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CHAPITRE 2 : Contextualiser l’école inclusive comme référentiel en éducation

3.2 Les questions de recherche

Afin de comprendre les problématiques auxquelles le mouvement de l’école inclusive fait face à Genève, il paraît nécessaire de s’intéresser aux acteurs politiques genevois. En effet, puisque ce sont eux qui décident de l’action publique, ils sont amenés à collaborer activement en vue de produire et de façonner les conceptions actuelles de l’éducation inclusive et de proposer les meilleures pratiques applicables pour sa mise en œuvre. Par conséquent, il conviendra dans ce travail de mémoire de répondre à la question suivante :

Comment les acteurs institutionnels impliqués dans les politiques éducatives genevoises s’approprient-ils le concept de l’école inclusive ?

De cette vaste question, nous en formulons quelques-unes plus précises :

3.2.1 Comment les acteurs politiques genevois analysent-ils l’arrivée de ce sujet sur la sphère politique ?

À travers cette première question de recherche, nous essayerons d’une part de comprendre les idées des acteurs politiques genevois sur le problème public duquel émerge la thématique de l’école inclusive à Genève. D'autre part, nous essayerons de comprendre leurs idées sur les sources de l’éducation inclusive. Autrement dit, quels acteurs institutionnels et quels groupes d’intérêt ont influencé et participé à la mise à l’agenda de cet objet ? En tentant de répondre à cette question de recherche, nous visons à montrer en quoi cette politique d’inclusion est le fruit d’une action collective et postulons que leurs idées sur l’émergence de l’éducation inclusive à Genève influencent leur perception du concept et donc, leur appropriation. Ainsi, une attention particulière sera portée à la

place que les différents acteurs accordent aux entrepreneurs de cause “internationaux” que nous avons présentés au chapitre 2, parce qu’ils ont défini le concept d’école inclusive.

D’après le recours des militant·es suisses aux instances intergouvernementales pour garantir l’application de l’inclusion, nous faisons l'hypothèse que les acteurs issus des milieux associatifs font davantage référence aux organisations intergouvernementales que les autres acteurs politiques, se ralliant à la volonté de ces derniers de voir l’école inclusive se réaliser et de former ainsi un groupe plus important, avec une plus grande influence.

3.2.2 Comment les acteurs politiques genevois définissent-ils le concept d’école inclusive ?

Dans la première partie de ce travail, nous avons mis en lumière que l’inclusion scolaire se décline sous de multiples formes depuis son émergence (Prets & Weber, 2005; Armstrong, 2001;

Ebersold, 2009) et ce, parce que l’éducation inclusive s’inscrit dans un continuum (Lebossé, 2017) et qu’elle est qualifiée de processus par l’Unesco (2017). Parallèlement, nous avons vu qu’un changement de paradigme entre l’école inclusive et de l’intégration scolaire fait désormais l’objet d’un consensus scientifique. Les différences de ces deux modèles éducatifs empêchent alors les termes d’être employés de façon interchangeable (Thomazet, 2006) et les modèles d’être combinés (Ebersold, 2009), en dehors d’un processus de transition.

Ces différents constats nous amènent alors à nous interroger sur les idées des acteurs institutionnels à propos de l'école inclusive et donc, à nous intéresser aux définitions qu’ils en partagent. Pour cela, nous allons d’abord porter notre attention sur la clarté des définitions : sont-elles réellement formalisées, floues ou absentes des discours ? Identifient-sont-elles les différentes caractéristiques d’un système éducatif inclusif ? Ensuite, nous tâcherons de déterminer si les interviewés sont conscients des différences entre les concepts d’intégration scolaire et d’inclusion scolaire. Enfin, nous avons pour ambition de comprendre si leurs idées à propos de l’école inclusive renvoient à une vision d’un système éducatif présentant une unification de l’offre d’éducation - qui regroupe les systèmes ordinaire et spécialisé - ou si elles tendent vers d’autres formes d’accès à la scolarisation. Ainsi, nous postulons que ces éléments nous permettront de comprendre l’appropriation par les acteurs politiques du concept de la Déclaration de Salamanque.

3.2.3 Les valeurs de l’école inclusive sont-elles privilégiées par les acteurs institutionnels impliqués dans les politiques éducatives genevoises ?

D’après Thomazet et Merini (2019), les nouvelles croyances et valeurs rattachées à l’école inclusive relèvent d’un changement de paradigme. Elles sont, par conséquent, annonciatrices de ce changement (Thomazet et Merini, 2019). De plus, Tremblay (2020) explique que les valeurs et attitudes font partie des 10 conditions de réussite de l’inclusion. Par conséquent, en demandant si celles qui sont portées par les acteurs sont privilégiées par rapport à d’autres valeurs, nous saurons si nous apercevons l’émergence d’un nouveau paradigme concernant les valeurs éducatives.

Nous nous demanderons dans un premier temps si les décideurs politiques affirment adhérer à l’inclusion scolaire et, dans un second temps, nous nous intéresserons aux valeurs et attitudes qu’ils mettent en avant au travers de leur discours. Thomazet et Merini (2019) expliquent à ce sujet que l’on peut observer ce changement au niveau du système scolaire si les acteurs passent du constat “cet enfant n’a pas sa place à l’école” au questionnement “comment lui donner une place”? Ainsi, nous porterons une attention à ces réflexions et aussi, aux valeurs qu’ils défendent.

3.2.4 Les acteurs politiques genevois perçoivent-ils l’éducation inclusive surtout en termes de handicap et de “besoins spéciaux” ou s'appuient-ils sur une définition globale de l’école inclusive ?

D’après Ainscow et Miles (2008), ce n’est qu’en s’accordant sur une vision commune de l’école inclusive, sous tendue par diverses mesures spécifiques à prendre en compte pour la mettre en place, que nous pourrons faire un pas vers l’édification de sociétés inclusives. De ce fait, l’Unesco (2009) conseille à tous les pays partenaires d’être attentifs à la définition qu’ils donnent à l’école inclusive en se posant, entre autres, ces deux questions : “Est-ce que les politiques s’appuient sur une définition globale de l’école inclusive ? Est-ce qu’elles font la différence entre les enfants ayant des besoins spéciaux et l’éducation inclusive?”

Sachant que l’école inclusive s’appuie sur trois idées - éducative, économique et sociétale - nous nous demanderons si ces idées sont présentes dans les discours des acteurs politiques et s’ils disent que cette école s’adresse à toutes et tous ou s’ils concentrent davantage leurs discours sur la thématique du handicap pour parler de l’école inclusive. Ces questions de l’organisation internationale nous paraissent importantes à se poser en raison de l’association des termes intégration et élèves à BEPH aux principes de l’école inclusive dans la LIP. Du fait que Genève soit le seul canton suisse à distinguer le terme “ handicapé” du terme “personne à besoins éducatifs particuliers” et que les élèves

en situation de handicap sont encore ceux qui sont le plus exclus de l’école (Unesco, 2009), nous faisons l’hypothèse que les acteurs politiques perçoivent davantage l’école inclusive sur le handicap et les “besoins spéciaux”. Par conséquent, nous nous demanderons quelles sont leurs représentations du handicap et des BEP et à quelles prises en charge elles renvoient. De cette façon, nous supposons que nous saurons si ces définitions (globales et/ou axées sur besoins spéciaux) et représentations de l’enfant s’articulent à une approche inclusive et si elles sont articulables ? Enfin, cela espérons que cela nous permettra de savoir si la notion BEP est effectivement un obstacle à la réussite de l’école inclusive (Ebersold et Armagnaque, 2021)

3.2.5 Comment les acteurs analysent-ils le processus de changement qui s’opère depuis quelques années ?

Parce qu’il n’est pas de réflexion éthique hors des situations (Lapeyre, 2005, p.2), il nous paraît important d’observer les liens que les acteurs peuvent faire entre la conception de l’école inclusive et son développement à Genève. D’autant plus que, pour reprendre les mots de Gardou, “[lorsqu’un]

concept paraît et se diffuse, il est, nous le savons, naturellement sujet à débat. Ni sa signification ni sa valeur ne sont gravées dans le marbre”. (2017, p.1) Ainsi, cette question nous permettra de cerner l’influence de la nouvelle LIP sur les représentations de l’école inclusive des acteurs et si de nouveaux référentiels sont mis à jour. À travers cette dernière question, nous espérons aussi déceler les attentes actuelles des acteurs politiques envers l’école et si ces attentes redéfinissent le concept de l’école inclusive.

3.3 Eléments conclusifs

En définitive, nous espérons que toutes ces questions nous permettront de comprendre comment les décideurs politiques genevois comprennent et s’approprient ce concept de l’école inclusive. Pour répondre à ces différentes questions, nous mobiliserons la théorie des trois “i” (les idées, les intérêts et les institutions) pour analyser “la conception” de cette action publique genevoise et nous utiliserons l’approche par l’analyse séquentielle. Cette dernière nous aidera à porter notre attention sur la première phase d’une action publique : l’identification du problème (Jones, 1970).

Rapidement, nous rappelons ici le rôle de ces trois dimensions et les logiques d’action des acteurs dans la conception de l’école inclusive. Le premier “i”, celui des idées à propos de l’école inclusive, nous permettra d’identifier les thématiques et éléments favorisés par les acteurs. Le second

“i” concernant les “intérêts”, nous permettra d’étudier les relations et les jeux des acteurs pour

défendre leur vision sur la solution à adopter (“one track approach”, “two track approach” ou

“mixte”). Ces intérêts seront observés à travers leurs arguments, ces derniers faisant partie de leurs stratégies (Lascoumes et Le Galès, 2012). Le troisième “i” pour “institution”, nous aidera à déterminer le poids des institutions dans les différentes conceptions de l’école inclusive. Enfin, à l’instar de Sonia Revaz (2020), nous nous demanderons si les alliances et oppositions se dessinent au regard d’idées communes ou antagonistes ou si elles proviennent de fonctionnements institutionnels et politiques spécifiques à Genève. Nous espérons ainsi clarifier sur quels fondements cette école inclusive commence à se bâtir dans le canton de Genève, si les intérêts et avis aboutissent à un consensus ou un compromis et si nous apercevons l’émergence d’un nouveau paradigme concernant les valeurs éducatives.