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L’école inclusive à Genève : quelle école pour toutes et tous ?

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Academic year: 2022

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Master

Reference

L'école inclusive à Genève : quelle école pour toutes et tous ?

SAVIOZ, Mélanie

Abstract

Cette étude s'intéresse à la thématique de l'école inclusive à Genève. À travers des outils sociologiques de l'action publique et des entretiens semi-directifs auprès d'acteurs politiques, cette étude répond à la question : Comment les acteurs institutionnels impliqués dans les politiques éducatives genevoises s'approprient-ils le concept d'école inclusive ? Les résultats montrent que l'action publique en matière d'école inclusive est le fruit de plusieurs acteurs aux idées variées sur le handicap et intérêts qui sont liés à des institutions. Le concept se modifie pour tendre vers le concept d'intégration et n'est pas présenté comme un nouveau paradigme. Derrière les nombreuses réflexions sur sa réalisation, on peut se demander si la question du “pourquoi” vouloir une école inclusive a réellement été résolue puisque la diversité des élèves n'est pas perçue comme une richesse, que la question du diagnostic n'est pas critiquée et que l'approche ségrégative n'est que peu remise en question.

SAVIOZ, Mélanie. L'école inclusive à Genève : quelle école pour toutes et tous ?. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155078

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L’école inclusive à Genève : quelle école pour toutes et tous ?

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA

Maîtrise en Analyse et intervention des systèmes éducatifs

PAR

Melanie Savioz

DIRECTRICE DU MEMOIRE Barbara Fouquet-Chaprade

DIRECTRICE DU MEMOIRE Georges Felouzis

JURY

Bernard Wentzel

GENEVE, SEPTEMBRE ET 2021

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RESUME

Cette étude s’intéresse à la thématique de l’école inclusive à Genève. À travers des outils sociologiques de l’action publique et des entretiens semi-directifs auprès d’acteurs politiques, cette étude répond à la question : Comment les acteurs institutionnels impliqués dans les politiques éducatives genevoises s’approprient-ils le concept d’école inclusive ? Les résultats montrent que l’action publique en matière d’école inclusive est le fruit de plusieurs acteurs aux idées variées sur le handicap et intérêts qui sont liés à des institutions. Le concept se modifie pour tendre vers le concept d’intégration et n’est pas présenté comme un nouveau paradigme. Derrière les nombreuses réflexions sur sa réalisation, on peut se demander si la question du “pourquoi” vouloir une école inclusive a réellement été résolue puisque la diversité des élèves n’est pas perçue comme une richesse, que la question du diagnostic n’est pas critiquée et que l’approche ségrégative n’est que peu remise en question.

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Déclaration sur l’honneur

Je déclare que les conditions de réalisation de ce travail de mémoire respectent la charte d’éthique et de déontologie de l’Université de Genève. Je suis bien l’auteur-e de ce texte et atteste que toute affirmation qu’il contient et qui n’est pas le fruit de ma réflexion personnelle est attribuée à sa source ; tout passage recopié d’une autre source est en outre placé entre guillemets.

Genève, le 8 septembre 2021………

Prénom, Nom, Mélanie Savioz.………

Signature………..

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REMERCIEMENTS

Je souhaite adresser mes chaleureux remerciements...

À ma Directrice de mémoire Barbara Fouquet-Chauprade et mon Directeur de mémoire Georges Felouzis pour m’avoir accompagnée tout au long de ce travail et avoir suivi mon avancée avec bienveillance et bonne humeur. Vos précieux conseils m’ont permis de surmonter toutes les épreuves, de comprendre davantage mon sujet et la démarche scientifique. Je vous remercie d’ailleurs pour m’avoir ouvert les portes de votre fabuleuse équipe du GGAPE.

À toute l’équipe du GGAPE, et en particulier mes collègues du bureau 4339 : Sonia, Killian, Julia et Karelle. Je n’aurais pu rêver de meilleurs exemples que vous pour me guider dans mon travail. Merci Karelle, pour avoir été un pilier depuis le stage en passant par le semi-confinement et jusqu’à aujourd’hui.

À l’équipe GRAFE’MAIRE et spécialement à Anouk pour tout ce que tu m’as appris au travers de notre collaboration et ton aide précieuse. Merci aussi à Egzona, pour tous ces souvenirs d’études.

À tous ces fameux acteurs politiques et entrepreneurs de cause pour avoir partagé vos conceptions de l’école inclusive. Je vous en suis infiniment reconnaissante d’avoir participé à la réalisation de ce travail.

À tous mes proches pour votre bienveillance, de près ou de loin ; À Alix, ma partenaire de Master et d’interminables séances de boulot. Merci pour toutes nos discussions et ton regard toujours avisé sur l’éducation. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans toi…; À Abele, pour toutes les heures passées à parler de mon mémoire, de tout et de rien, à partager nos réflexions, pour ton soutien sans faille. Merci d’avoir rendu ce travail le moins stressant possible et d’embellir mon quotidien.

Je remercie enfin ma famille, de tout mon cœur, pour m’avoir permis de mener à bien tous mes projets et sans qui je n’aurais jamais pu faire tout ça. Merci à vous, mes parents et Pierre, mon petit frère, pour vos relectures et pour Balou. Merci d’être la meilleure équipe qui soit ! Merci à Aline d’avoir géré notre petite entreprise pendant les périodes de rush et à ma grand-maman pour m’avoir fait découvrir Alexandre Jollien et qui m’a fait comprendre, par la même occasion, l’importance de progresser dans la joie et de considérer le monde comme des petites boîtes de silènes, recelant en leur sein des trésors.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction

1.1 La sociologie de l’action publique en matière d’éducation 10 1.2 Des outils conceptuels de la sociologie de l’action publique 12

1.2.1 Les problèmes publics 12

1.2.2 La mise à l’agenda 12

1.2.3 Les catégories d’acteurs 13

1.3 Etudier les acteurs à l’aune des approches et modèles sociologiques 14

1.3.1 L’approche séquentielle de l’action publique 14

1.3.2 La théorie des trois “i” 15

1.3.3 Le modèle d’analyse le “pentagone” 17

1.3.4 Eléments conclusifs 18

2.1 L’hétérogénéité des élèves comme problème public 19

2.2 Le handicap, un problème public 20

2.3 L’intégration scolaire, une réponse aux élèves en situation de handicap 21 2.4 L’émergence de l'école inclusive, une nouvelle action publique pour réaliser l’école pour toutes

et tous 23

2.4.1 Des sources internationales 24

2.4.2 Des sources nationales 27

2.4.3 Eléments conclusifs 28

2. 5 L’école inclusive 28

2.5.1 Définition de l’école inclusive 28

2.5.2 Inclusion scolaire et système éducatif inclusif 29

2.5.3 Une nouvelle conception de la diversité et du handicap 30

2.5.4 Obligation scolaire pour toutes et tous 32

2.5.5 Les modes d’organisation pédagogiques 33

2.6 Les conditions de réussite de l’école inclusive 34

2.7 Les questions de l'école inclusive 37

(7)

2.7.1 L’éducation intégrative et l’école inclusive 37

2.7.2 L'école inclusive et la catégorisation 39

2.7.3 Conclusion 40

2.8 Les différentes formes de scolarisation pour gérer l’hétérogénéité des élèves 42

2.8.1 L’école inclusive, une perspective internationale 42

2.8.2 L’école inclusive en Suisse 44

2.9 L’école inclusive à Genève 45

2.9.1 Un contexte politique et juridique 45

2.9.2 La mise à l’agenda de l’école inclusive 47

2.9.3 Les entrepreneurs de cause de l’école inclusive 49

2.9.4 L’application de l’action publique 50

3.1 Problématique 51

3.2 Les questions de recherche 53

3.2.1 Comment les acteurs politiques genevois analysent-ils l’arrivée de ce sujet sur la sphère

politique? 53

3.2.2 Comment les acteurs politiques genevois définissent-ils le concept d’école inclusive ? 54 3.2.3 Les valeurs de l’école inclusive sont-elles privilégiées par les acteurs institutionnels impliqués

dans les politiques éducatives genevoises ? 55

3.2.4 Les acteurs politiques genevois perçoivent-ils l’éducation inclusive surtout en termes de handicap et de “besoins spéciaux” ou s'appuient-ils sur une définition globale de l’école inclusive

? 55

3.2.5 Comment les acteurs analysent-ils le processus de changement qui s’opère depuis quelques

années ? 56

3.3 Eléments conclusifs 56

4.1 Enquête auprès des élites politico-administratives et des militant·es 57

4.2 Des entretiens semi-directifs 59

4.3 Des analyses qualitatives 60

4.4 Difficultés rencontrées 61

4.4.1 Anonymisation des données 62

4.4.2 Interprétation des données 63

(8)

5.1 Comment les acteurs politiques genevois analysent-ils l’arrivée de ce sujet sur la sphère

politique? 64

5.2 Comment les acteurs politiques genevois définissent-ils le concept d’école inclusive ? 68

5.2.1 : Une définition formalisée, floue ou absente ? 68

5.2.2 : Les caractéristiques d’une école inclusive 69

5.2.3 : Des différences entre les concepts d’intégration et d’inclusion ? 72 5.2.4 : L’école inclusive, un concept complexe ou un manque de consensus ? 76 5.3 Les valeurs de l’école inclusive sont-elles privilégiées par les acteurs institutionnels impliqués

dans les politiques éducatives genevoises ? 77

5.3.1 : L’école inclusive, une adhésion déclarée aux valeurs ? 77

5.3.2 : L’école inclusive, des valeurs privilégiées ? 78

5.3.3 : L’école inclusive, pourquoi ou comment ? 80

5.4 Les acteurs politiques genevois perçoivent-ils l’éducation inclusive surtout en termes de handicap et de “besoins spéciaux” ou s’appuient-ils sur une définition globale de l’école inclusive ?

82 5.4.1 Quelles sont les terminologies du handicap utilisées ? 84 5.4.2 : Quelles sont les représentations de l’enfant chez les acteurs politiques ? 85 5.4.3 : Quels sont les modèles pédagogiques proposés ? Erreur ! Signet non défini.

5.5 Comment les acteurs analysent-ils le processus de changement qui s’opère depuis quelques

années? 88

6.1 L’arrivée du sujet de l’école inclusive sur la scène politique genevoise 95

6.1.1 Un problème publique peu identifié 95

6.1.2 Plusieurs modèles de mise à l’agenda 96

6.1.2.1 L’anticipation 96

6.1.2.2 La mobilisation externe 97

6.1.2.3 La mobilisation interne 98

6.1.3 Des variables à prendre en compte dans la mise à l’agenda 99

6.1.4 : Eléments conclusifs 100

6.2 Les définitions de l’école inclusive 101

6.2.1 Des définitions floues, un concept complexe, mais des idées claires 101

(9)

6.2.2 Une réappropriation consciente du concept de l’école inclusive ? 102

6.2.3 : Eléments conclusifs 103

6.3 Les valeurs de l’école inclusive sont-elles privilégiées par les acteurs institutionnels impliqués

dans les politiques éducatives genevoises ? 104

6.3.1 Des valeurs officiellement communes, des attitudes plus contrastées 104 6.3.2 Un intérêt pour une prise en charge médicale et assistée 105 6.4 L’école inclusive, une conception globale ou axée sur des “besoins spéciaux” ? 107 6.4.1 Une vision partiellement globale associée à un problème irrésolu d’exclusion 107

6.4.2 L’individualisme plutôt que la diversité 108

6.4.3 Les représentations du handicap et des besoins éducatifs particuliers 109 6.5 L’analyse du processus de changement de l’école inclusive à Genève 112

6.5.1 Un nouveau problème public ? 112

6.5.2 Quelles solutions pour une meilleure application des principes de l’école inclusive ? 114

Conclusion 114

Bibliographie 116

Annexes 128

(10)

Introduction

Le risque, dans une société où les opportunités individuelles dépendent encore largement du jugement scolaire, est d’essentialiser la réussite ou l’échec sans questionner le système, ses normes, ses pratiques (Rufin et Payet, 2015, p.77)

Introduction générale

La société a toujours établi des normes desquelles découlent des images sociales stéréotypées (Goffman, 1975) qui aident au processus d’étiquetage et servent à répartir les individus dans des catégories. Selon Becker (1985), ces cadres moraux sont relatifs, plus ou moins souples et assortis de répercussions. À partir de ces procédés, l’école publique occidentale a longtemps divisé les élèves en deux groupes ; l’un regroupant les individus qui ont des rapports sociaux dits ordinaires car ils ne divergent pas négativement des attentes de la société et l’autre étant constitué de ceux qui présentent une différence visible ou connue et qui cessent d’être des personnes accomplies et ordinaires (Goffman, 1975). Avec le temps, si la composition des groupes a changé et les normes sociétales ont évolué, le processus de ségrégation scolaire a continué d’exister.

Pourtant, depuis plusieurs décennies, la question de l’accès à la scolarisation des élèves se pose en des termes nouveaux. Le poids des organisations internationales telles que l’Unesco et l’ONU, ainsi que des mouvements nationaux spécifiques défendus par des groupes militants comme des associations, des groupes de pression, et par certains formateurs et formatrices d’enseignants (Ebersold, Plaisance et Zander, 2016) contribuent à la promotion d’un nouveau concept : l’éducation inclusive. Dans son discours d’ouverture de la Conférence PFUE, Jean-Louis Nembrini déclare que cette volonté commune s’est formée peu à peu à travers des déclarations, des textes, et des rencontres où les personnes présentes ont pu confronter leurs points de vue, partager leurs idées, les faire évoluer et converger. Ainsi, par une mobilisation à différentes échelles, l’école pour toutes et tous, plus communément appelée l'école inclusive, est entrée dans le vocabulaire des politiques publiques.

Par le biais d’une analyse sociologique, ce travail a pour ambition de comprendre les rouages de la co-construction d’un système éducatif inclusif à un niveau cantonal précis, Genève. Nous nous demanderons de quelle façon la question de la diversité des élèves - en termes de caractéristiques personnelles, individuelles et de besoins éducatifs particuliers - s’est construite comme un problème

(11)

public, et comment, à travers les échanges et l’introduction de dispositifs inclusifs, les acteurs1 interprètent et s’approprient ce concept d’école inclusive. En cernant le sens qui lui est donné, nous visons à mieux comprendre les raisons qui font de l’école pour toutes et tous un projet qui tend à devenir légitime pour la société, mais aussi à mieux définir où en est la réflexion sur l’école inclusive à Genève et vers quelle école nous nous dirigeons.

Structure du manuscrit

Le premier chapitre de ce travail abordera les différentes approches qui se rattachent à la sociologie de l’action publique, ainsi que les outils que nous empruntons à ce courant pour éclairer l’action publique de façon générale. Ce chapitre permet aussi l’introduction des questions qui guideront ce mémoire.

Dans le second chapitre, nous chercherons à comprendre l’évolution de la prise en charge de la diversité des élèves. De ce fait, nous présenterons la notion d’intégration et d'inclusion scolaire à travers leurs similitudes, source de confusion, et de leurs différences, parfois subtiles à déceler. Ainsi, nous souhaitons comparer ces deux réponses apportées par les acteurs politiques pour gérer l’hétérogénéité des élèves. Plus spécifiquement, nous nous concentrerons sur les origines du concept de l’école inclusive et sur la définition qui émane de la littérature scientifique. Ainsi, nous aborderons ses principes, ses facilitateurs, ses obstacles, ses apports, et les questions que l’école inclusive soulève.

Une fois la clarification de ce concept établie, nous étudierons sa propagation dans différents systèmes éducatifs au niveau international, avant de se concentrer sur la Suisse, et plus spécifiquement sur le canton de Genève. Cela nous permettra d’avoir un aperçu des multiples pratiques qui découlent de l’école inclusive, de comparer son avancement en Suisse par rapport à d’autres Etats, et de nous familiariser avec les acteurs qui se sont mobilisés pour soutenir cette cause.

Après avoir posé le contexte général dans lequel s’inscrit ce nouveau référentiel en éducation, nous nous intéresserons à la situation relative à l’inclusion scolaire à Genève. Nous poserons le cadre historique, juridique, et politique dans lequel s’inscrit notre thématique. L’enjeu premier sera d’expliquer à travers les textes de loi, les médias et les apports du cours du professeur Georges Felouzis - L’analyse des politiques éducatives contemporaines : acteurs, contextes et débats - par qui, pourquoi, et comment les principes de l’école inclusive ont été introduits au niveau politique et de quelle façon la diversité des élèves s’est construit comme un problème public. L’enjeu second sera

1 Le genre masculin est utilisé comme générique pour les concepts sociologiques comme acteurs, entrepreneurs de cause, etc.

(12)

d’analyser le chapitre IV de la Loi sur l’instruction publique (LIP) afin de savoir en quoi elle se rapproche de la conception première de l’école inclusive et en quoi elle s’en distingue.

Le chapitre 3 consistera à problématiser nos questions de recherche sur la base des chapitres précédents. Ainsi, notre étude visera à comprendre l’appropriation de ce concept d’école inclusive par différents représentants et représentantes d’instances politiques et administratives, ainsi que par des groupes d’intérêts, largement impliqués dans le processus de régulation de l’action publique genevoise en lien avec notre thématique.

Le quatrième chapitre présentera les outils et les méthodes utilisés pour répondre à nos questions. Dans ce cadre, nous présenterons les acteurs institutionnels choisis, ainsi que les difficultés rencontrées au cours de cette étude. Le cinquième chapitre présentera les résultats des données qualitatives récoltées et proposera des réponses à nos questions de recherches.

Enfin, nous terminons ce travail par un sixième chapitre comprenant une discussion générale de tous les concepts abordés dans ce travail, et par une conclusion proposant différentes pistes à explorer dans de futures recherches sur l’objet qui constitue notre présente étude.

CHAPITRE 1 : L’école inclusive comme objet de recherche

1.1 La sociologie de l’action publique en matière d’éducation

Quels sont les processus à l'œuvre dans la conception nouvelle d’une école dite inclusive ? Pour étudier la façon dont cette politique éducative est fabriquée, par qui et dans quel but, nous sommes amené·es à délimiter un cadre de recherche et à mobiliser le champ de la sociologie des politiques éducatives, couplant la sociologie de l’éducation et la sociologie de l’action publique en matière d’éducation (Voisin & Maroy, 2018). Cette approche renvoie à trois sources disciplinaires des sciences sociales que nous allons présenter rapidement : la sociologie de l’éducation, les sciences politiques et les sciences de l’éducation.

La première discipline, la sociologie, s’intéresse au rôle des structures sociales, à leur fonctionnement et à la place des acteurs. Elle considère l’école, qui est l’émanation et le reflet de la société, comme une institution. De façon critique, elle aborde les conséquences de l’éducation sur la dimension sociale en interrogeant cette institution ainsi que son fonctionnement dans le but de révéler une certaine réalité des rapports sociaux. Un exemple typique pour illustrer les thématiques que la sociologie aborde est l’ouvrage Les héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964).

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En mettant en lumière la reproduction sociale par l’école, ces chercheurs interrogent la capacité des politiques éducatives à réduire les inégalités d’apprentissage et de parcours scolaire des systèmes éducatifs. Au début des années 2000, ces enjeux ont suscité l’intérêt d’autres sociologues, qui se sont également emparé·es des questions liées aux politiques éducatives (Voisin & Maroy, 2018).

La deuxième source disciplinaire, les sciences politiques, apparaît historiquement pour analyser autant le pouvoir politique que sa légitimité et ses limites. Progressivement, elle change de perspective pour raisonner sur l’action publique du politique, sa régulation et le changement qu’elle implique potentiellement pour la société. Les questions qui émanent de cette nouvelle perspective portent sur le fonctionnement du politique en tant que tel ainsi que des intérêts et des idées qui accompagnent ces politiques. Cette discipline se rapproche alors de la première car pour reprendre les propos de Voisin & Maroy (2018), elle s’est “sociologisée”, portant désormais sur les logiques d’actions des individus et le poids des institutions dans les prises de décision politiques.

La dernière et plus récente discipline intervenant dans l’étude d’une politique éducative est celle des sciences de l’éducation. Mobilisant elle-même différents champs de recherche comme la sociologie, l’histoire ou la psychologie, elle raisonne sur la formation et les pratiques d’enseignement du corps enseignant ainsi que sur les mécanismes d’apprentissage des élèves.

Ainsi, lorsqu’on aborde une thématique telle que l’école inclusive, ces trois disciplines se rejoignent, l’éducation passant inévitablement par l’action publique. Dans la mesure où chacune d’entre elles s’intéresse à des rapports sociaux, l’approche sociologique de l’action publique en matière d’éducation confère aux faits sociaux une place centrale. “C’est d’ailleurs en insistant sur la logique de co-construction des politiques publiques par une multitude d’acteurs en interaction que le terme “sociologie de l’action publique” (Hassenteufel, 2011) s’est peu à peu substitué à celui d’analyse des politiques publiques” (Ervrard, Gourgues et Ribémont, 2019, p.29). Les objets d’analyse qui portent sur la conception des politiques, leur mise en œuvre, et leurs résultats sont alors systématiquement abordés à travers la dimension collective.

Maintenant que nous avons explicité la place clé des acteurs sociaux dans la conception d’une politique, nous pouvons reformuler et préciser la question de recherche de ce chapitre, dans le but de mettre en évidence une série de concepts de la sociologie de l’action publique que nous allons mobiliser tout au long de ce travail :

Pourquoi la question de la diversité des élèves est-elle devenue un problème public ? Comment la puissance publique s’est-elle emparée de ce problème ou, autrement dit, comment a-t-il

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été mis à l’agenda, en fonction de quelles catégories d’acteurs ? Quels intérêts et idées, cadrés par différentes institutions, guident leurs représentations et orientent l’action publique en matière d’école inclusive ?

Nous présentons dans un premier temps ces concepts, puis, dans un second temps, nous introduisons les approches, théories et modèles que nous avons retenus pour contextualiser et analyser ce travail : l’approche séquentielle de l’action publique, la théorie des trois “i” et le modèle d’analyse du pentagone.

1.2 Des outils conceptuels de la sociologie de l’action publique

1.2.1 Les problèmes publics

Depuis quelques années, l’émergence des problèmes publics devient un objet d’étude à part entière (Garreau, 2019). Dans l’ouvrage de Pierre Lascoume et Patrick le Galès, Sociologie de l’action publique, un problème public, présenté en tant que problème social, est perçu comme devant faire l’objet d’une action publique. Pour reprendre les propos des auteurs,

Un problème devient public à partir du moment où des acteurs sociaux estiment que quelque chose doit être fait pour changer une situation. Il devient politique à partir du moment où la solution qui est envisagée concerne la puissance publique. (Lascoume et le Galès, 2009 , p.70)

Pour Elizabeth Sheppard (2019), une série de mécanismes intervient autant dans la qualification de ce problème que dans le passage d’un problème social à un problème public, dans sa construction sociale.

1.2.2 La mise à l’agenda

Selon Garreau (2019), dans son acception la plus simple, la “mise à l’agenda” ou “mise sur agenda” se définit comme:

l’étude et la mise en évidence de l’ensemble des processus qui conduisent des faits sociaux à acquérir un statut de “problème public” ne relevant plus de la fatalité (naturelle ou sociale) ou de la sphère privée, et faisant l’objet de débats et de controverses médiatiques et politiques. (p.54)

Dès lors, la mise à l’agenda justifie l’intervention de la puissance publique pour s’emparer de ce problème identifié et le résoudre (Garreau, 2019.). L’auteur explique que la décision (Halpern,

(15)

2019) qui fait suite à la mise à l’agenda peut alors prendre différentes formes (gouvernementales, législatives, administratives) et modalités (mesures d’urgence, plan d’action à plus long terme, loi, décision administrative ou financière, et désignation d’une commission, entre autres). Toutefois, pour que l’inscription d’un problème à l’agenda soit durable, il nécessite “des ressources, des mobilisations, des coalitions et des transactions entre groupes” (Garreau, 2019, p.60). De plus, il convient de souligner que la mise sur agenda n’est pas nécessairement la phase initiale et première d’une politique. La décision, la mise en œuvre, ainsi que l’évaluation peuvent contribuer à la mise en agenda (Garreau, 2019).

Dans la présentation générale de la notion, Philippe Garreau (2019) expose les différents modèles de mise à l’agenda existants. Nous retiendrons les deux modèles les plus fréquents : le modèle de la mobilisation (externe et interne) et celui de l’anticipation. Dans le modèle de la mobilisation externe, ce sont des groupes organisés qui jouent un rôle initiateur dans le processus de mise à l’agenda, “en constituant une coalition autour de leur cause, et à l’imposer à l’agenda gouvernemental appelant une décision” (2019, p.56). Par exemple, toujours d’après Philippe Garreau, la protection accrue de l’environnement fait l’objet d’une mobilisation externe. Par opposition, le modèle de l’anticipation fait intervenir les autorités publiques ou gouvernementales dans la transformation d’un problème en question d’intérêt public. En proposant des réformes ou en prenant des mesures plus ponctuelles, on parle de mise à l’agenda gouvernemental et cette dernière précède alors la mise à l’agenda public. Pour illustrer ce second modèle, Garreau cite les politiques de prévention, telle que celle concernant la lutte contre le tabagisme. Quant au modèle de la mobilisation interne, il est envisageable lorsque “des groupes externes ont suffisamment de ressources relationnelles et politiques pour pouvoir accéder directement à l’agenda gouvernemental et faire prendre en considération un modèle particulier sans publicisation et médiatisation” (p.57).

Il est à noter que de nombreuses variables sont à prendre en considération dans la mise à l’agenda (Garreau, 2019). Il peut s’agir par exemple du rôle des partis ou des groupes politiques, du statut et rôle des “experts”, comme de variables plus “externes” sur lesquelles les acteurs ont moins de prise (contextes et/ou événements particuliers, par exemple).

1.2.3 Les catégories d’acteurs

D’après Edvard et al. (2019), il apparaît que:

l’acteur est souvent pensé comme un individu ou un groupe d’individus dont il est possible d’étudier la rationalité propre - et de la modéliser [...]. On s’intéresse alors à des

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entités qui ne peuvent agir par elles-mêmes mais dont la prise en compte joue un rôle dans le processus décisionnel [...]. (p.35)

Si les acteurs dits “classiques” (élus et élues, administrations, groupes d’intérêt) se renouvellent sans cesse (Ervard et al., 2019), il est toutefois possible d’en identifier un certain nombre à l’aide du modèle théorique des “cercles de décision” de Pierre Muller (2013). En effet, d’après cet auteur, ces quatre cercles concentriques permettent non seulement de caractériser les acteurs qui participent à la décision politique mais aussi leur influence sur les politiques publiques.

Ervard et al. (2019), qui retiennent trois de ces cercles, décrivent le premier cercle, celui du centre, comme celui qui comporte les acteurs qui prennent les décisions les plus importantes. Le second cercle, déjà moins influent, est constitué d’administrations sectorielles. Le troisième cercle regroupe les acteurs extérieurs à l’Etat : syndicats, groupes d’intérêts et organisations professionnelles. Les auteurs précisent que l’influence de ce dernier groupe dépend du contexte en vigueur. Ces “groupes d’intérêts”, “groupes de pression”, ou “lobby” sont définis par Saurugger (2019) comme “une organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs politiques dans un sens favorable à son intérêt” (p.305). Ils sont également qualifiés par Lascoumes et le Galès (2007)

“d’entrepreneurs de cause” et par Howard Becker (1985) “d’entrepreneurs de morale”. D’après Lascoumes et le Galès, “[les] entrepreneurs de cause sont des individus qui parviennent à redéfinir les intérêts collectifs et à inventer des moyens d’action. Ils transforment ainsi le cadre cognitif de perception d’un enjeu et celui des modes d’intervention reconnus comme légitimes” (2007, p.71).

Autrement dit, ils parviennent à donner une légitimité à leur cause en affirmant des valeurs et en gagnant en audience.

Ce passage d’une question sociale à un problème public et allant jusqu’à une question politique provient donc de “l’action volontaire et organisée de nombreux acteurs [...] en interaction et ayant tous un intérêt à agir, même différent d’un groupe à l’autre” (Garreau, 2019, p.55). La définition proposée par Saurugger (2019) insiste par ailleurs sur le lien existant entre les pouvoirs politiques et le groupe. Rejoignant la démarche d’un certain nombre d’auteurs, nous nous intéressons davantage à leur rôle, à leur activité d'influence, plutôt qu’à leur formation et fonctionnement.

1.3 Etudier les acteurs à l’aune des approches et modèles sociologiques

1.3.1 L’approche séquentielle de l’action publique

Après la seconde guerre mondiale, émerge l’idée selon laquelle les décisions publiques fondées sur les résultats de recherche rendraient l’action publique plus efficace. Cette rationalisation

(17)

de l’action publique suppose une analyse des politiques publiques, elle aussi rationnelle. C’est de ce postulat qu’est issu l’approche que nous avons choisie pour aborder notre objet de recherche : l’approche séquentielle.

S’il découle différents modèles analytiques de l’approche séquentielle, ils ont en commun de concevoir les politiques publiques comme rationnelles, découpées en plusieurs phases linéaires, et centrées sur l’Etat (Revaz, 2020). Par ailleurs, ils considèrent que les différents acteurs définissent les actions de l’Etat de façon interdépendantes, et ce dans toutes les phases des politiques (Jacquot, 2019). Dans ce travail, nous choisissons de retenir le modèle analytique de Charles O. Jones (1970).

Celui-ci est constitué de cinq étapes successives : identification du problème ; développement du programme ; mise en œuvre ; évaluation et achèvement du programme.

Si ce modèle nous permet de se faire une idée des différentes séquences existantes et de centrer les analyses sur l’une ou l’autre des séquences, il lui est reproché de présenter des étapes politiques linéaires et rationnelles ne correspondant pas à la réalité. En effet, nous assistons généralement à des enchevêtrements des séquences ainsi qu’à leur chevauchement. Il est aussi possible d'observer une inversion de la temporalité, dans le cas où une séquence - par exemple l’évaluation - n’existe simplement pas, ou si la mise en œuvre d’une politique intervient avant que le processus législatif ne soit achevé. De plus, une autre critique qu’il est important de mentionner porte sur le fait que le modèle propose une image réductrice de l’action publique. En effet, cette approche privilégie une analyse de l’action publique “par le haut”, dite top down, c’est-à-dire par les décideurs, représentés par les acteurs administratifs et politiques (Revaz, 2020, p.34). Ainsi, en portant une attention trop centrée sur l’Etat, il néglige la place des autres acteurs participant à l’action publique.

Malgré les limites que comporte cette première approche, elle a pour avantage de faciliter la comparaison du déroulement des séquences entre deux politiques, tout comme la compréhension des mécanismes politiques. Plus spécifiquement, l’approche séquentielle de l’action publique nous permet de délimiter notre objet d’étude. Effectivement, sachant que ce dernier porte sur la conception d’une politique éducative, le modèle analytique de Charles O. Jones nous indique qu’il correspond aux deux premières étapes de développement d’une politique. Par conséquent, nous focaliserons notre attention sur celles-ci.

1.3.2 La théorie des trois “i”

Pour Yves Surel (2019), une analyse fine de l’action publique exige la considération d’un ensemble de variables qui agissent de manière interdépendante. Il reprend alors la théorie des trois

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“i” des travaux de Peter Hall et Hugh Hedo de sorte à mettre en évidence les apports d’une articulation de trois approches : l’approche cognitive, l’approche néo-institutionnaliste et les “intérêts” des acteurs. Bien qu’il soit reproché à ce modèle d’analyse de manquer de formalisation, contrairement à d’autres approches plus structurées (Surel, 2019), nous lui reconnaissons l’avantage de synthétiser et de combiner ces trois dimensions analytiques pour expliquer les processus à l'œuvre dans une politique publique (Surel, 2019).

Le premier “i” de cette théorie fait référence aux “idées”, autrement dit aux approches cognitives. Parmi celles-ci, l’approche par le référentiel développé par Alain Muller (2019) permet de rendre compte de la multiplicité des acteurs qui participent aux politiques publiques, de leur rôle en tant que sujet pour changer le monde, et de la fonction cognitive des politiques publiques. Ainsi, l’auteur explique le processus comme suit : “Chaque politique passe par la définition d’objectifs, qui sont eux-mêmes définis à partir d’une représentation du problème, de ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre” (Muller, 2019, p.534). Il peut être global - concernant l’ensemble de la société - autant que sectoriel - adapté au secteur de l’éducation. Muller avance ainsi que l’identification d’un problème à traiter relève d’une certaine vision du monde et d’une conception du bien dans un domaine particulier ; le changement dans le domaine de l’action publique s’explique donc par un changement de référentiel.

Le second “i” correspond à l’entrée par “intérêt”. Cette entrée permet de se centrer sur les logiques de l’action collective, les interactions entre acteurs politiques et administratifs, et sur les motivations avancées pour justifier la décision publique (Revaz, 2020). Par rapport aux interactions, trois notions renvoient au rôle des intérêts dans l’élaboration de la décision politique : la concertation, la délibération, et la négociation (Halpern, 2019). Charlotte Halpern (2019) explique que ces formes de participation politique renouvellent la manière de concevoir les rapports Etat-société. Les travaux centrés sur ces notions peuvent porter sur les politiques et les dispositifs mis en place par les autorités publiques (comment, quels moyens). Ils analysent des rapports de force entre intérêts sociaux organisés et les acteurs publics. La négociation peut être perçue comme un marchandage entre des intérêts en concurrence (Elster, 1994, cité par Halpern, 2019) alors que la délibération est complémentaire à la négociation ou considérée comme une procédure alternative à cette dernière.

Enfin, la concertation “constitue un moyen pour anticiper et/ou résoudre les situations de conflit dans l’action publique [...]” (Halpern, 2019, p.157). Le recours à ces notions nous sera utile pour analyser les dynamiques de l’action publique, l’inclusion des citoyens dans l’élaboration d’une politique ainsi que pour faire ressortir les intérêts qui sous-tendent cette élaboration. Elles sont donc pertinentes pour penser les transformations mêmes d’un gouvernement, d’une société.

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Le troisième “i”, pour “institution”, renvoie aux approches dites “néo-institutionnaliste”, qui mettent les dimensions institutionnelles au cœur de leur analyse. Dans son acception sociologique, le terme d’institution signifie toute manière de faire, de voir ou de penser, qui acquiert un caractère normatif et qui tend à s’imposer aux acteurs (Maroy, 2007). Ainsi, une institution est une action collective, porteuse de sens et organisée autour de règles et pratiques qui régulent les représentations ainsi que les comportements des acteurs présents. La prise en compte des logiques institutionnelles questionne leur influence, sous-jacente à certaines décisions ou certains dispositifs sur les résultats de l’action publique en général et sur les stratégies, les actions et la marge de liberté des acteurs en particulier (Lascoumes et Le Galès, 2007).

Ces trois variables nous renseigneront sur les idées des acteurs à propos de l’école inclusive, leurs intérêts, ainsi que le cadre d’un fonctionnement institutionnel dans lequel ils s’inscrivent.

1.3.3 Le modèle d’analyse le “pentagone”

Le modèle d’analyse du “pentagone” de Lascoumes et le Galès (2007, p.13) est utile en complément de la théorie des trois “i” pour penser, de façon rationnelle, la conception de l’école inclusive. Si les logiques de l’action restent au cœur de l’analyse, ce modèle fait ressortir les interactions entre chaque élément :

Figure 1

Modèle d’analyse : le “pentagone”

Note. Adapté de Lascoumes et le Galès (2007)

En effet, ce “pentagone” des politiques publiques présente non seulement les éléments qui interviennent dans ce domaine, mais illustre aussi leur interconnexion. Au regard de ce modèle,

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Lascoumes et Le Galès (2007) nous permettent d'étudier les formes de régulation sociale et politique des enjeux sociaux qui interviennent dans une politique publique. Si nous transposons ce modèle à une politique d’école inclusive, nous pouvons dire que cette dernière reflète le contenu de l’action publique et qu’elle est le résultat du processus. Ces processus sont le produit d’activités de mobilisation des acteurs qui défendent une nouvelle façon de penser et de gérer l’école sous l’égide d’une institution (Lascoumes et Le Galès, 2007). Nous voyons aussi que ces résultats eux-mêmes peuvent avoir une incidence sur tous les éléments présents.

1.3.4 Eléments conclusifs

Dans ce chapitre, nous avons vu que les sciences politiques et la sociologie ont entrepris récemment de compléter les approches centrées sur les établissements et les usagers de l'école “par une investigation des acteurs et des instances gouvernementaux, nationaux et internationaux, qui élaborent et légitiment les grandes orientations et les nouveaux instruments des politiques scolaires et éducatives” (Sawicki, p.10, 2012). Ces premières questions et les apports de ce chapitre orientent donc ce travail de mémoire dans une perspective globale indéniablement sociologique. Ils nous permettent d’aborder une revue de la littérature qui pose les fondements théoriques relatifs à l’école inclusive et une partie plus contextuelle du système éducatif genevois.

Au cours de ce travail de mémoire et au regard de ces différentes définitions, nous essayerons tout d’abord d’identifier les modèles de mise sur agenda qui sont intervenus dans les processus qui ont conduit l’école inclusive à acquérir un statut de “problème public” et de dégager les différentes variables qui conditionnent cette mise à l’agenda. Ensuite, nous chercherons à identifier les acteurs institutionnels présents dans la co-fabrication de l’école inclusive, et à l’instar des travaux inspirés de l’institutionnalisme sociologique, nous étudierons alors le sens que les acteurs donnent à leur action et essayerons de montrer en quoi leur comportement comme leurs relations “sont explicables par des croyances et représentations du monde dont ils disposent (au sens des dispositions sociales)” (Evrard et al., 2019, p. 31). Enfin, pour développer une analyse fine de la conception de l’école inclusive - un sujet qui porte sur la nature du système éducatif, sa forme et son organisation - nous utiliserons les outils de la sociologie de l’action publique que nous avons présenté auparavant : l’approche séquentielle, le modèle des trois “i” et le “pentagone” de Lascoumes et le Galès (2007).

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CHAPITRE 2 : Contextualiser l’école inclusive comme référentiel en éducation

2.1 L’hétérogénéité des élèves comme problème public

Au cours du XIXe siècle, deux phénomènes viennent bouleverser l’organisation des sociétés européennes. Premièrement, dès les années 1820, le continent assiste à la propagation de l’industrialisation ; deuxièmement, durant la seconde moitié de ce siècle, l’Europe voit émerger la constitution d'États-Nations en concurrence entre eux. D’après Daniel Curnier (2021), ces deux conditions permettent à l’institution scolaire de devenir progressivement obligatoire. Avec la démocratisation de l’enseignement, qui s’observe dans de nombreux pays dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, la diversité des élèves, liée au genre, au milieu social d’origine, à la religion, ou la culture, n'a cessé d'évoluer. Les élèves, précédemment exclus de l’école publique, ont progressivement accédé à la même scolarisation, soulevant ainsi de nouveaux défis amenant l’instruction publique à composer avec une proportion d’élèves toujours plus importante, et composée d’une diversité toujours plus grande :

Ouverte à tous et longtemps, l’école ne peut plus ignorer les problèmes de l’adolescence, ceux de la sexualité notamment, mais aussi ceux du chômage, de l’immigration, des quartiers difficiles, des familles désunies…Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais ce qui est nouveau, c’est que l’école ne peut plus les ignorer en se débarrassant des élèves qui ne correspondent plus à ses attentes. (Dubet, 2001, p.23)

Seulement, à cette époque, l’institution scolaire occidentale reste le produit et lieu de reproduction de la société à laquelle elle appartient (Curnier, 2021). Par conséquent, elle est pensée sur le modèle de l’usine, et permet la création d’une identité nationale chez sa population ; elle est également pensée pour discipliner les individus et devenir le lieu de formation des futur·es travailleur·euses. En parallèle, Daniel Curnier nous apprend que l’évolution de l’école moderne est aussi influencée par des élites intellectuelles libérales, dont la pensée s’inspire de pédagogues humanistes du XVIIIe siècle et appuie la transformation de certains aspects du système éducatif. Si des innovations pédagogiques apparaissent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, réalisées à travers le mouvement de L'Education Nouvelle, elles se heurtent à des structures scolaires rigides, inadaptées à la diversité des élèves, et soumises aux impératifs de l’industrialisation.

À partir des années 1960, des travaux de Pierre Bourdieu (1966), Jean-Claude Passeron (1970) ou encore Raymond Boudon (1973), révèlent que l’égalité des chances n’est guère assurée par l’école.

Une méfiance vis-à-vis de la qualité et de l’efficacité de cette institution s’instaure, et la question de

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l’hétérogénéité des élèves devient un problème public. Par conséquent, les premières mesures spécifiques pour diminuer les inégalités liées au genre et à la classe sociale apparaissent un peu partout dans nos sociétés occidentales. Par la suite, dans l’espoir d’apporter des réponses pertinentes aux phénomènes relevés au début de ce chapitre, ces mesures se font toujours plus nombreuses, abordant ainsi la catégorie d’élèves issus de l’immigration en proposant des réponses notamment en termes linguistiques. Dès lors, la scolarité se transforme pour devenir davantage interculturelle, affichant le souhait de favoriser l’intégration scolaire de cette population issue de l’immigration.

Pourtant, à cette époque, une partie des enfants reste encore exclue du système éducatif. En Suisse par exemple, les enfants définis “à problèmes” selon Pierre Avvanzino (1993) sont placés, entre autres, dans des institutions “spéciales” depuis fort longtemps ; le faible intérêt porté à ces systèmes d’éducation dans le pays ne permet pas d’en définir la création exacte. Cette déclaration porte à croire que les possibilités éducatives relèvent d’un problème privé (Felouzis, 2021), puisqu’on ne se soucie pas publiquement de la scolarisation de ces enfants - qu’ils soient porteurs de handicap, de troubles ou de déficiences, etc. - dont les particularités désemparent.

2.2 Le handicap, un problème public

Néanmoins, à la fin des années 1960, la vision portée sur le handicap évolue. Les acteurs du secteur (médecins, personnel paramédical) mettent en avant le fait que “les états handicapants sont beaucoup plus répandus, variés et complexes que ne le donnent à penser les classifications” (Ainscow, 1996, cité par Thomazet, 2006, p.23). La Classification Internationale des Handicaps (CIH) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est révisée et adoptée en 1976 pour être compatible avec les principales conceptions du handicap (Chapireau, 2001). Par conséquent, la CIH s'éloigne d'un modèle médical qui renvoie le handicap à une maladie. En effet, la conception du processus de handicap devient alors une incapacité à accomplir certaines activités en raison d’une déficience (OMS, 1980), produisant un désavantage socialement construit (Thomazet, 2006). Cette conception se transforme alors en modèle social du handicap, mais sans se détacher complètement du modèle médical, maintenant ainsi les catégories du monde médical (Thomazet, 2012). Ce modèle social du handicap se diffuse au niveau international, notamment au Canada, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et dans d’autres pays (Tremblay, 2020) comme l’atteste l’évolution terminologique de l’OMS ; celle-ci n’utilise plus le terme handicapé, mais personne handicapée (voir par exemple Thomazet, 2006).

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En écho à ces développements théoriques, la scolarisation de ces enfants handicapés2 interpelle et fait l’objet de débats un peu partout, ces derniers étant touchés par des limitations dans le domaine de l’éducation par rapport aux autres enfants. Des militant·es font du handicap une question politique et une affaire de droits civiques de base (Chapireau, 2001). Au regard du chapitre 1, ces individus perçoivent cette question comme devant faire l’objet d’une action publique. Ils dénoncent les discriminations systématiques auxquelles les personnes “avec des incapacités” sont confrontées dans tous les domaines de la vie. Pour eux, ce problème social est dû à “des attitudes sociales de négligence et des images stéréotypées au sujet de leurs capacités et de leurs besoins”

(Chapireau, 2001, p.15) et non au produit d’un état médical. Considérant que la source du désavantage est liée à une défaillance de l’environnement, ils commencent à revendiquer l’égalité sociale et l’accès à l’éducation à tous les élèves en âge d’être scolarisés. Par conséquent, lors de cette période, ces faits sociaux acquièrent un statut de “problème publique” et émergent donc sur un plan politique.

L’intervention des autorités publiques, considérée comme légitime, est demandée et ces derniers doivent prendre une décision. Autrement dit, il reste à déterminer comment scolariser ces élèves encore exclus de l’école ordinaire.

2.3 L’intégration scolaire, une réponse aux élèves en situation de handicap

Dans les années 1970, la solution qui s’est imposée progressivement dans de nombreux pays occidentaux aux enfants handicapés est l’intégration en milieu scolaire (Caraglio, 2019). Dans le but de proposer une meilleure prise en compte des besoins et des particularités des personnes présentant une déficience, ce mouvement propose d’adapter l’enseignement aux spécificités des élèves (Ebersold, 2005). Si l’on peut croire au premier abord que le terme “intégration” renvoie à une insertion dans l’enseignement régulier, cette solution n’empêche pas de potentiels “détours ségrégatifs” (voir par exemple Thomazet, 2006), ni l’existence de plusieurs types d'intégration (Wahl, 2001) : individuels, collectifs (comme les classes intégrées) et partiels. Ainsi, l’accès à l’éducation se décline sous de multiples formes de scolarisation, plus ou moins séparées de l’école ordinaire, et présentant des mouvements oscillants entre l’enseignement privé et public, entre une prise en charge médico-éducative et scolaire, ou encore entre l’enseignement spécialisé et ordinaire (Pelgrims, 2016).

Ces diverses structures d’enseignement spécialisé ressemblent à celles, par exemple, qui accueillent les élèves étrangers primo-arrivants (Francequin & Réal-Douté, 2001). En effet, Francequin et Réal- Douté (2001) expliquent que ces classes “à part” permettent aux élèves qui y sont temporairement regroupés d’acquérir des compétences langagières et linguistiques avant de rejoindre les autres

2 Dans la suite de ce travail, nous verrons que cette terminologie et le langage ont évolué pour nommer le handicap et les personnes qui en sont concernées.

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élèves. Ils sont alors intégrés dans des classes ordinaires, si du moins les conditions le permettent (équipe enseignante stable, travail en équipe, et qui agit en consensus). Dans le cas du handicap, la logique de prise en charge de ces nouveaux élèves “intégrés” reste la même : on délimite des groupes en fonction de critères diagnostiques tout en adaptant les services spécialisés à ces groupes (Tremblay, 2020). Il en résulte la mise en place de structures scolaires présumées favorables aux particularités des groupes supposés homogènes qu’elle rassemble (Tremblay, 2020).

Au regard de ces premiers éléments, la définition du concept d’intégration n’est pas simple : elle est variée et renvoie à différentes significations pour les chercheur·es et acteurs (Doret & Brunet, 2001; Avramidis & Norwich, 2002; Plaisance, Belmont, Vérillon & Scheider, 2007). Nous retiendrons de cette première “proposition” de l’école aux élèves handicapés que leur prise en charge se base sur les référentiels de l’époque concernant la différence, l’enfant, et l’éducation (Thomazet, 2006) : le droit à tous les enfants d’être scolarisés et le modèle social du handicap. En effet, la prise en charge de ces enfants et adolescents coïncide avec l’idée que chaque enfant doit avoir accès à l’éducation, mais que l’enseignement et l’apprentissage qui en découlent dépendent d’une différence - d’ordre physique, intellectuelle, sociale, par exemple - constatée.

Cependant, dans les années 1990, l’intégration scolaire proposée soulève plusieurs préoccupations quant à son efficacité, et l’approche est ainsi remise en question. Premièrement, à travers la différenciation structurale, l’intégration véhicule l’idée qu’un élève peut être catalogué comme “déviant de la norme” (Dunn, 2012) en raison, entre autres, d’une déficience, d’un handicap mental, de troubles de la communication ou de difficultés scolaires ou comportementales. Cette approche facilite le placement scolaire d’un élève vers des structures spécialisées lorsqu’il est communément admis qu’il n’a pas toutes les “facultés” pour fréquenter l’école telle qu’elle est conçue (Thomazet, 2006). De surcroît, il est reproché aux services et aux structures spécialisées de ne pas répondre aux besoins éducatifs des élèves (Tremblay, 2020) et de proposer des conditions et pratiques éducatives qui répondent insuffisamment aux potentialités de ces derniers (OCDE, 1995). Pour cause, l’intégration se limite souvent à des aménagements administratifs et techniques (Ebersold, 2009). Par conséquent, ce système en cascaderestreint l’insertion ou la réinsertion dans l’enseignement régulier des élèves déclarés en difficulté. En effet, selon des observations faites dans les pays occidentaux, le retour dans une filière ou une classe ordinaire est plus rare qu’un envoi dans une classe, une école ou un centre spécialisé (Pelgrims, 2016). En outre, les élèves restent confrontés à des problèmes liés à la grille de lecture de la déficience. D’une part, on laisse les professionnels juger des élèves qui pourraient correspondre aux exigences de l’école ordinaire (Ebersold, 2009) ; les plus éloignés d’une norme socialement construite restent exclus du système d’enseignement régulier tandis que les

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élèves jugés plus “convenables” ont accès à une fréquentation partielle ou provisoire, renvoyant l’intégration à un aspect du paradigme de l’école spéciale (Ebersold, 2009). D’autre part, une fois qu’un stigmate (Goffman, 1975) est posé sur les élèves en difficulté, les enseignants redéfinissent leurs objectifs à la baisse, soit pour ne pas les décourager (Ebersold, 2009), soit pour s’adapter au développement de chacun et/ou parce qu’ils pensent que ces élèves ont un potentiel limité, figé, qu’aucun effort éducatif ne pourra compenser (Pelgrims, 2016). Enfin, pour Lapeyre (2005), la scolarisation en classe intégrée semble s’être construite sur les bases d’un scénario tacite où l’école devrait remplir les mêmes fonctions qu’un établissement spécialisé. Par exemple, l’intégration et les représentations qui y sont liées impliquent que les élèves ne sont souvent acceptés dans une classe ordinaire qu’à la condition d’être accompagnés d’un·e enseignant·e ou assistant·e de soutien.

Toutefois, notons que ce professionnel·le attitré·e est “attaché·e” à eux pour les aider dans leurs apprentissages, ne leur permettant pas d’agir de manière autonome (Ainscow, 1999, cité par Ebersold, 2009).

En définitive, bien que l’intégration scolaire suppose la mise en œuvre de dispositifs de soutien et de rééducation pour adapter l’élève à l’école ordinaire (Thomazet, 2006) et “compenser” les différences, elle paraît avoir plutôt tendance à les entretenir, ou même, à les renforcer. En effet, en donnant de manière visible et évidente un traitement différent aux élèves, qu’ils soient intégrés en milieu scolaire ou non, le modèle d’intégration présenté catégorise certains élèves comme à part, fragiles, ou dangereux, et néglige la dimension pédagogique et didactique dans leur prise en charge scolaire (Ebersold, 2009). Par conséquent, ce modèle conduit alors à un renforcement du stigmate et des différences entre élèves. Ainsi, pour reprendre les propos de Lapeyre (2005) : “l’intégration n’est pas sans poser question. L’idée même infère une ambiguïté qui renforce ce qu’elle prétendait combattre : l’exclusion” (p.36). Dès lors, l’intégration n’atteint pas son objectif d’améliorer l’éducation de cette “population” d’élèves.

2.4 L’émergence de l'école inclusive, une nouvelle action publique pour réaliser l’école pour toutes et tous

Au cours des années 1990, dans ce processus de changement d’accès à la scolarisation des élèves, l’approche inclusive émerge sous l'impulsion d’un triple mouvement (Ebersold, 2005).

Premièrement, pour s’adapter à la diversité grandissante des élèves (en termes de caractéristiques sociales). Deuxièmement, pour apporter une meilleure éducation aux élèves (en termes de besoins) (Thomazet, 2006) et troisièmement, pour résoudre l’incapacité de l’ambition intégrative à concrétiser ses ambitions et ses objectifs initiaux (Ebersold, 2005).

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Au plan historique, on peut identifier deux origines principales de l’entrée dans les politiques publiques de l’éducation inclusive (Felouzis, 2021) : des origines “internationales” en lien avec des organisations internationales, telles que l’UNESCO et l’ONU, ainsi que des origines “nationales”, liées à des mouvements spécifiques dans plusieurs pays. Les entrepreneurs de cause qui ont défendu et amorcé ensemble la nouvelle conception de “l’école pour toutes et tous”, aussi appelée “l’école inclusive”, sont des groupes militants comme des associations, des groupes de pression et certain·es formateur·trices d’enseignant·es (Ebersold, et al., 2016).

2.4.1 Des sources internationales

Au niveau international, les entrepreneurs de cause adoptent la Déclaration de Salamanque lors de la “Conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux : accès et qualité”

(Unesco, 1994). Cet événement, qui s’est tenu en Espagne entre le 7 et le 10 juin 1994, a rassemblé les représentants de 92 gouvernements et 25 organisations internationales soucieux de défendre des principes démocratiques et humanistes (Thomazet, 2008).

Dans cette déclaration, il apparaît que l’école pour toutes et tous se nourrit de trois idées, éducative, sociétal et économique :

[...] la nécessité, pour les écoles inclusives, d’éduquer tous les enfants ensemble [impliquant de] trouver des modes d’enseignement adaptés aux différences de chacun d’eux et pouvant donc bénéficier à tous les enfants. La deuxième [...] : les écoles inclusives peuvent changer les attitudes face à la différence en éduquant tous les enfants ensemble et constituer ainsi le fondement d’une société juste et non discriminatoire. La troisième [...] : il est moins coûteux de créer et gérer des écoles qui éduquent tous les enfants ensemble que de mettre sur pied un système complexe de différents types d’écoles spécialisées pour différents groupes d’enfants. (Unesco, 2009, p.9)

En s’intéressant plus spécifiquement au contenu de la déclaration, deux référentiels principaux sont à la source de l’école inclusive : un référentiel basé sur les droits et un référentiel d’efficacité (Felouzis, 2021). En effet, cette déclaration rappelle que l’éducation est un droit fondamental de chaque enfant depuis 1948 et que la communauté internationale s’est engagée à assurer l’application de ce droit en 1990 à la Conférence Mondiale sur l'Éducation pour Tous. Elle mentionne aussi diverses déclarations des Nations Unies, et établit des règles pour l’égalisation des chances des personnes en situation de handicap, qui stipulent que ces derniers font partie intégrante du système éducatif. Ainsi, si tous les enfants ont un droit indéniable à l’éducation, ils ont le droit aussi

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de recevoir, tous, un enseignement de qualité indépendamment de leurs caractéristiques physiques, intellectuelles, sociales, affectives, linguistiques, ou autres. Pour défendre leur position, les entrepreneurs de cause expliquent que les différences font partie de l’humanité, chaque personne ayant des intérêts, des aptitudes et des besoins qui lui sont propres. De ce fait, les écoles constituent le meilleur moyen pour combattre les attitudes discriminatoires tout en créant une société plus solidaire, plus digne et plus respectueuse, davantage tournée vers les individus.

La seconde représentation de l’école à la source de l’éducation inclusive est un référentiel d'efficacité. En effet, les entrepreneurs de cause constatent que les écoles spécialisées impliquent des coûts élevés, dont seule une minorité d’élèves peuvent bénéficier, laissant les autres en manque de services nécessaires. Pour eux, l’école inclusive est alors le moyen d’assurer efficacement l’éducation de la majorité des enfants et d’accroître le rendement des systèmes éducatifs. D’ailleurs, à ce propos, il est intéressant de relever que le rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) World report on disability de 2011, rejoint ce postulat. Il affirme que l’inclusion des élèves en situation de handicap aurait un bon rapport coût-efficacité. D’autres recherches vont aussi dans ce sens puisqu’elles constatent que l’inclusion offrirait plus d’avantages qu’un enseignement ségrégatif (Doudin et Lafortune, 2006, Ramel et Lonchampt, 2009; Rousseau et al., 2010). Ce référentiel soutient donc qu’une école inclusive est économiquement souhaitable, dans la mesure où elle permet au plus grand nombre possible d’élèves d’acquérir des compétences et connaissances, ce qui n’est pas le cas si une part de ces élèves n’est pas scolarisée en école ordinaire (Felouzis, 2021).

La Déclaration de Salamanque illustre la toute première co-construction de l’école inclusive comme nouveau modèle d’action publique en matière d’éducation. Servant de guide pour planifier l’action dans le domaine de l’éducation spécialisée, sa contribution principale est d’avoir cristallisé les principes directeurs pour l’action nationale afin que les établissements scolaires soient au service de tous les enfants et en particulier de “ceux qui traditionnellement n’ont pas d’opportunité éducative comme les enfants à besoins éducatifs particuliers, avec incapacités, ou appartenant à des minorités ethniques ou linguistiques, entre autres” (Unesco, 2011). L’organisme donne la définition suivante de la notion “besoins éducatifs particuliers” (BEP)3 ou “spéciaux” :

Dans le contexte du présent Cadre d’Action, le terme “besoins éducatifs spéciaux”

renvoie à tous les enfants et adolescents dont les besoins découlent de handicaps ou de difficultés d’apprentissage. Beaucoup d’enfants rencontrent des difficultés d’apprentissage et

3 Thomazet (2012) explique que le Warnock report (1978) publié en Angleterre dans les années 1970 a proposé d’abandonner le terme handicapé ainsi que les catégories basées sur la déficience pour le remplacer par celui de “besoin éducatif particulier”.

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présentent par conséquent des besoins éducatifs spéciaux à un moment ou à un autre de leur vie scolaire. (Unesco, 1994, préface, 3)

Ainsi, la déclaration de Salamanque formule des orientations pour accueillir tous les enfants au sein de l’école et pour trouver des moyens pour réussir leur éducation quelles que soient leurs caractéristiques particulières - d’ordre physique, intellectuel, social, affectif, linguistique. Elle présente aussi des exemples de groupes qui peuvent être défavorisés par l’école : “les enfants handicapés, les surdoués, les enfants des rues et ceux qui travaillent, les enfants des populations isolées ou nomades, ceux des minorités linguistiques, ethniques ou culturelles ainsi que les enfants d’autres groupes défavorisés ou marginalisés” (Unesco, 1994, préface, 3). Ces descriptions montrent qu’effectivement, chaque enfant peut être touché, de près ou de loin, par des BEP et elles semblent donc se détacher du rapport de Warnock, qui associe les BEP au handicap.

Une seconde source internationale est retenue dans ce travail : la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Le processus d'élaboration de la Convention a ceci d’intéressant, qu’elle part du point de vue des organisations de personnes handicapées. C’est le 13 décembre 2006, à New York, que l’Assemblée générale de l’ONU adopte cette Convention. Elle entre en vigueur le 3 mai 2008 devenant alors la première Convention internationale spécifique aux droits des personnes handicapées et la première Convention internationale à laquelle l’Union européenne a adhéré. D’après le site de la Confédération Suisse4, elle compte aujourd’hui 175 Etats parties, dont la Suisse. Elle est le premier instrument juridiquement contraignant, adressant aux Etats signataires des dispositions à caractère programmatique et des objectifs pour garantir ces droits qu’ils s'engagent à réaliser.

Les droits fondamentaux des différents instruments des droits de l’Homme sont transposés aux personnes en situation de handicap pour qu’elles puissent exercer leurs droits civils, économiques, politiques, sociaux et culturels dans la même mesure que les personnes non handicapées. En matière d’éducation et de formation (art. 24), il est stipulé que le système éducatif doit prévoir l’insertion scolaire des personnes en situation de handicap à tous les niveaux, c’est-à-dire que les Etats parties s’engagent à ne pas exclure ces personnes du système d’enseignement général. Selon l’observation générale n°4 de 2016 sur le droit à l’école inclusive, cela consiste - pour les personnes en situation de

4 page du site internet : https://www.edi.admin.ch/edi/fr/home/fachstellen/bfeh/droit/international0/uebereinkommen-der-uno-ueber- die-rechte-von-menschen-mit-behinde.html

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