performances de détection d’UV seraient dégradées et au-dessous duquel ces performances seraient améliorées. Notons toutefois que le fait de faire varier la modalité de présentation (audio, visuelle, audiovisuelle) du message préventif a permis ici de jouer sur la « constellation d’émotions » générée. Nous avons effectivement vu que la dominance de l’émotion de tristesse était différente dans nos trois groupes expérimentaux (cf. SPEscores calculés dans la troisième étude de thèse). La tristesse semblait en effet moins dominante pour le groupe exposé au support visuel par rapport aux deux autres groupes (auditif et audiovisuel). Cependant, cette dominance de tristesse pour les groupes audiovisuel et auditif comparativement au groupe visuel pendant l’exposition aux supports préventifs ne s’est pas répercutée sur la détection des cyclistes. Il semblerait donc qu’il soit plus intéressant de travailler sur la composante informationnelle afin d’améliorer l’efficacité d’une communication préventive en sécurité routière au cours d’une tâche de conduite consécutive.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Enfin, remarquons que les messages préventifs utilisés dans l’étude de Rogé et al. (2015) faisaient référence à tous les UV (i.e., piétons, cyclistes et motards) et ont permis d’observer uniquement une amélioration des performances de détection des piétons par l’automobiliste. Dans la troisième étude de thèse nous avons constaté qu’utiliser un message préventif mettant en scène exclusivement la vulnérabilité des cyclistes permettait ensuite d’améliorer la capacité des automobilistes à détecter des cyclistes. Ces deux résultats offrent des pistes de réflexion intéressantes. Ils suggèrent qu’il pourrait y avoir un bénéfice à cibler certains usagers (e.g., cyclistes) dans les communications en sécurité routière pour observer ensuite une amélioration spécifique des performances de détection de ces usagers par l’automobiliste. Pour confirmer cela, il aurait pu être intéressant de comparer l’ampleur de l’amélioration des performances de détection dans l’étude de Rogé et al. (2015) et dans la troisième étude de thèse. Malheureusement, les mesures de performances de détection n’étant pas les mêmes (distance de visibilité vs délai entre première fixation et appel de phare) et les performances n’étant analysées pour les mêmes usagers, il semble difficile ici de conclure sur cette question.

La détection des UV par les automobilistes étant au cœur de ce travail de thèse, nous terminerons cette discussion en évoquant l’apport des mesures de performances de détection utilisées dans les deuxième et troisième étude à la problématique de l’évaluation de l’efficacité réelle des messages de sécurité routière.

■ La détection d’usagers en simulation comme évaluation de

l’efficacité d’un message préventif en sécurité routière

Dans le cadre de l’étude de la détection d’usagers de la route par l’automobiliste, plusieurs d’indices ont déjà été mesurés. L’analyse des données oculométriques permet par exemple de déterminer le délai entre l’apparition d’un usager dans une région spécifique de l’environnement routier (zone d’intérêt) et la première fixation sur cette région ou encore le temps passé sur cette zone (Stephens et al., 2013). D’autres métriques comme la durée moyenne des fixations (Boucheix et al., 2013; Nagayama et al., 1979) ou l’amplitude des saccades (e.g., Rogé et al., 2012) sont aussi parfois utilisées dans des études s’intéressant à la détection d’UV. Ces mesures permettent d’apprécier la dynamique d’exploration visuelle de manière plus globale. Cependant, l’analyse de ces indices n’est pas toujours suffisante pour rendre compte de la détection d’usagers lors de la conduite.

Des erreurs de détection liées au phénomène de look-but-fail-to-see peuvent se produire pendant la conduite menant parfois à une mauvaise interprétation de la situation. Pour rappel, il s’agit du fait de porter son regard sur un usager (e.g. un cycliste) sans mettre en place les actions permettant d’éviter la collision ou, du moins, de gérer la situation convenablement (voir Herslund & Jørgensen, 2003 pour un exemple d'étude à ce sujet). L’apparition de ce type d’erreurs suggère que le fait de fixer son regard sur un objet dans l’environnement n’est pas une réponse suffisante pour considérer que celui-ci a été détecté. La distance de visibilité, correspondant à la distance entre l’automobiliste et un usager spécifique au moment où l’automobiliste déclare avoir détecté l’usager en question grâce à une réponse motrice (e.g., appel de phare), est un indice qui fut déjà utilisé dans le cadre de la détection des motards (Rogé et al., 2012), des piétons (Rogé et al., 2015) et des cyclistes (Rogé et al., 2017). Celle-ci possède l’avantage de prendre en compte une réponse motrice de l’automobiliste permettant de s’assurer que l’usager a bien été détecté. Cependant, les caractéristiques de certaines situations de détection mettent en évidence les limites de cet indice. Il se peut par exemple que le participant perçoive l’usager qu’il est censé détecter, mais fasse l’appel de phare (ou la réponse motrice exigée) tardivement, car il est occupé à gérer d’autres aspects de la conduite. Par ailleurs, la distance de visibilité est aussi très dépendante de l’infrastructure routière. Elle propose une « photographie » des positions respectives de l’automobiliste et de l’usager qui doit être détecté à un instant précis, sans tenir compte du temps de traitement de l’information nécessaire à l’automobiliste pour détecter cet usager.

Prenons par exemple deux situations dans lesquelles l’automobiliste doit détecter un UV: la première représenterait un cycliste arrivant de face, au loin sans obstacle à la visibilité, et la seconde, un cycliste arrivant latéralement au niveau d’une intersection dans un environnement urbain. Dans la première situation, la distance de visibilité aura plus facilement tendance à être grande compte tenu de l’absence d’obstacle à la visibilité. En effet, seule taille angulaire du cycliste variera jusqu’à atteindre un niveau permettant la détection (cf. notion de conspicuité sensorielle p.8-9). Dans la deuxième situation, compte tenu de bâtiments qui pourraient venir faire obstacle à la visibilité, la taille angulaire du cycliste lorsqu’il apparaitra sera très rapidement importante, ce qui le rendra facilement détectable. Cependant, compte tenu de l’obstacle à la visibilité, la distance de visibilité pourra être beaucoup plus réduite que dans la première situation. Ces résultats nous amèneraient alors à interpréter que la détection était plus efficace lorsque le cycliste arrivait de face que lorsqu’il surgissait latéralement. Or, ces conclusions ne tiendraient pas compte du temps de traitement de l’information nécessaire à l’automobiliste pour réaliser la détection.

Dans ce travail de thèse, nous avons mis en relation des données enregistrées grâce au simulateur de conduite (e.g., position du véhicule de l’automobiliste, des cyclistes et des obstacles à la

DISCUSSION GÉNÉRALE

visibilité des cyclistes à chaque pas de temps) avec les données oculométriques (e.g., position du regard de l’automobiliste dans l’environnement à chaque pas de temps) pour calculer le temps nécessaire au participant pour actionner l’appel de phare après avoir fixé le cycliste. Grâce à cette mesure, nous souhaitions minimiser les erreurs dues au phénomène de look-but-fail-to-see puisqu’une réponse motrice était produite (appel de phare) par les participants. Nous souhaitions également nous affranchir des limites imposées par la mesure de la distance de visibilité que nous avons évoquées plus haut. De plus, associée à la durée de la première fixation, ces indices permettaient de décomposer le processus de traitement de l’information en plusieurs phases : de l’apparition du cycliste dans le champ de vision du participant jusqu’à la réponse motrice indiquant la détection (une illustration de ce découpage est proposée dans la figure la Figure 22 ci-après). Ce découpage s’avère utile pour mieux comprendre le processus de détection d’un usager de la route dans son intégralité ainsi que le rôle de chacune des étapes du traitement. Par exemple, la durée de la première fixation permettrait de renseigner sur le temps nécessaire à l’individu pour extraire l’information (Marquart et al., 2015), ce qui lui permettrait ensuite de prendre une décision quant à la présence du cycliste avant d’initier une réponse motrice. Dans la troisième étude de thèse, nous avons ainsi pu observer une diminution de la durée des premières fixations pour les personnes ayant été exposées à un message de sécurité routière, et ce quel que soit le support de présentation utilisé. Ces résultats étaient également corroborés par des délais plus courts entre la première fixation et l’appel de phare. Ensemble, ces deux mesures nous indiquent donc que l’exposition à des messages de sécurité routière a permis d’améliorer la capacité des automobilistes à détecter des cyclistes.

Figure 22. Illustration des différentes étapes du traitement de l'information lors de la détection d'un cycliste

Délai ente apparition et 1èrefixation

Durée de la 1èrefixation

Réponse motrice Position du regard

Appel de phare

TEMPS

L’analyse du nombre de saccades par minute, de la vitesse des mouvements de tête et de la durée moyenne des fixations dans la troisième étude a révélé un plus grand dynamisme de l’exploration visuelle chez tous les participants suite à l’exposition aux messages préventifs. L’amélioration des performances dans la tâche de détection des cyclistes après l’exposition aux messages préventifs était donc probablement liée à une recherche d’information dans l’environnement plus active comme en témoignent ces indices.

Pour finir, l’analyse de la vitesse des participants dans les zones-clés (troisième étude de thèse) a permis de mettre en évidence une diminution de la vitesse dans ces zones chez les automobilistes après que ces derniers aient été exposés aux messages de sécurité routière. Notons, au passage, que les zones-clés utilisées étaient définies dans cette étude comme les zones parcourues par l’automobiliste au cours de la conduite, entre le moment où les cyclistes commençaient à s’animer jusqu’à ce que l’automobiliste les détecte. Il s’agissait principalement de zones aux abords d’intersections.

En imaginant les ressources attentionnelles au sens de Kahneman (1973), c’est-à-dire représentées comme un réservoir de ressources avec un stock limité, des pistes d’interprétation intéressantes des résultats concernant la vitesse dans les zones-clés sont alors possibles. En effet, la tâche de détection des UV, couplée à la conduite, a constitué un contexte de double tâche. Selon les prédictions du modèle de Kahneman (1973), dans ce type de situation, les performances à la tâche secondaire seraient dégradées. Dans cette troisième étude de thèse, la consigne donnée aux participants était pourtant la même avant et après l’exposition au message préventif. Il s’agissait dans les deux cas de conduire en détectant le plus rapidement possible les différents UV présents dans l’environnement routier. Par conséquent, la vitesse dans les zones-clés aurait dû être comparable avant et après l’exposition au message s’agissant, dans les deux cas, de la même double tâche. Notons également qu’un raisonnement similaire peut être tenu en s’appuyant sur le modèle de Wickens (2002), lequel propose de multiples réservoirs de ressources attentionnelles en fonction des caractéristiques de la tâche (cf. Figure 4, p.13). Ainsi, les ressources attentionnelles nécessaires à l’activité de conduite et celles requises par la tâche de détection des UV solliciteraient la même modalité sensorielle (visuelle). L’automobiliste puiserait donc, en théorie, dans les mêmes réservoirs de ressources pour réaliser cette double tâche avant et après l’exposition au message préventif.

Cependant il est important d’avoir en tête qu’au cours de la conduite, de nombreuses informations sont à traiter visuellement. Plus un automobiliste roulera vite, plus la densité temporelle d’informations (quantité d’informations à traiter par unité de temps) sera importante (Rogé et al., 2004). Par conséquent, la vitesse plus faible observée lors de la deuxième phase de conduite pourrait

DISCUSSION GÉNÉRALE

s’interpréter comme l’expression de la mise en place d’une stratégie de réallocation des ressources attentionnelles vers la tâche de détection des cyclistes. Ralentir dans les zones-clés permettrait aux automobilistes de faire baisser la densité temporelle des informations à traiter afin d’être plus performants pour détecter des cyclistes. Cette interprétation suggère que le message de sécurité routière utilisé a eu un effet bénéfique sur la conduite en faisant prendre conscience aux automobilistes de la vulnérabilité des cyclistes, ce qui, en retour, les poussa à modifier leur stratégie de conduite afin d’être plus performants pour détecter les cyclistes. Cette modification de stratégie de gestion des ressources attentionnelles au cours des deux phases de conduite de la troisième étude de thèse est illustrée dans la figure Figure 23 ci-dessous en fonction des modèles de Kahneman, (1973) et Wickens (2002) que nous avons évoqués précédemment

Figure 23. Illustrations de la gestion des ressources attentionnelles lors de la première et de la deuxième phase de détection d'usagers vulnérables au cours de la troisième étude de

thèse en fonction des modèles de Kahneman (1973) et Wickens (2002) Détection de cyclistes Conduite Détection de cyclistes Conduite

1

ÈRE

PHASE DE DETECTION D’UV 2

ÈME

PHASE DE DETECTION D’UV

MO

D

EL

E

D

E

K

A

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NE

MA

N

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S

Ce travail de thèse présente également certaines limites. L’une d’entre elles aura probablement été la difficulté à générer les mêmes émotions dans chacune des études menées. Cela nous valut notamment de ne pas pouvoir tester l’hypothèse portant sur l’existence d’un seuil de colère dans la troisième étude de thèse. Néanmoins, en mettant cette limite en perspective avec notre approche des émotions, laquelle s’intègre à d’autres théories comme celles de l’appraisal ou de l’émotion construite, nous pouvons voir à quel point les émotions sembleraient être des phénomènes complexes, multifactoriels rendant parfois difficile la comparaison de différentes inductions émotionnelles. Par ailleurs, il aurait également été intéressant de pouvoir isoler la composante informationnelle des messages préventifs en sécurité routière pour tester son effet sur les performances de détection des cyclistes par l’automobiliste. Malheureusement, il ne nous a pas été possible de le faire compte tenu du matériel qui était à notre disposition. Des pistes d’investigation sont néanmoins proposées dans la partie « Perspectives » de ce manuscrit, présentée ci-après.

En résumé, ce travail de thèse apporte plusieurs éléments de réponse à la problématique de départ. Les résultats obtenus montrent tout d’abord que l’émotion seule (générée par des extraits de films sans lien avec la sécurité routière) ne serait pas une composante suffisante pour améliorer la capacité de l’automobiliste à détecter des cyclistes au cours de la conduite. Ils soulignent également l’intérêt de faire de la prévention en sécurité routière en mettant l’accent sur la composante informationnelle afin de pouvoir ensuite observer des changements témoignant de l’efficacité de la communication préventive. Les résultats obtenus posent aussi la question de l’effet du ciblage de l’information préventive sur certains usagers de la route sur la capacité de l’automobiliste à détecter ensuite spécifiquement ces usagers. La réflexion théorique et les indices développés au cours de ces trois années permettent également de suggérer des perspectives intéressantes d’études à mener pour aller plus loin sur la question l’efficacité des communications préventives, mais aussi, sur l’évaluation émotionnelle.

PERSPECTIVES

PERSPECTIVES

Les conclusions tirées de ce travail de thèse sur la conceptualisation des émotions, mais aussi sur les méthodes utilisées pour identifier les rôles respectifs de l’émotion et des informations délivrées dans les communications préventives sur la conduite offrent des perspectives de recherche intéressantes. Ces conclusions peuvent en effet venir alimenter une réflexion sur de nouvelles études qui pourraient être menées dans le cadre de l’évaluation émotionnelle, mais également dans le registre plus spécifique de l’évaluation de l’efficacité de campagnes préventives.