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Les questions de l'école inclusive

CHAPITRE 2 : Contextualiser l’école inclusive comme référentiel en éducation

2.7 Les questions de l'école inclusive

Comme nous pouvons le constater, l'école inclusive fait l’objet d’une préoccupation grandissante au niveau mondial, et ce depuis une vingtaine d’années. Si elle concerne tous les enfants, la scolarisation de certains d’entre eux n’est toujours pas effective (Unesco, 2009). En 2009, ce sont les enfants en situation de handicap qui sont encore les plus touchés par l’exclusion scolaire, formant le tiers des non scolarisés (Unesco, 2009). Le premier rapport mondial sur le handicap8 atteste ce constat : les personnes en situation de handicap sont toujours victimes, à différents degrés, de violations de leurs droits à l’éducation, et ce malgré les normes et mécanismes juridiques en vigueur.

De plus, des auteurs constatent que le nombre d’élèves dans les dispositifs d’éducation spécialisée et ségrégatifs peinent à diminuer (Rufin et Payet, 2012; Ebersold, et al., 2016).

À quoi est due cette stagnation de l’exclusion scolaire et la faible application des principes de l'école inclusive ? Dans ce chapitre, nous allons présenter différentes questions que soulève cette école.

2.7.1 L’éducation intégrative et l’école inclusive

Même si l’intégration et l’inclusion ont pour similitude de lutter contre la ségrégation scolaire en s’appuyant sur le droit, l'inclusion, davantage systémique, comporte divers traits distinctifs de l’intégration. Selon Ebersold (2009), l’inclusion s’oppose à cette notion même d’intégration pour deux raisons principales. Premièrement, elle ne se limite pas à une adaptation architecturale et technique pour accueillir les élèves physiquement handicapés. Deuxièmement, elle se réfère à un ensemble plus vaste de valeurs pour créer une société plus tolérante et équitable, et où les différences seraient

“acceptées et célébrées” (Ebersold, 2009, p. 89). En effet, selon l’auteur, l’inclusion comporte des questions plus largement politiques sur la nature de la société et sur le statut accordé aux personnes en situation de handicap. En comparaison, l’intégration se focalise essentiellement sur des questions techniques, et reste limitée à des dispositifs compensatoires (Thomazet et Merini, 2019).

Pourtant, ces distinctions ne semblent pas si évidentes pour certains acteurs sociaux. En effet, ces deux notions seraient souvent confondues (Ebersold, 2009), et ceci même dans la littérature scientifique (Avramidis & Norwich, 2002) ; elles sont en effet couramment utilisées de façon interchangeable (Thomazet, 2006), montrant la confusion que représentent ces concepts chez les

8Le premier rapport mondial sur le handicap est initié conjointement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale en 2011.

acteurs concernés. Par conséquent, les représentations de l'École inclusive ne permettent pas d’identifier clairement les caractéristiques qui la définissent (Thomazet, 2006).

Par ailleurs, la combinaison de ces deux mouvements serait problématique (Ebersold, 2009).

En effet, comme l’organisation scolaire propre à chacune est différente de l’autre (Ebersold, 2009), voire incompatible (Pelgrims, 2016), la première barrière de l’inclusion scolaire serait liée à l’intégration scolaire (Lapeyre, 2005). Par exemple, Pelgrims (2016) explique que l'intégration scolaire, qui s'appuie généralement sur des procédures diagnostiques psycho-médicales administrativement lourdes, ne permet pas de mettre en place des mesures flexibles ; cette flexibilité est pourtant au cœur de l'idée même de l'école inclusive, selon laquelle chaque enfant peut, au cours de son parcours scolaire, avoir besoin de ressources et mesures particulières.

En outre, la coexistence d’un système ordinaire et d’un système spécialisé établit différents services et passerelles entre les deux pôles (Prets et Weber, 2005). Même si cette collaboration s’organise à des degrés variables, il subsiste des critères qui déterminent quels élèves ont le droit de rester dans une école de type inclusive et quels élèves sont orientés vers une autre structure. Cette coexistence entraîne alors des effets négatifs qui sont alors doubles. Premièrement, Rufin et Payet (2015) expliquent que tant qu’il y aura des offres de classes spécialisées, il y aura l’existence d’une demande pour une scolarisation séparée. Par conséquent, malgré l’existence d’outils pour déterminer de façon rationnelle les critères d’orientation, il est difficile de neutraliser les variables externes (parents, enseignant·es, etc.). Pour la chercheuse et le chercheur, “l’orientation vers l’enseignement spécialisé procède sans doute plus d’une logique au service des intérêts des enseignants que pour le bien des élèves” (p.66). Ces variables sont même appelées par Jean-Paul Payet et Diane Rufin (2015) les “trois handicaps”, imputables à leur environnement physique et contextuel, ainsi qu’aux relations qui s’y rattachent (pratiques d’enseignements, de méthodes didactiques ou encore des conceptions des professionnels). D’ailleurs, dans la plupart des pays occidentaux, les enfants (et plus souvent les garçons que les filles) issus de l’immigration et/ou de milieux socio-économiques défavorisés sont plus souvent déclarés comme “élèves présentant des difficultés d’apprentissage” (Payet et Rufin, 2015;

Crahay et Dutrévis, 2015), se retrouvant placés plus fréquemment dans des institutions ou des classes dites “spécialisées” que leurs homologues de milieux favorisés. Toutefois, le diagnostic issu des différentes épreuves de raisonnement logique et de traitement de l’information révèle un potentiel intellectuel intact (Globerson, 1983; Garber et Hodge, 1991; Pascual Leone et Ijaz, 1989, repris par Cèbe & Goigoux, 1999). Partant de ce constat, Diane Rufin et Jean-Paul Payet ont alors étudié les arguments du corps enseignant pour signaler les élèves. Les auteurs relèvent le “manque de concentration, [l’]instabilité, [l’]agressivité… L’hyperactivité et le manque de maturité [comme critères

qui] expliquent de manière objective aux yeux des enseignants ces problèmes de comportements”

(Payet et Rufin, 2015, p.65). Ainsi, des élèves peuvent être rejetés de leur classe de façon arbitraire, simplement parce que le fonctionnement du système éducatif, proposant une école ordinaire et une école spécialisée, le permet.

Deuxièmement, lorsque toutes les conditions pour mettre en place une intégration ou une inclusion sont réussies, il peut subsister une amertume, qui peut être liée à un doute quant à la prise de décision (Lapeyre, 2005). Lapeyre (2005) explique que les professionnel·les et/ou la famille se demandent si elles ont fait le bon choix quant à cette expérience qui ne cesse d’être remise en question. Ce double système entraîne effectivement un doute quant à la scolarité de l’enfant en situation de handicap, qui reste toujours “trop loin” ou “trop près” de l’école (Lapere, 2005).

2.7.2 L'école inclusive et la catégorisation

Et dans le cas où les écoles spécialisées se transforment et/ou disparaissent, est-ce que l’école inclusive, attentive à la diversité des profils scolaires, pourrait permettre à la société de se distancer des processus d’étiquetage, d’établir des normes plus souples et assorties à des répercussions moindres (Goffman, 1975) ? L'avènement de la catégorie “besoin éducatif particulier”, catégorie d’action publique à part entière (Payet et Rufin, 2021) et fabriquée socialement (Ebersold et Armagnaque, 2021) interroge. En effet, plusieurs articles relèvent que les élèves à BEP représentent une catégorie aux contours flous (Rufin et Payet, 2021 ; Ebersold et Armagnaque, 2021). Ce flou rend non seulement difficile la qualification des élèves à BEP (au regard de leurs besoins, de leur profil, etc.) mais conduit aussi à distinguer les élèves à BEP des élèves en situation de handicap, comme si les spécificités des élèves à BEP ne les mettaient pas en “situation de handicap”, restreignant leur accès à l’école, ou que les élèves en situation de handicap n’avaient pas de BEP (Ebersold et Armagnaque, 2021). De plus, nous avons vu que :

les politiques inclusives invitent les acteurs de l’école à mettre en arrière-plan tout raisonnement médical mettant l’accent sur des besoins induits par un trouble de la santé ou la sévérité de la déficience au profit de la complexité de besoins éducatifs auxquels peuvent répondre la différenciation des pratiques pédagogiques, la réalisation des aménagements nécessaires ou encore la mobilisation des soutiens idoines (INSERM, 2013). (Ebersold et Armagnaque, 2021, p.42)

Pourtant, depuis les années 1990, le nombre d’enfants à BEP a augmenté dans de nombreux pays européens (European Agency for Special Needs and Inclusive Education, 2018) ; il en est de même

pour les outils d’évaluation (Ebersold et Armagnaque, 2021). De plus, la catégorie BEP est toujours fondée sur une logique médicale, reconnaissant certains facteurs comme des sources de difficulté scolaire (santé, déficience, origine sociale, haut potentiel, etc.). De ce fait, les conditions d’éligibilité conditionnent toujours les aménagements et le soutien aux élèves, et la catégorie est loin d’inciter les acteurs à se focaliser sur les facteurs soutenant l’accessibilité, l’environnement scolaire, et les dispositifs de soutien (Ebersold et Armagnaque, 2021). Au contraire, les difficultés sont perçues comme des propriétés de l’élève, suggérant son inéluctabilité (Ebersold et Armagnaque, 2021). Cette vision essentialiste participe à proposer des dispositifs de soutien qui paraissent inefficaces et enserrent même les élèves dans des trajectoires disqualifiantes (Ebersold et Armagnaque, 2021).

D’après le Conseil supérieur de l’éducation (2017), une solution pour décentrer l’attention du corps enseignant sur les caractéristiques de l’élève réside dans l’utilisation, certes complexe, de la différenciation pédagogique. Pour Rufin et Payet (2021), un regard plus positif sur les élèves et sur leurs différences est nécessaire pour sortir les situations d’un registre déficitaire et arrêter de rendre les catégories toujours plus nombreuses. Ces solutions découlent de conditions pourtant reconnues comme étant nécessaires à l’inclusion. Pourquoi se heurtent-elles à la persistance, pour les acteurs en question, de continuer à centrer leurs préoccupations sur les caractéristiques des élèves ? Comment ces acteurs peuvent-ils se détacher de la catégorie BEP et sortir de la catégorisation des élèves ?

2.7.3 Conclusion

En conclusion, il ressort que la stagnation de l’exclusion sociale et la faible application des principes de l’école inclusive découlent de deux facteurs principaux : le lien qui existe entre l’intégration scolaire et l’école inclusive et la réalité ou la pertinence même de la notion BEP (Ebersold et Armagnaque, 2021). En effet, nous avons vu qu’il existe encore certaines ambiguïtés entre l’école intégrative et l’école inclusive. Cette confusion amène des auteurs à s’interroger “sur l’intérêt de ce concept d’inclusion perçu comme abscons et apparemment redondant par rapport à celui de l’école intégrante” (Lapeyre, 2005, p.36). Pourtant, la revue de la littérature explicite ces différences, comme le rappelle ce tableau synthétique des différentes prises en charge des élèves à BEP:

Tableau 2

Synthèse des trois modèles de prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers

Ségrégation Intégration - Mainstream Intégration - Inclusion Période Première conception,

Système éducatif Ségrégatif Intégratif (physique ou social) basé sur la sélection

Aide aux enfants, qui reçoivent un enseignement spécial Aide aux personnels de l’école (qui doivent adapter leurs leurs interventions)

Modèle de l’enfant Clinique :

- centré sur le déficit

- basé sur le diagnostic médical, les statistiques, le classement

Pédagogie thérapeutique : les enfants ont besoin d’une pédagogie spéciale, basée sur leur déficience, à visée réparatrice

Pédagogie différenciée : les enfants reçoivent un enseignement différencié en fonction de leurs besoins

Modèle

Note. Tableau repris de Thomazet (2006, p.22) (*Pour situation catalane, voir Jiménez (2003)).

Si ces ambiguïtés sont relevées, il subsiste souvent une coexistence de ces deux mouvements qui est problématique, puisqu’elle maintient les élèves dans une logique de catégorisation et d’exclusion sur les bases d’une division arbitraire. Enfin, dans le cas où l’organisation de l’école est modifiée et qu’il ne reste plus que l'école inclusive, nous voyons que la notion de BEP qui y est rattachée amène de nouvelles questions. En effet, comme celle-ci va de pair avec une norme scolaire individualisante et une conception managériale de l’éducation (Woolven, 2021), l’institution scolaire persiste à penser que la difficulté scolaire provient de l’élève, négligeant ainsi la relation pédagogique existante. Par conséquent, dans ces conditions, l’école ne s’est toujours pas transformée pour soutenir les plus faibles, ni pour constituer l’avènement d’une société post-normative.