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La sécurité routière vise à diminuer le nombre de morts sur les routes grâce à un ensemble de mesures. Ces mesures sont à la fois un ensemble de règles à respecter, mais elles regroupent aussi des dispositifs communicationnels d’éducation et de prévention qui peuvent évoluer au cours du temps en fonction des politiques menées par un gouvernement. La sécurité routière possède aussi un versant recherche qui existe depuis le début du siècle dernier et qui tente d’améliorer la sécurité sur les routes grâce aux avancées scientifiques. Dans l’étude de Hagenzieker, Commandeur et Bijleveld (2014), les auteurs se sont intéressés à l’évolution des tendances de recherche dans le domaine de la sécurité routière. Ils présentent la chronologie des différents aspects de la sécurité routière qui ont été étudiés au cours du temps (Tableau 2). Nous pouvons observer que l’aspect prévention et éducation semble apparaître assez tôt historiquement bien qu’il ne s’agisse pas forcément de la forme de prévention au sens où nous l’entendons à l’heure actuelle. En effet, les premières formes d’éducation apparue entre 1920 et 1950 reposaient surtout sur le fait de blâmer les chauffards qui étaient considérés comme les seuls responsables des accidents (Hagenzieker et al., 2014).

Tableau 2. Périodes temporelles et leur paradigme de sécurité routière caractéristique (traduit de Hagenzieker et al. (2014))

En France, ce n’est qu’à partir de 1972, suite à la plus forte mortalité jamais atteinte sur les routes françaises qu’un comité interministériel de la sécurité routière est créé dans le but de lutter

1900 – 1920 1920 - 1950 1950 – 1970 1960 - 1985 1985/1990 – Aujourd’hui Cause de l’accident Le hasard (« pas de chance ») Chauffards Usager ou le véhicule ou la route Approche multi-causale

Résultat du réseau routier dans son intégralité

Objet de recherche

Quoi ? : Que

s’est-il passé ? Qui ? Comment ? : La cause Comment ? : Quelles causes, améliorations techniques Multidimensionnel, analyse économique

Mesures Collecter des

statistiques Punir ou éduquer les chauffards Choix entre ingénierie, éducation ou application Solutions techniques pour le véhicule et la route

Adapter le réseau routier à l’usager de la route

contre l’insécurité routière (La Sécurité Routière, 2014). Trois ans plus tard, la première campagne télévisuelle apparaît sur les écrans3 avec le message suivant : « la vitesse c’est dépassé ». Celui-ci peut sembler aux antipodes des communications préventives auxquelles nous sommes exposés aujourd’hui, lesquelles ont généralement tendance à jouer sur des émotions négatives d’intensité plus élevée. En effet, la stratégie de la menace reste assez utilisée pour communiquer sur la sécurité routière et donne toujours lieu à des recherches à ce sujet. À titre d’exemple, dans l’étude de Daignault et Paquette (2010), les auteurs ont étudié l’efficacité de messages de sécurité routière basés sur la menace grâce à l’analyse de différents types de données. D’une part, des données issues de mesures subjectives telles que l’évaluation continue consistant en une évaluation émotionnelle simultanée à l’exposition aux messages préventifs. D’autre part, la réponse de conductance électrodermale était aussi collectée pendant l’exposition aux messages. L’hypothèse des auteurs était que des publicités réalistes et a fortiori hyperréalistes de par leur caractère dramatique et leur fort potentiel émotionnel entraineraient un « traitement de l’information – en termes de réponses physiologiques, émotionnelles et cognitives – plus important » que des publicités symboliques (i.e., représentant les conséquences d’imprudences au volant simplement grâce à des métaphores ou analogies). Leurs résultats semblent aller dans ce sens-là avec des données subjectives témoignant du fait que les individus ont été plus touchés et plus impliqués émotionnellement par, dans l’ordre, les messages hyperréalistes, puis réalistes et enfin les messages symboliques. Notons toutefois que l’analyse de la conductance cutanée ne confirme pas l’hypothèse formulée par les auteurs puisqu’une activation physiologique plus importante est observée avec les messages hyperréalistes par rapport aux messages réalistes, mais pas entre les messages hyperréalistes et les messages symboliques.

Comme de nombreuses autres études sur l’efficacité des communications persuasives, l’étude de Daignault et Paquette (2010) s’est intéressée aux réponses émotionnelles en lien avec des messages persuasifs. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, de fortes réponses émotionnelles suite à l’exposition à ces mêmes messages (Allen & Witte, 2004; Courbet et al., 2013; Witte, 1992) ne sont pas forcément gage d’efficacité de la communication. En effet, l’individu peut avoir recours à des stratégies (e.g., coping) pour faire diminuer l’intensité des émotions ressenties, ce qui aura tendance à le détourner du message délivré. Malheureusement, peu d’études dans le domaine de la sécurité routière cherchent à évaluer le comportement en situation réelle à l’issue de l’exposition aux communications préventives compte tenu des contraintes techniques, mais aussi éthiques que cela peut poser. Ce type d’étude nécessite en effet, d’une part, de disposer d’un véhicule instrumenté (i.e., utilisant de nombreux capteurs pour que la conduite puisse ensuite être analysée). D’autre part,

3 http://www.ina.fr/video/PUB3212606012/comite-de-la-securite-routiere-la-vitesse-c-est-depasse-roulotte-video.html

CADRE THÉORIQUE : Communication préventive

certaines situations ne peuvent être étudiées compte tenu des dangers qu’elles feraient courir à la fois au conducteur, mais également aux autres usagers de la route. Les situations critiques pour l’automobiliste et les autres usagers de la route constituent effectivement des situations difficiles à étudier de manière écologique. Il serait par exemple compliqué de manipuler l’état émotionnel de participants et d’évaluer ensuite en situation réelle leur capacité à détecter des usagers vulnérables (UV), car le risque d’accident serait trop élevé. Dès lors, comment évaluer les répercussions réelles sur la conduite des communications préventives en sécurité routière sans mettre des personnes en danger ?

L’étude de Rogé et al. (2015) propose à ce sujet une approche expérimentale intéressante. Grâce à l’utilisation d’un simulateur de conduite automobile, un haut niveau de réalisme a pu être atteint dans les situations de conduite proposées aux participants permettant ainsi d’étudier la capacité de l’automobiliste à détecter des UV. L’utilisation d’un tel appareillage s’avère très utile afin d’inférer les conclusions obtenues en simulation sur la conduite réelle. Dans cette étude, les auteurs se sont spécifiquement intéressés à l’effet d’une suite de messages préventifs relatifs à la vulnérabilité des piétons, cyclistes et motards sur la capacité des automobilistes à détecter des piétons et des deux-roues motorisés sur la route. Les messages en question regroupaient des témoignages de victimes de collisions sur la route, des extraits de campagnes audiovisuelles en sécurité routière et des statistiques en lien avec l’accidentologie des UV. Pour rappel, deux groupes de participants étaient formés. Alors que le premier était exposé aux messages préventifs, le second ne l’était pas. Les intensités de plusieurs émotions négatives étaient évaluées par les participants à l’issue de la présentation des messages de sécurité routière grâce à un questionnaire. S’en suivait une tâche de détection d’UV se déroulant sur route dans un simulateur de conduite automobile. Les résultats de cette étude ont permis de mettre en évidence que les différents messages préventifs utilisés avaient amélioré la capacité des automobilistes à détecter uniquement les piétons. De plus, une baisse de la vitesse était également observée dans des zones-clés (i.e., passages piétons et abris bus) pour les participants exposés aux messages préventifs. Concernant l’évaluation émotionnelle, les auteurs ont également constaté que parmi toutes les émotions dont l’intensité avait augmenté suite à l’exposition aux messages de sécurité routière, seule l’intensité de colère était corrélée avec l’amélioration des performances de détection des piétons.

Dans l’étude de Rogé et al. (2015) il est important de souligner que les messages de prévention utilisés pour informer l’automobiliste de la vulnérabilité de certains usagers de la route n’étaient pas neutres. Comme nous l’avons vu précédemment, certaines émotions négatives découlant de l’utilisation de la stratégie de menace peuvent émerger dans le cadre des communications préventives. L’intensité avec laquelle elles sont suscitées peut, en retour, influencer le phénomène de persuasion

(Courbet et al., 2013; Witte, 1992). Par conséquent, nous nous sommes demandé dans le cadre de cette thèse quels rôles ont respectivement joués l’intensité de certaines émotions négatives et les informations en sécurité routière sur la capacité des automobilistes à détecter des cyclistes.

C

e qu’il faut retenir !

 Les communications préventives appartiennent à une plus large catégorie de communications : les communications persuasives.

 La psychologie sociale, la psychologie cognitive et les neurosciences apportent un éclairage intéressant dans l’étude des communications persuasives, lequel peut ensuite servir à l’étude des communications préventives.

 La stratégie de communication basée sur la menace est souvent utilisée dans les communications préventives, notamment dans le cadre de la sécurité routière.

 L’intensité des émotions négatives générées par un message préventif pourrait apparaître comme un potentiel prédicteur de son efficacité. Cependant, cette variable doit être manipulée avec précaution pour ne pas devenir contre-productive.

 Le couplage de mesures subjectives et objectives (e.g., physiologiques) est intéressant dans le cadre de l’étude de l’efficacité des communications préventives.

 L’évaluation de l’efficacité des communications préventives en sécurité routière à travers des situations écologiques mérite d’être plus amplement explorée.